Le Salon du patronat priv� alg�rien � Paris serait certainement pass� inaper�u si une intervention remarqu�e, quoique non programm�e, n'avait pas fait le tour des salons parisiens. L'ancien ministre des Finances, M. Abdelatif Benachenhou, y est all� croiser le fer avec les chefs d'entreprises priv�es. Que l'ex-grand argentier plaise ou pas, ce qui est certain c'est qu'il ne laisse pas indiff�rent. Pour beaucoup, sa rigueur et sa droiture intellectuelle passent pour de l'arrogance, on lui reconna�tra cependant de tenir en horreur, de fa�on cons�quente et r�solue, un populisme aussi pernicieux que ravageur que la rente (qu'elle soit historique ou p�troli�re) qui l'a enfant�. C'est dans conditions historiques sp�cifiques � la formation du capitalisme alg�rien (la cause) que M. Benachenhou est all� chercher les avatars des entreprises priv�es et leurs faiblesses av�r�es en mati�re de management (l'effet) : �La plupart des entreprises priv�es, pour ne pas dire toutes, ont un d�ficit de management (�) Y compris les plus riches.� Attach� � la cause g�n�rale, il recense un premier d�ficit, �d'organisation juridique �, dont la manifestation la plus �vidente est le fonctionnement familial. Une telle situation est l'aboutissement logique d'�tapes d'accumulation, souvent tr�s serr�es dans le temps, communes � la plupart des entreprises priv�es : �On a commenc� par faire du commerce, puis du gros commerce, avant de passer � (l'�tape) de l'entreprise. � Ce �cheminement� qu'on retrouve y compris dans la constitution des nombreuses banques priv�es, toutes en voie de liquidation, n'incite certainement pas � l'adoption de formes modernes de gestion. Benachenhou attend, ou plut�t esp�re, une �mutation� dans le r�gime juridique des entreprises qui autorise une plus grande transparence et une circulation de capitaux � plus grande �chelle. On passerait ainsi des formes familiales en vigueur � �Untel et fils� (filiation directe), Eurl (expression directe de l'adage arabe echarka halka) ou encore des Sarl � � des soci�t�s anonymes priv�es aux capitaux ouverts, rompus aux techniques financi�res et boursi�res modernes et procurant une �garantie de transparence �. Tant que cette transition ne sera pas accomplie, il a �galement raison de s'opposer ouvertement � toute amnistie fiscale qui reviendrait � faire financer par la collectivit� des formes �cul�es de constitution d'entreprises. Outre qu'il n'autorise pas l'adoption de normes de management, le carcan juridique dans lequel se meuvent les entreprises priv�es ne les incite �galement pas � �s'essayer � la mise � niveau�. M. Slim Othmani, des Nouvelles conserveries alg�riennes (NCA, Rouiba), a, certes, eu le courage de r�agir en rappelant que �95 % des entreprises actives dans le monde rel�vent de l'�conomie familiale�, estimant par ailleurs que le propos de l'ancien ministre �tait l'expression de �la crispation de l'Etat� � l'endroit du priv�. Il ne peut malheureusement pas convaincre l'observateur averti qui sait qu'en 2005, les 1.250 entreprises leaders de la recherche industrielle ont inject� plus de 370 milliards d'euros dans la R&D et que ces entreprises sont � dix mille ann�es lumi�re de l'�conomie familiale. Les cinq premi�res d'entre elles (Ford, Pfizer, General Motors, DaimlerChrysler, Microsoft) sont des mastodontes de la technologie et du chiffre d'affaires. Sur les 1.250 entreprises recens�es affichant une activit� de recherche significative (un budget annuel sup�rieur � 30 millions d'euros), 575 sont am�ricaines, contre 350 europ�ennes et 316 asiatiques (essentiellement japonaises). Selon le classement 2006 publi� par le minist�re britannique du Commerce et de l'Industrie (DTI), les groupes am�ricains tr�nent sur les trois premi�res marches du podium (et placent 5 entreprises dans les 10 premi�res). Dans le Top 50 des champions de la recherche, on compte 18 soci�t�s am�ricaines, 10 japonaises, 6 allemandes, 4 fran�aises, 3 anglaises, 2 suisses, 2 hollandaises et 2 sud-cor�ennes. Ces donn�es, qui confirment le r�le strat�gique de la technologie pour les industriels confront�s � une concurrence mondiale, rendent quasiment in�ligibles les petites entreprises � supporter les d�penses de recherche et de d�veloppement. Les groupes locomotives pour les nouvelles technologies irriguent la recherche universitaire et emploient des arm�es de scientifiques et d'ing�nieurs. L'Am�ricain Amgen, leader mondial des biotechnologies, investit ainsi tous les ans dans la R&D autant que l'ensemble de la recherche publique et priv�e fran�aise. Pour revenir � notre propos, en Alg�rie l'entr�e dans le monde des affaires est rapport�e � une �quation simple avec pour inconnues : le foncier, le cr�dit et la fiscalit�. Il y a beaucoup � dire sur la constitution des fonds propres et les conditions et modalit�s d'acc�s au cr�dit, premi�re pierre de l'�difice d'accumulation. La dissolution des banques priv�es et les scandales qui n'arr�tent pas de secouer celles de l'Etat � coups de milliards de centimes d�passent l'entendement. Une question hante les esprits d�sint�ress�s : peuton r�duire un processus aussi complexe aux seuls param�tres administratifs symbolis�s par l'inculte et v�reux fonctionnaire tapi derri�re le comptoir pour l'attente de pots-de-vin venant, la pr�cision s'impose, de ceux qui veulent bien (ou tiennent parfois �) les donner ? Une �tude (*) parue le mois dernier sous un titre �loquent : �La richesse des nations �tait-elle d�termin�e en 1.000 avant J�sus- Christ ?� soutient, aussi incroyable que cela puisse para�tre, que les techniques ma�tris�es par les anc�tres des peuples de diff�rentes communaut�s, il y a trois mill�naires, influent directement sur leur niveau de d�veloppement d'aujourd'hui. Comme pour mettre en garde contre les �parvenus�, trois �conomistes, professeurs aux Etats-Unis, font le lien entre la richesse actuelle d'une centaine de pays et l'�tat de leurs technologies il y a 500, 2.000 et 3.000 ans. Les conclusions sont stup�fiantes : �Notre d�couverte la plus robuste est que la technologie en 1.500 apr�s J-C compte pour les performances d'aujourd'hui en mati�re de d�veloppement, une �poque tr�s ancienne quand nous consid�rons que la plupart des discussions sur le d�veloppement des pays portent sur l'�poque d�butant avec les grandes d�couvertes europ�ennes et la colonisation. Encore plus surprenant : la technologie en 1.000 avant J-C et au d�but de notre �re exerce � maints �gards un effet significatif.� La port�e de l'�tude d�passe largement les historiens. Rappelant le r�le central de la technique dans le d�veloppement et la croissance, elle contredit la primaut� donn�e par beaucoup d'�conomistes � l'essor d�mographique ou � l'accumulation primitive du capital. Elle minimise aussi le r�le des institutions, que nombre de chercheurs ont mis en valeur ces derni�res ann�es, en �tablissant qu'elles �taient plus volatiles que l'enracinement de la technologie. Notre croissance doit peut-�tre moins � la d�cision d'un ministre, aussi brillant soit-il, qu'� la trouvaille d'un laborieux artisan il y a des mill�naires. Que M. Benachenhou ait donc raison sur l'essentiel n'excuse pas ceux qui ont �labor� et, surtout, conduit la politique �conomique avec son lot d'��cueils bureaucratiques �, correspondant � autant de paliers de ponction (par la corruption), et la �pression fiscale� id�ologiquement orient�e et certainement non indemne, elle aussi, de pr�dispositions � la corruption. Ce qui, pour rejoindre encore une fois M. Benachenhou, n'entache ni le bien-fond� des r�formes, ni �le principe de l'ouverture par l'Etat�. Le d�bat se situe autour de �la qualit� de l'ouverture � (et aussi de son rythme) tributaire de �l'action de tous les acteurs, dont l'Etat�. A. B. (*) �Was the Wealth of Nations Determined in 1000 B.C. ?�, par Diego Comin, William Easterly et Erick Gong, NBER, octobre 2006.