Le progr�s technologique ressemble aux �ennuis� de Woody Allen. "Les ennuis, a-t-il coutume de dire, c'est comme le papier hygi�nique, on en tire un, il en vient dix." Le cabinet Gartner vient de recenser dix grandes tendances pr�visibles dans les technologies de l'information. L�une d�entre elles est que �d'ici 2010, 60% de la population mondiale dot�e d'un t�l�phone portable sera "tra�able" via l'�mergence d'un internet mobile, en raison des exigences accrues de s�curit� nationale ainsi que d'incitations commerciales, qui feront oublier aux utilisateurs leurs r�ticences en ce qui concerne la protection de la vie priv�e�. Cette tendance n�est rien d�autre que la localisation g�ographique des t�l�phones mobiles gr�ce � une technologie de "filature par Internet". Elle est soutenue par la demande de protection croissante des consommateurs. �Big Brother� qu�Owen nous a pr�dit dans son c�l�bre roman 1984 est un enfant de ch�ur ou une relique de mus�e devant le nouveau venu de la nouvelle �tape, post-informatique, de la r�volution num�rique. Pire que lui, il y a �Bluetooth�. C�est le sobriquet que les ing�nieurs donnent � la puce �lectronique recourant � des signaux � tr�s haute fr�quence pour relier entre eux, sans le moindre fil, plusieurs appareils �lectroniques. Ce sobriquet est tir� du nom du roi viking Harald Blatand (�Bluetooth� en anglais ou �Dent bleue� en fran�ais) qui r�gna au Xe si�cle sur le Danemark et la Norv�ge. Son go�t immod�r� pour les myrtilles lui valut ce surnom. Mais c�est � ses talents de communicateur et d�unificateur, sous la banni�re chr�tienne, qu�il a �t� choisi comme patron de cette puce. La nouvelle tendance qu��voque le cabinet Gartner et que combattent les altermondialistes tient principalement aux nanotechnologies permettant le d�veloppement des puces intelligentes (gr�ce � la technologie RFID : radio frequency identification). Coll�es sur des objets, ces puces peuvent communiquer sans contact en utilisant des ondes radio. Quoique particuli�rement marqu�e en informatique, la miniaturisation est une caract�ristique du progr�s technique qui se retrouve dans bien d�autres domaines. Informatique �omnipr�sente�, �ubiquitaire� ou encore, en franglais, �pervasive� : c�est le nom donn� � cette science qui, d�ici quatre ans, permettra � ces 13 milliards d�objets dot�s d��lectronique et capables de communiquer entre eux d��tre en la possession d�un milliard d�individus. La Mairie de Paris vient de d�cider l'implantation d�une puce RFID dans chacun des 95 000 arbres de la capitale fran�aise. Chaque arbre disposera d�sormais de sa propre "carte d'identit�" informatique permettant de recueillir des informations pr�cises et actualis�es sur son �tat de sant�. La puce RFID est implant�e � deux centim�tres de profondeur dans le tronc sous la forme d'un petit cylindre de verre de trois centim�tres de long qui int�gre le num�ro d'identification de l'arbre. En passant un lecteur � quinze centim�tres de la puce, les horticulteurs peuvent acc�der � la fiche de chaque arbre qui est rentr�e dans une base de donn�es. Ainsi, les technologies d�identification et de tra�age se d�veloppent, synonymes � la fois de nouveaux usages, gr�ce � des outils qui faciliteront la vie quotidienne des hommes, par exemple dans leurs d�marches administratives, mais aussi de contr�le g�n�ralis� de tout. Le g�niteur de Bluetooth est le pr�fixe �nano� : c�est un s�same puissant et magique, n�buleux et effrayant � la fois qui recouvre toute recherche et manipulation � l��chelle du nanom�tre (un milliardi�me de m�tre), donc aux �fronti�res de l�infiniment petit�. Mais il semble aller bien au-del� : il touche � la physico-chimie des mat�riaux, aux technosciences de la mati�re, de la vie, de l�information. Pour avoir une id�e de sa taille, un nanom�tre, c'est un millioni�me de millim�tres, soit 10-9 m�tres. A cette �chelle, un homme mesure ainsi 1,7 milliard de nanom�tres et un cheveu fait 50 000 nanom�tres de diam�tre. On est donc dans le domaine de l'infiniment petit, au c�ur m�me de la mati�re : il faut dix atomes d'hydrog�ne mis bout � bout pour atteindre 1 nanom�tre. L'�chelle nanom�trique n'est pas une simple miniaturisation du monde : c'est un bouleversement complet des lois de la physique que nous connaissons. A l'�chelle de l'atome, les propri�t�s des mat�riaux (conductivit�, point de fusion, opacit�) changent du tout au tout : le cuivre devient �lastique, les m�taux isolants et le carbone plus dur que l'acier. C'est pourquoi on parle de "r�volution nanotechnologique". Une r�volution qui permet de manipuler les atomes, �l�ments constitutifs de la mati�re. Sa rampe de lancement : le microscope � effet tunnel, mis au point en 1982, qui a permis � la fois ce �zoom dans l�univers de l�atome � et l��ing�nierie lilliputienne �, qui d�place les atomes � volont�. Les perspectives de �manufacture mol�culaire� bross�es par Eric Drexler dans �Engines of creation� se sont ouvertes. On commence � fabriquer brouettes, aspirateurs, voitures mol�culaires, transistors � un seul atome, ordinateurs quantiques. Quel que soit le sens qu�on donne aux nanotechnologies, toujours est-il que les nanomat�riaux sont d�j� bien l�, d�j� commercialis�s, sous forme de nanotubes de carbone, de nanolasers dans les lecteurs de DVD, de nanopuces pour le diagnostic biologique, etc. Observer la mati�re et la travailler � l��chelle atomique constitue un horizon fascinant d�innovations prometteuses. Le r�ve est bien de �refaire ce que la vie a fait, mais � notre fa�on�, selon les termes du prix Nobel de chimie 1987 Jean-Marie Lehn. Certains affirment m�me que la technique doit relayer l��volution darwinienne pour prendre en main le destin de l�humanit�. Trois secteurs sont particuli�rement impliqu�s dans les nanotechnologies : l'�lectronique, les mat�riaux et la sant�. Selon Bill Joy, cofondateur de Sun Microsystems, la combinaison des technologies de l'information et des nanotechnologies devrait g�n�rer au XXIe si�cle une richesse de un million de milliards de dollars. 100 fois celle de l'�conomie am�ricaine. Ces chiffres donnent le vertige parce qu�ils ne rel�vent pas du tout de la prospective. Selon la NSF (National Science Fondation), les produits issus des nanotechnologies g�n�reront un march� de mille milliards de dollars d'ici 2015. Devant de telles pr�visions, la course a d�j� commenc�. L�an dernier, les Etats- Unis ont investi plus de 500 millions de dollars dans le secteur. Les Japonais ont lanc� un grand programme national baptis� "Nanosciences". La Cor�e du Sud a d�bloqu� 2 milliards de dollars pour les nanotechnologies sur la p�riode 2001-2010. Au total, 1500 entreprises dans le monde sont en train de d�velopper des recherches dans des domaines aussi vari�s que l'�lectronique, le g�nie civil, les mat�riaux, les biotechnologies ou la pharmacie. Comme � l��poque de la r�solution industrielle, les premi�res manifestations de rejet violent, voire de casse, n�ont pas tard� � appara�tre. Lundi dernier, le repr�sentant du mouvement altermondialiste Attac s�est attaqu� � �la mascarade � des nanotechnologies, tandis que les scientifiques ont mis l�accent sur une ��ducation� �une information pr�cise� du public, lors d�une rencontre � la Chambre de commerce et d'industrie de Grenoble, en France. Grenoble attire des centaines de millions d�euros pour alimenter un r�seau �rechercheindustrie- universit� par lequel �lus, scientifiques et industriels �uvrent � d�velopper la recherche publique et priv�e en micro et nanotechnologies. Des affrontements entre policiers et manifestants ont d�j� marqu� l�inauguration du premier technolopole en juin 2006. Affrontements n�s d�inqui�tudes l�gitimes li�es � la toxicit� des nanoparticules, le contr�le d�mocratique des technologies d'identification, ou encore des anticipations technologiques comme �les nanocam�ras au service de dictatures�. Les �coles juridiques soucieuses de rassurer les plus sceptiques avancent le �principe de pr�caution� devant �tre mis en �uvre � un moment o� la mise en danger est encore relative. Ce principe vise par cons�quent � limiter les risques au sujet desquels r�gne encore beaucoup d�incertitude. Appliqu� � la soci�t� de l�information, il exige d�emp�cher toute expansion irr�versible de technologies susceptibles de causer de gros dommages. Il sert de ce fait aussi � conserver des espaces ouverts pour de nouvelles conqu�tes scientifiques. C�est l� un des �l�ments-cl�s d�un d�veloppement d�mocratique durable empreint de solidarit� envers les g�n�rations futures.