La communaut� nationale des architectes vient de perdre l�un de ses membres les plus talentueux m�me si sa modestie l�a r�duit � �tre m�connu en son propre pays. C��tait aussi un homme de c�ur, visc�ralement attach� � son pays, ses habitants et leurs coutumes dont il s�inspirait volontiers de ses �uvres. C�est dire combien ses amis autant que sa famille peuvent pleurer la disparition de cet homme d�exception. Il a de qui tenir ces hautes qualit�s morales, lui le fils respectueux du Cheikh Djellouli El Meliani, son p�re, cet autre homme de pi�t� et de connaissances religieuses qui avait consacr� toute sa vie � la protection du mausol�e de Sidi Abderrahmane El Tha�libi, ce ma�tre symbolique d�Alger. C�est, d�ailleurs, en cet endroit enfoui au c�ur de la Casbah qu�Abdennour lui-m�me, selon sa volont�, vient d��tre enterr� � l��ge de 56 ans. Dot� d�s son plus jeune �ge de facult�s artistiques peu habituelles, Abdennour s�est orient� vers les �tudes d�architecture qu�il a brillamment suivies dans la prestigieuse Ecole des beaux-arts de Paris dont il est sorti dipl�m� en 1976. Il aura vite fait de se heurter, de retour au pays, aux pesanteurs du syst�me et � la bureaucratie tatillonne. Aucune opportunit� s�rieuse ne lui a �t� offerte � ne lui sera offerte � pour donner la mesure de son talent, luim�me refusant, au surplus, de concourir pour des projets officiels o� son esprit d�innovation et l�audace de son g�nie cr�atif auraient �t� fatalement brid�s. Certes, il eut � donner, presque par accident, un aper�u de son talent � travers de modestes mais int�ressantes r�alisations � l�int�rieur du pays, dont il tirait fiert�, en effet, tant il estimait que la beaut� et l�esth�tique introduites dans des habitations collectives constituaient un droit pour les citoyens. Mais ce sont, en d�finitive, les demeures de ses amis qui ont permis, le plus, � son g�nie d��clater. D�apparence toujours sobre, largement �clair�es avec des lignes � l��l�gance �pur�e, ces demeures portent, chacune � sa mani�re, la trace de l�imagination vagabonde de l�architecte, mais encore plus sa marque affective tant il est vrai que sur chaque arpent de terrain dessin� et dans chaque espace construit, il aura laiss�, par la force des choses, une partie de lui-m�me. Pour avoir pr�f�r� �tancher la soif esth�tique de ses amis plut�t que de r�aliser des b�timents administratifs d�sincarn�s, il lui fallait, sans doute, �tre d�tach� des attraits mat�riels de la vie. Je peux t�moigner qu�il leur vouait du d�dain. Hormis le cigare qu�il conservait �ternellement aux l�vres et les bottes anglaises vieillies mais dont il prenait grand soin, rien dans son comportement de tous les jours ne laissait poindre un quelconque go�t du luxe� D�j� mari� et engag� dans la vie professionnelle, dispens�, pourtant, des obligations du service national, il eut la surprise de recevoir une convocation pour une contrevisite m�dicale car il �tait estim� que l�affection qu�il avait contract�e avait du dispara�tre entre-temps. Imparable mode de r�flexion de l�administration publique en Alg�rie. Il vint me voir, alors, avec une requ�te d�routante : �Trouve-moi la solution que tu veux, l�essentiel est que l�administration ne me court pas derri�re la vie durant�� Je lui proposais d�accomplir les obligations du service national sous la forme civile, en usage exceptionnel alors, et il fut affect� � l�Ecole militaire d��ducation physique et sportive, bifurcation importante dans son itin�raire, puisqu�il noua de profondes et durables amiti�s parmi tous les officiers qu�il eut � rencontrer, du plus �g� au plus jeune, du plus grad� au simple djoundi. Mais ses v�ritables compagnons furent, sans doute, les grands architectes de ce monde dont il aimait � contempler, voluptueusement, les �uvres. Son c�ur balan�ait, incontestablement, vers Pouillon, cet autre architecte talentueux � l�itin�raire contrari�, dont il aimait � �voquer les �uvres essentielles en soulignant combien elles s�adaptaient au contexte m�diterran�en de l�Alg�rie. Il �tait, aussi, adepte de Le Corbusier, artiste et b�tisseur audacieux s�il en fut, comme il aimait � le dire. Combien il prenait plaisir, �galement, � r�fl�chir et � propos des grands d�fis urbanistiques de l�Alg�rie, critiquant, sans m�nagement, la production massive d�habitations au d�triment de la qualit� et de l�esth�tique. L�une des rares fois o� je le vis sortir de sa s�r�nit� l�gendaire, ce fut bien lorsqu�un de ses confr�res, plaisantant au demeurant, lui fit le reproche d��tre �un architecte du luxe�. Il s�offusqua, en effet, froissant ses dessins pour se murer un moment dans le silence avant d�exploser : �C�est l�imb�cillit� des hommes et l�incurie des responsables qui font croire que la beaut� est un luxe dont le peuple doit �tre priv� !� Le destin aura voulu que je ne rencontre pas pour ses derniers jours Abdennour d�j� affect� par la maladie et je conserve au fond de mon c�ur l�image de son personnage n�glig�, mais �l�gant, affable et toujours souriant. Ne pouvant parler, il m�adressait des SMS pleins d�attention et totalement r�v�lateurs d�une personnalit� profond�ment bonne et passionn�ment id�aliste. Djellouli Abdennour a rejoint l�Eternel en sa derni�re demeure, je suis fier d�avoir compt� parmi ses amis.