L��conomie semble avoir repris ses lettres de noblesse dans les discours du pr�sident Bouteflika. On peut m�me relever une nouvelle orientation, et pas seulement dans le discours de la politique �conomique, nouvelle orientation faite de retour de l�Etat dans l�animation de l��conomie, dans l�investissement et dans la redistribution. Cette rectification est certainement � prendre en consid�ration. Mais l�action sur l��conomie seule, quelle que soit son ampleur peut-elle suffire � mettre le pays sur une trajectoire de reconstruction s�rieuse ? A-t-elle seulement quelques chances de succ�s si elle n�est pas accompagn�e de conditions politiques qu�il faut imp�rativement mettre en place ? En effet, depuis la fin des ann�es 1980, les Alg�riens exigent du syst�me politique en place qu�il change de �r�gles du jeu�, qu�il se r�forme, en un mot, qu�il s�ouvre. Il s�agit pour �tre plus pr�cis de mettre fin aux trois monopoles qui ont brid� la soci�t� : le monopole politique exerc� par le parti unique, selon lequel seuls les militants du parti au pouvoir acc�dent aux sph�res de d�cision, le monopole id�ologique qui a impos� le �politiquement correct� exerc� par le parti-Etat et qui proclamait ennemis de la patrie tous ceux qui pensaient diff�remment de l�id�ologie du parti au pouvoir et le monopole �conomique qui impose � l��conomie le contr�le politique du pouvoir : la gestion de l��conomie et la d�signation de ses managers est le fait de l�Etat � sur la base non pas de la comp�tence et de la qualification mais de la fid�lit� politique � et l�entreprise priv�e est � peine tol�r�e, cantonn�e dans les activit�s de faible importance. D�s la seconde moiti� des ann�es 1980, la nouvelle �quipe arriv�e aux commandes du pays pense trouver des solutions � la crise que traverse l�Alg�rie, en tout premier lieu, dans, pr�cis�ment, la r�duction des contr�les politiques directs qui s�exer�aient sur l��conomie et dans l��limination de la gestion administrative qui la caract�risait. En un mot, de la lib�ration de l��conomie de la domination du parti-Etat et de l�oligarchie qui gravite autour. Elle privil�gie alors dans son action de r�forme du syst�me la sph�re �conomique. L��conomie de march� est ainsi per�ue comme le seul syst�me �conomique capable d�oxyg�ner non seulement l��conomie, mais dans le m�me temps, toute la soci�t�, notamment en lib�rant les initiatives. On attend de ce syst�me d��conomie de march� qu�il lib�re les entrepreneurs, notamment publics, du contr�le politique de l�Etat et qu�il assure la n�cessaire s�paration des gestions politique, sociale et �conomique. Bien �videmment, l��conomie de march� �tait aussi per�ue comme un ensemble de conditions � m�me d�assurer une gestion �conomique plus efficace et donc comme un syst�me de gestion capable de garantir la relance de la croissance �conomique. Jusque-l� rien d�original, les �transitions� qui sont en �uvre dans les PECO (pays d�Europe centrale et orientale) rel�vent, � leurs d�buts, de la m�me �valuation. La question qui se profilait mais qui n�a jamais �t� explicitement pos�e �tait d�j� celle de savoir si l��conomie de march� avait besoin, pour produire tous ses effets et entra�ner la mutation syst�mique de la soci�t� alg�rienne, d�un Etat fort et autoritaire ou, au contraire, d�un syst�me politique ouvert, pluraliste et d�mocratique ? On sait que l��conomie de march� peut fonctionner sans d�mocratie. De m�me l��conomie de march� n�entra�ne pas, automatiquement, � la d�mocratie. Les exemples de la Chine, du Vietnam, ou encore celui de la Cor�e du Sud ou du Chili de Pinochet confirment cela. Dans les pays du Sud, il y a m�me le risque de voir le march� laiss� � lui-m�me, d�truire la d�mocratie. Ces pays restent en effet dans leur grande majorit� caract�ris�s par l�analphab�tisme, la maladie, les in�galit�s sociales, les disparit�s r�gionales... Or, ces maux sont les adversaires de la d�mocratie. Est-ce que le march� pourra, par lui-m�me, les gommer ? Assur�ment non ! Ainsi, l�approche alg�rienne qui privil�gie la r�forme de la seule sph�re �conomique pour garantir la mutation de l�ensemble du syst�me prend tous les risques de faire avorter la transition. Sans r�gulation politique d�mocratique, le fonctionnement de l��conomie de march�, en Alg�rie comme dans les autres pays du Sud, accentuera les in�galit�s sociales, la contestation politique et donc les risques d��chec. L��conomie de march� sans d�mocratie a peu de chances de conduire au d�veloppement �conomique. L��conomie de march�, m�me avec forte intervention de l�Etat comme cela est aujourd�hui le cas de notre pays, sans d�mocratie a peu de chances de conduire au d�veloppement �conomique. Les exp�riences de d�veloppement r�ussies, c�est-�-dire, inclusives, nous apprennent que l��conomie de march� produit le d�veloppement si elle s�accompagne d�une gestion politique d�mocratique des tensions sociales. Les crises sont souvent le r�sultat d�une gestion inad�quate des risques de rupture sociale qui font suite � la lib�ralisation de l��conomie. C�est la d�mocratie et en premier lieu le pluripartisme effectif et non virtuel qui permet la gestion politique des tensions sociales qui peuvent na�tre du march� car elle dote le syst�me politique d�un r�le de m�diation aussi bien entre les acteurs sociaux qu�entre ceux-ci et l�Etat. Il faut pr�ciser aussi le point qui a trait au rapport de l�Etat � la d�mocratie : la d�mocratie suppose un Etat moderne et � son tour un Etat moderne est avant tout un Etat d�mocratique. Les exp�riences r�centes des pays � d�mocratie lib�rale r�v�lent que l�Etat moderne est cet Etat qui produit et assure trois conditions : 1) le consensus politique autour d�une Constitution d�mocratiquement admise et respect�e par tous ; 2) la coh�rence administrative ; 3) la coh�sion sociale. 1) L�Etat moderne sait organiser l��laboration pacifique d�un compromis entre les int�r�ts collectifs antagonistes pr�sents dans le corps social. Ce compromis est ensuite traduit en r�gles de vie collective nouvelles : le droit. L�Etat moderne est dot� de la �l�gitimit� d�mocratique� et le droit est d�abord au service de la lutte contre toute forme de dictature. 2) L�Etat moderne doit savoir aussi organiser l��galit� de traitement de l�ensemble des administr�s devant l�acc�s aux grands services publics (�ducation, sant�, transport, s�curit� publique, solidarit� fiscale). L�Etat moderne n�admet ni r�seaux relationnels ni relations de pouvoir. L�Etat moderne se d�finit par l��quit�, c�est-�-dire l��galit� des chances des citoyens. 3) Enfin, l�Etat moderne est celui qui sait assurer le d�veloppement du sentiment national. Ce sentiment qui se traduit par l�acceptation partag�e des institutions communes qui permettent l��laboration pacifique d�un compromis social. Le sentiment national est ce sentiment d�appartenir � un ensemble coh�rent et porteur d��quit�. On voit bien que la construction d�un Etat moderne, c�est-�-dire d�un Etat d�mocratique, est une condition imp�rieuse pour r�ussir le d�veloppement �conomique. Faire de la relance c�est bien, se d�sendetter aussi, mais faire tout cela dans la d�mocratie c�est assur�ment mieux.