�Le pr�sident Mitterrand donnait l�impression de revisiter sans cesse son ancienne relation avec l�Alg�rie coloniale qu�il semblait vivre plut�t mal avec le temps.� Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Mohamed Chafik Mesbah : Justement, je vous invite � revenir sur votre passage � la t�te de la diplomatie alg�rienne et de vous attarder sur des personnalit�s que vous avez eu � rencontrer alors... Sid-Ahmed Ghozali : Mes navettes diplomatiques m�ont conduit � plusieurs reprises aupr�s d�un certain nombre de chefs d��tat, dont les plus fr�quemment rencontr�s, en mes qualit�s de ministre des Affaires �trang�res ou de missionnaire du pr�sident Chadli Bendjedid, furent, je cite les noms dans l�ordre o� ils me viennent � l�esprit, Fahd Ibn Abdelaziz, Hussein de Jordanie, Hafedh El Assad, Hassan II, Fran�ois Mitterrand, Juan Carlos, Giulio Andreotti d�Italie, Yasser Arafat, Nelson Mandela, Hosni Moubarak, Ma�mmar El Kadhafi, Zine El Abidine Benali de Tunisie, Saddam Hussein, Baudouin. La fr�quence des rencontres aidant, il est arriv� que l�entretien f�t une place � une communication o� la personne perce la carapace du chef d��tat. On dit dans ces cas que le courant passe. Ce fut le cas avec bon nombre d�entre eux. Il s�imprime alors dans la m�moire des impressions marquantes, souvent enrichissantes et d�autant plus vivaces qu�elles se rapportent � des probl�matiques pass�es mais qui demeurent toutes d�une br�lante actualit�. Cela va de l�impression de bonhomie bourr�e de bon sens ramen�e du Caire, � la perception d�une sensibilit� aigu� et de grande culture chez Fran�ois Mitterrand, cet homme politique assur�ment exceptionnel, en fin de mandat et en plein questionnement avec lui-m�me sur sa relation pass�e avec l�Alg�rie, en passant par la roublardise bon enfant m�l�e de spontan�it� parfois visionnaire de notre fr�re libyen quand il ne cessait de nous mettre en garde sur les cons�quences de notre l�galisation des partis religieux. Hosni Moubarek inspirait le sentiment d�un homme bon et modeste, ce qui ne donnait que plus de saveur � certaines de ses r�parties frapp�es du sceau de la candeur populaire. Lors d�un d�ner intime avec ses homologues alg�rien et libyen, au Caire, d�ner o� j�ai �t� associ� en m�me temps que mon homologue Ismat Abdelmadjid, le Qa�d part dans une tirade fustigeant les Arabes qui placent leur argent dans les banques occidentales ; c��tait au lendemain du Sommet arabe du 9 ao�t 1990, le pr�sident Hosni Moubarek marmonna entre deux gorg�es de potage �Et toi tu mets ton argent o� ?� Tel un enfant pris en d�faut, le Qa�d ne pipa mot. Sur notre retour le 12 ao�t 1990 du sommet du Caire, nous avions fait une escale d�une nuit � Tripoli. Alors que nous conversions de la crise du Golfe et de l�UMA, il me voulait alors comme secr�taire g�n�ral de l�Union, le �Qa�d� se tournant ostensiblement vers moi me fit l�observation suivante : �J�ai des fois l�impression que vous les Alg�riens vous nourrissez plus d�affinit�s avec les Europ�ens qu�avec les Arabes.� J�ai compris qu�en lan�ant cette pique il s�attendait � une d�n�gation de ma part ou � une protestation de principe ; je lui r�pondis, sous le regard amus� du pr�sident : �Mais votre impression n�est pas si �loign�e du tout de la v�rit� comme vous paraissez le penser fr�re Qa�d ! D�ailleurs, ne l��tes-vous pas autant que nous puisque nous sommes avant tout des M�diterran�ens ? Et puis, que nous reste-t-il de commun avec des pays arabes qui envahissent violemment leurs voisins ? Avec d�autres Arabes qui en appellent � la rescousse des troupes �trang�res pour matraquer un autre pays arabe ?� J�ai fait partie de la d�l�gation alg�rienne qui �tait au si�ge de l�OPEC � Vienne lors de l�assaut donn� par le groupe de Carlos le 20 d�cembre 1975. Zaki Yamani, le ministre saoudien qui avait �t� d�sign� avec l�Iranien Jamshid Amouzegar et leurs adjoints directs parmi les premi�res personnes qui seraient immol�es, s�il n��tait pas fait r�ponse aux exigences du commando, a indiqu� que l�op�ration avait �t� commandit�e de Libye. Estce parce que l�occasion idoine ne s�est jamais pr�sent�e ou est-ce parce que je n�aurais pas su la saisir ? Le fait est que je ne suis jamais all� � ce jour jusqu�au bout de la promesse que je m��tais faite d��voquer la question avec le Qa�d. Peut-�tre y parviendrai-je un jour, qui sait ? Il y a eu aussi la forte douleur que je ramenais de mes entretiens avec Saddam Hussein, devant l�immense g�chis que les calamiteuses d�cisions d�un seul homme peuvent causer � des centaines de millions d�humains ; un g�chis qui donne la mesure de l�extr�me fragilit� des hommes pr�tendus forts parce qu�ils dirigent de la mani�re forte et brutale, de l�extr�me vuln�rabilit� d�un syst�me politique bloqu� qui ne laisse aucune place � la contradiction et se met, de ce seul fait et de lui-m�me, dans une situation de totale ins�curit� ; un syst�me qui, de par sa nature m�me, se pr�te � marcher, durant des ann�es, voire des d�cennies dans toutes les manipulations ext�rieures qui sont faites pour le perdre. A l�autre extr�me, le sentiment d��tre en pr�sence d�une incarnation de la force des institutions et de leur r�le capital dans la vie d�une nation. Le r�confort que procurent la vision r�volutionnaire authentique et la force morale r�unies dans le chef d�un m�me homme politique africain, Nelson Mandela. Pouvez-vous �voquer, plus particuli�rement, le souvenir du pr�sident Fran�ois Mitterrand, dans son profil personnel et dans ses rapports avec l�Alg�rie ? J�ai connu Fran�ois Mitterrand en trois temps diff�rents. Au milieu des ann�es 1970 � la faveur des rencontres au sommet FLN-PS. C��tait par Lionel Jospin qui, l�accompagnant dans un ou deux s�jours alg�rois en sa qualit� de secr�taire national aux relations ext�rieures du PS, en profitait pour passer � la maison un moment en famille ; car il existait d�j� une amiti� personnelle qui s��tait �tablie depuis 1958 par un concours de circonstances fortuites : nous avions �tudi� durant trois ann�es dans la m�me rue des Saintsp�res, de part et d�autre du boulevard Saint- Germain, l�un � l��cole nationale d�administration et l�autre � 200 m de l� � l��cole des ponts et chauss�es. Nous logions dans la m�me cit� universitaire dans deux b�timents communicants ; last but not least, il y avait notre militantisme pour la cause alg�rienne, chacun dans son propre cadre national, l�un au sein de l�Union des �tudiants de France, l�Unef, et de l�Union de la gauche, l�autre dans l�organisation clandestine du FLN. Mes contacts avec Fran�ois Mitterrand �taient donc plut�t priv�s, sporadiques et impersonnels, comme c��tait le cas � Paris lors de colloques sur les relations Nord-Sud ou sur la M�diterran�e. Il y a eu aussi, en novembre1974, ce d�ner � la r�sidence de notre ambassadeur en France, il �tait en compagnie de Pierre Mend�s France, j��tais aux c�t�s de Bela�d Abdesselam en mission officielle � Paris. Sept mois plus t�t il avait �t� battu d�un nombre de voix �gal � celui des Comores par Val�ry Giscard D�estaing aux pr�sidentielles de succession � Georges Pompidou. Il nous avait expliqu� comment les deux candidats �taient convenus de refaire les �lections dans le cas o� la diff�rence des votes ne d�passerait pas le nombre des voix des Comores, parce qu�ils s��taient rendu compte que le chef des Comores les avait promises � chacun d�eux. Val�ry Giscard D�estaing les ayant emport�es en fin de compte aurait ainsi oubli� ses engagements. Dans un deuxi�me temps, ce sont mes charges aux Finances et aux Affaires �trang�res qui me conduisaient � l��lys�e, des fois seul, tant�t en compagnie de mes coll�gues saoudien et marocain, tant�t dans la suite du pr�sident Chadli Bendjedid. C��tait pour le traitement des contentieux financiers alg�ro-fran�ais qui s��taient accumul�s durant la d�cennie 1980, ou lors des laborieux processus euro-arabe, euromaghr�bin, France-Afrique ou dans le cadre des efforts parall�les alg�riens et fran�ais, dans les affaires libanaise ou irako-koweitienne. Vous avez eu � l�approcher, plus souvent, en qualit� d�ambassadeur � Paris� C�est en ambassadeur d�Alg�rie, en effet, que je l�ai approch� le plus et le plus fr�quemment. C��tait une p�riode particuli�re pour lui comme pour moi, car il �tait � moins de trois ann�es de la fin de son mandat et sa maladie avait progress�. Ce sont des moments de v�rit� pour tout �tre humain. Son premier mot pour moi quand je lui pr�sentais mes lettres de cr�ances en d�but d�cembre de 1992 en la pr�sence de Roland Dumas fut : �Je veux d�abord dissiper un malentendu entre nous : non seulement je ne vous ai pas critiqu� mais je consid�re au contraire que ce que vous avez fait �tait tr�s courageux. � Il se r�f�rait � sa d�claration du lendemain de la d�mission de Chadli Bendjedid et de l�interruption du processus �lectoral. �Il faut que le processus d�mocratique reprenne le plus t�t possible.� Invit� par un journaliste fran�ais � commenter ladite d�claration, j�avais r�pondu : �Inacceptable. � A la fin de la c�r�monie protocolaire, il me dit son souhait de m�inviter � d�jeuner au Palais de l��lys�e une fois tous les trois mois. �Chose que je ne fais qu�avec trois autres ambassadeurs, l�Anglais, l�Allemand et le Sovi�tique� Je compte sur vous pour me le rappeler s�il advient que je n�en prenne pas l�initiative. � La premi�re de ce type de rencontres eut lieu apr�s la premi�re quinzaine de janvier 1993. Il aimait � prolonger la conversation au moment du caf�. Ces momentsl�, je croyais entendre l��tre humain se parler � lui-m�me, ou le Fran�ais qui se confiait � l�Alg�rien, plus souvent que je n�entendais le propos du chef d��tat face � l�ambassadeur. L�homme donnait l�impression de revisiter sans cesse une ancienne relation avec l�Alg�rie coloniale qu�il semblait vivre plut�t mal avec le temps, pendant que le Fran�ais semblait chercher les occasions pour se montrer solidaire de l�Alg�rien en difficult�. Quant au chef d��tat, �tait-il en qu�te d�un quelque chose que l�histoire substituerait enfin � l�obs�dante d�claration de Batna : �La seule n�gociation c�est la guerre� ? Vous avez �voqu� le poids de l�histoire dans les relations entre les deux pays, l�Alg�rie et la France... Un jour, c��tait en hiver et nous �tions assis au coin chemin�e, nous �voquions l�histoire de la colonisation fran�aise en Alg�rie, lorsqu�il m�interrompit par une surprenante question : �Combien y a-t-il eu de morts durant la guerre d�ind�pendance ?� �Les chiffres officiels diff�rent �videmment, r�pondis-je, pour nous un million et demi, pour vous cinq ou six cent mille. Si la v�rit� �tait seulement entre les deux, cela ferait quand m�me un Alg�rien sur neuf� c�est comme si la France avait perdu sept � huit millions de ses habitants en sept ans. � Il a hoch� doucement la t�te, s�est tu pendant une trentaine de secondes puis tendant sa main vers Roland Dumas, il me dit : �Vous voyez la personne qui est � c�t� de vous, son p�re a �t� ex�cut� par les Allemands. Aujourd�hui, il est en train de travailler � l�amiti� franco-allemande.� De mon c�t�, je lui livrais mon exp�rience des relations alg�ro-fran�aises, sans pr�caution protocolaire particuli�re et souvent � contre-courant des clich�s dominants en France. Si on peut charger �galement les classes politiques des deux c�t�s sur l�absence de vision, c�est en Alg�rie que l�opinion publique a �t� la plus m�ture d�s l�ind�pendance. Comme s�il avait la g�opolitique dans la t�te, le peuple alg�rien est pour des relations importantes avec l�Europe, notre voisin, notamment la France. Il a toujours s�par� la probl�matique des m�faits de la colonisation pass�e de celle des int�r�ts objectifs pr�sents et futurs. D�j� en pleine p�riode coloniale, les Alg�riens, qui ont le plus souffert et ceux qui ont les premiers combattu le colonialisme, ont �t� les premiers � faire le distinguo entre le peuple fran�ais et le syst�me colonial d��tat. Mon intime conviction est que l�attachement � la pr�servation de la m�moire est, dans l�esprit et dans le c�ur des Alg�riens, totalement exempt d�un quelconque sentiment de revanche ou d�une volont� de culpabilisation d�humiliation en bloc d�un peuple, ni dans le fond ni dans la forme. Les Alg�riens, les plus attach�s � une relation exemplaire avec la France, savent bien � juste titre qu�une telle relation repose sur une reconnaissance solennelle objective que la colonisation de l�Alg�rie est pass�e par des entreprises de pillage et de massacres syst�matiques de la part d�un syst�me colonisateur d��tat. Les successeurs de Charles de Gaulle ont entretenu un contentieux psychologique personnel avec l�Alg�rie, le cas le plus �vident �tant celui de Val�ry Giscard D�estaing. Les cadres du PS, � commencer par ceux qui sont venus � la politique par la voie du soutien � l�ind�pendance, demeurent, eux aussi, frapp�s par un syndrome d�un autre genre, celui d�une Alg�rie ind�pendante qui avait le tort de ne pas ressembler assez � celle de fantasmes paternalistes refoul�s � ce jour. Vous aimez � citer, � cet �gard, l�exemple d�sint�ress� du professeur Andr� Mandouze� Oui, car il ne cessait de r�p�ter � ceux qui r�vaient : �Tu ne convoiteras point la r�volution des autres.� C��tait un intellectuel fran�ais hors normes, fondateur du journal le T�moignage chr�tien, il fut aussi un Alg�rien de c�ur et de combat. Il a incarn� l�intellectuel chr�tien impliqu� dans tous les combats en faveur des causes justes. Jeune agr�g� de latin et r�sistant fran�ais, puis professeur � la facult� d�Alger � la fin de l�occupation nazie en France, il a soutenu activement le mouvement national et la cause de l�ind�pendance alg�rienne au p�ril de sa vie. Il a essuy� sans jamais faillir les menaces et agressions incessantes de la part des fascistes d�Alger, la pers�cution exerc�e � son encontre par l�administration d�un pays pourtant cens� �ne pas emprisonner Voltaire�. C�est au cours de son s�jour � la prison de Fresnes qu�Andr� Mandouze, qui �tait � l��poque pour les jeunes de ma g�n�ration une figure embl�matique des luttes en faveur des libert�s, tissa les premiers liens personnels avec d�autres cod�tenus alg�riens, notamment cinq chefs historiques de la R�volution : Boudiaf, Ben Bella, Khider, Bitat et A�t Ahmed. Il a �t� le premier directeur de l�Enseignement sup�rieur de l�Alg�rie ind�pendante et a quitt� l�Alg�rie en 1965. Il y revint en 1992 revoir Mohamed Boudiaf. Il a partag� avec nous le retour de ce dernier avec la m�me ferveur que la n�tre. Sa passion pour l�Alg�rie �tait rest�e intacte, parce qu�il l�a v�cue pleinement, lucidement, en pleine conformit� avec le principe qu�il a superbement �nonc� : �Tu ne convoiteras point la r�volution d�autrui.� Il n�a manqu� � aucun moment au peuple alg�rien, car son c�ur battait � l�unisson du n�tre, aux moments de tous les dangers comme � la lueur des grands espoirs. Son d�sir le plus ardent �tait que �les Alg�riens se r�approprient saint Augustin� dont il fut un grand sp�cialiste. Il n�avait cess� de marteler cette invite devant l�auditoire que j�avais r�uni pour l��couter au Palais de la culture. L�observation pr�liminaire � son expos� �tait : �L��uvre de saint Augustin s��value � 250 tomes : il �tait excessif� comme tous les Alg�riens. � En v�rit�, durant plus de cinquante ans de sa vie, c'est-�-dire jusqu�� ses derniers jours, Andr� Mandouze n�a jamais quitt� l�Alg�rie ni dans sa t�te ni dans son c�ur. Le jour viendra-t-il o� nos programmes scolaires et universitaires incluront l�enseignement de la vie, de l��uvre et des actions de cet homme qui fait partie int�grante de notre histoire ? Dieu, qui comme l�affirmait p�remptoirement Albert Einstein �ne d�cide pas � coups de d�s�, a d� sans doute vouloir combler Andr� Mandouze en choisissant de le rappeler � lui en mai 2006 � Porto Vecchio, c'est-�-dire au milieu de la M�diterran�e, � mi-chemin entre Marseille et Annaba. Finalement, Fran�ois Mitterrand s�est-il d�li�, � la fin de sa vie, de son rapport conflictuel � l�Alg�rie ? Pour l�avoir approch� � des moments o� il faisait sa mutation dans maints secteurs, politiques et spirituels, je crois, pour ma part, que Fran�ois Mitterrand a profond�ment �volu� avec le temps. Cela n�est pas l�avis de Claude Cheysson qui est all� jusqu�� d�clarer � LCI, le jour de la disparition de Fran�ois Mitterrand, que �l�ind�pendance de l�Alg�rie lui est rest�e dans le gosier�. Je pense que Claude Cheysson, dont nul ne peut d�nier la sinc�rit� et l�amiti� envers l�Alg�rie, parlait du dernier Fran�ois Mitterrand qui est demeur� dans sa m�moire, celui de 1985 date de son d�part du Quai d�Orsay pour Bruxelles. Durant la p�riode 1989-1994, j�ai enregistr� plusieurs des gestes et d�marches de la personne et du chef d��tat qui t�moignaient d�une �vidente �vacuation de relents pass�s. Il a fait beaucoup pour �tre aux c�t�s de l�Alg�rie en difficult� financi�re. Il s�est investi personnellement et fortement dans ce domaine. Notamment en juin 1991, quand j�avais demand� � la Communaut� europ�enne de l��poque un pr�t d�aide � la balance des paiements d�un milliard de dollars am�ricains. Bien que l�Alg�rie ne f�t pas statutairement �ligible � ce type d�intervention � le seul pr�c�dent �tait un pr�t similaire accord� � un �tat europ�en, la Hongrie �, le Conseil des chefs d��tat et de gouvernement de la CE r�pondit dans des d�lais exceptionnellement rapides de quelques mois, gr�ce � la forte implication de Fran�ois Mitterrand, relay� amicalement et aussi fortement par Jacques Delors, pr�sident de la Commission europ�enne, et Pierre Beregovoy, ministre de l��conomie. Sur le plan personnel, je voudrais souligner combien Fran�ois Mitterrand s�est montr� fraternel � mon �gard. J�ai re�u la notification de ma r�vocation de l�ambassade un 12 novembre. Le 20 novembre j�ai trouv� dans le garage de la r�sidence les valises de mon successeur. Le HCE m�avait donn� un pr�avis de huit jours pour que je n�aie m�me pas la possibilit� de demander � faire mes adieux aux autorit�s fran�aises. La goujaterie n�a pas �chapp� au pr�sident fran�ais, qui m�a fait appeler par Vedrine qui me dit : �Le pr�sident tient � vous recevoir pour la visite d�adieux. � Pour me marquer une amiti� et un respect � un moment o� mes propres mandants s�appliquaient � m�humilier, le pr�sident fran�ais est pass� outre les exigences de son protocole d��tat. C��tait cela aussi l�homme d��tat Fran�ois Mitterrand. Pouvez-vous �voquer le r�le, aussi minime f�t-il, de l�Alg�rie lors de la crise du Golfe ? La p�riode de la crise du Golfe a �t� la plus frustrante de ma vie publique, la plus dure. Je l�ai v�cue de mani�re plus �prouvante m�me que mon passage � la t�te du gouvernement, passage dont les conditions ne sont pourtant pas r�put�es avoir �t� faciles. Mes d�placements � Baghdad �taient pour tenter de convaincre Saddam Hussein de retirer ses troupes du Kowe�t, de l�alerter sur les cons�quences incalculables, pour lui et pour nous tous, d�un prolongement ind�fini de l�occupation. Nous nous connaissions d�j� depuis 1974, ce qui m�autorisait � lui parler sans restriction particuli�re. Ses interventions me donnaient l�impression d�un entretien surr�aliste. Je lui disais : �Monsieur le Pr�sident, il n�est pas besoin d�expertise militaire pour savoir que vous allez avoir affaire � un pays, qui, � la veille d�entrer en guerre en 1942 contre l�Allemagne et le Japon, s�est mis � fabriquer des milliers et des milliers d�avions militaires par an, pendant que le pays de Staline de son c�t� fabriquait cent quarante mille chars par an. Or, tout � l�heure en d�barquant � l�a�roport de Baghdad, j�ai not� dix a�ronefs en stationnement, dont on m�a dit qu�ils �taient en panne par manque de pi�ces de rechange�� �En cas de guerre, ce sera l�ordinateur am�ricain contre l�ordinateur irakien et l�Irak sera d�truit en moins de temps qu�il ne faut pour le dire. � Je tiens de Tarek Aziz la narration de la promesse que fit James Baker � la d�l�gation irakienne, lors de la rencontre de la derni�re chance d�but d�cembre 1990 � Gen�ve : �Nous vous remettrons � l��ge de pierre. � Je n�ai jamais rel�ch� nos efforts en vue d��viter l�intervention militaire : du d�but de l�invasion jusque et y compris la derni�re tentative de paix effectu�e par le pr�sident Chadli Bendjedid. Je l�avais alors accompagn� dans une grande tourn�e de sensibilisation aux principales capitales du Moyen-Orient et de l�Europe occidentale, en d�cembre 1990, c'est-�-dire jusqu�� la veille de la guerre. Et ce, malgr� l�agacement, voire l�hostilit� que nous valaient ces efforts de la part de toutes les parties : l�Administration am�ricaine �tait riv�e � bloc dans sa logique de guerre et pr�te � tout pour dissuader toute action susceptible de favoriser une d�cision de retrait des troupes irakiennes du Kowe�t, �ventualit� que les strat�ges am�ricains d�signaient, c��tait connu, comme �tant le �sc�nario cauchemar� dans le sens o� un tel retrait leur �tait l�alibi de base � l�intervention de leurs troupes ; les alli�s arabes de l�Administration am�ricaine, � leur t�te les gouvernants du Kowe�t, souvent rencontr�s au Caire, � New York ou � Alger, avaient �t� satisfaits quand nous avions condamn� l�invasion, ensuite ils se montr�rent d��us quand nous n�avions pas vot� en faveur du recours aux soldats �trangers et enfin ils ne cach�rent pas leur irritation quand nous poursuivions nos efforts pour un d�part des Irakiens de leur pays ! Ne pensant qu�� en d�coudre avec leur envahisseur et lui faire payer le prix �lev�, mon coll�gue et mes amis kowe�tiens me disaient : �De quoi te m�les-tu � vouloir convaincre Saddam de se retirer ? Laissele ! Mais laisses-le donc ! D�t-il transformer le Kowe�t en un tas de cendres ! � A Alger, dans un climat de v�ritable hyst�rie collective, toutes couches sociales et politiques confondues, la presse, l�opinion alg�rienne y compris toute l�intelligentsia, toutes les sensibilit�s politiques et parmi elles ceux que l�on croit les plus averties, tous �taient dans un �tat second, aveugl�ment acquis � la folle id�e de �l�Irak quatri�me puissance militaire du monde� et d�non�aient durement le fait que nous ne soutenions pas inconditionnellement Saddam Hussein �pour une fois que nous avons un pays arabe en mesure d�infliger une correction aux Etas-Unis, criaient-ils tous�! Il a fallu six heures de d�bats � huis clos dans l�h�micycle de l�APN, pour que je d�crive � des d�put�s m�dus�s l�envers de la m�daille. Rencontr� � New York en septembre 1990, James Baker, secr�taire d�Etat am�ricain, tentait en vain de nous rallier � la �coalition militaire� � nous nous �tions abstenus lors du sommet arabe du Caire qui lui avait donn� sa b�n�diction � Il s�exclamait � l�expos� de notre position : �Qu�est-ce que c�est donc cette position qui m�contente tout le monde, qui m�contente les gouvernements am�ricain, fran�ais, irakien, kowe�tien, l�opinion alg�rienne comme toutes les opinions arabes ?� ��a s�appelle une position ind�pendante, Monsieur le Ministre�, me contentai-je de r�pliquer. Ainsi s�est termin� ce qui allait �tre notre dernier entretien jusqu�� une ann�e plus tard. J�ai v�cu les cinq mois pr�c�dant la guerre tourment� par la perspective de la destruction de l�Irak et les souffrances qui allaient en r�sulter pour le peuple irakien. Ce matin du 15 janvier 1991 qui a suivi le d�but de la guerre, le pr�sident a tenu un Conseil des ministres extraordinaire, j�ai commenc� mon expos� la voix �trangl�e. Mon passage au minist�re des Affaires �trang�res autant que ma mission de chef de gouvernement m�ont beaucoup �difi� tant sur la r�alit� du r�gime irakien que sur celle du r�gime iranien. Alors que je le recevais officiellement � Alger, mon vis-�-vis de l��poque aux Affaires �trang�res Ali Velayati, au cours d�un t�te-�-t�te qu�il avait express�ment demand�, a exprim� sans l�ombre d�une g�ne son souhait que le gouvernement alg�rien autorise l�envoi de propagandistes iraniens dans nos mosqu�es, selon ses propres termes pour �mettre les Iraniens sur un pied d��galit� avec les salafistes saoudiens�. Mani�re polie de le remettre � sa place, je m��tonnai de l�entendre vouloir transformer, avec notre b�n�diction en prime, l�Alg�rie en un champ de bataille entre la shi�a et la salafia. C�est pour dire combien les faits pass�s ont forg� ma conviction que l�instrumentalisation de l�islam et de la shi�a par le r�gime des mollahs n�est pas la manifestation innocente d�un acte de pros�lytisme d�sint�ress�, mais entre bel et bien dans le cadre d�une strat�gie h�g�monique qui va bien au-del� du voisinage asiatique de l�Iran et s��tend sur toute notre r�gion � commencer par notre pays. Voil� un r�gime que l�Alg�rie a �t� l�un des rares � soutenir de la mani�re la plus d�sint�ress�e, et ce, d�s l�instauration de la r�publique islamique. C�est gr�ce � une m�diation men�e par de hauts responsables alg�riens au nom de l�Alg�rie, m�diation dont les chevilles ouvri�res ont �t� Mohamed Seddik Benyahia et Mohamed Seghir Mostefa�, gouverneur de la Banque d�Alg�rie sur les plans politique et �conomique, relay�s sur le plan diplomatique � Washington par R�dha Malek alors notre ambassadeur aux Etats-Unis, que fut d�bloqu� le contentieux irano-am�ricain de l��poque, et ce, � la grande satisfaction et des Etats-Unis et de l�Iran. Vous semblez avoir conserv� bien de l�amertume de cet �pisode particulier de votre parcours personnel... Je m��tais d�j� familiaris� avec l�id�e que les �tats sont des �monstres froids�, mais il est vrai qu�� travers ce que j�ai v�cu durant la p�riode particuli�re de ma vie diplomatique, j�ai mesur� encore davantage combien le cynisme des �tats pouvait �tre sans limite, en particulier quand y r�gnent des r�gimes qui mettent l�homme tr�s loin du c�ur de leurs pr�occupations. Nous avons pay� le prix fort notre initiative pour une autre m�diation en faveur de l�arr�t des hostilit�s irano-irakiennes, la seule initiative d�entre toutes les autres qui f�t exempte de toute arri�repens�e politique ou mercantile : quatorze de nos dirigeants et cadres sup�rieurs, dont le m�me Mohamed Seddik Benyahia, ministre des Affaires �trang�res et membre du Bureau politique du FLN, y ont laiss� leur vie, dans le tragique crash d�un avion du gouvernement alg�rien abattu par un missile dans l�espace a�rien irako-persique. A ceux qui ont abattu notre avion en ce mois de mai 1982, nous n�avons demand� ni r�paration, ni indemnisation des familles des victimes, ni m�me l�expression d�excuses officielles. C�est par son attachement � d�fendre partout dans le monde les droits, la dignit� et l�int�grit� de ses citoyens, qu�un pays impose aux autres de le respecter. Que peut �tre le sentiment � notre �gard d�un r�gime dont les missiles ont abattu un avion gouvernemental avec � bord 14 de nos cadres dirigeants, quand il voit notre silence devant l�offense qu�il nous a faite ? Comment le r�gime iranien nous a-t-il pay�s de retour pour nos sacrifices totalement d�sint�ress�s ? Six ann�es plus tard il soutenait id�ologiquement et financi�rement l�irruption de la violence extr�miste chez nous. C�est pour cela que les relations diplomatiques furent rompues � l�initiative de l�Alg�rie, alors que j��tais chef du gouvernement sous la pr�sidence de Mohamed Boudiaf. La probl�matique iranienne aujourd�hui est enferm�e dans une alternative d�extr�mes, c'est-�-dire soit en termes guerriers soit en termes de complaisance avec le r�gime en place. La guerre � l�Iran ? Mais on a quotidiennement sous les yeux les d�sastreuses retomb�es de l�exp�dition am�ricaine de 2003 en Irak ! �L�apeasement� ? (comprenez la complaisance par la n�gociation avec le r�gime iranien). Les Fran�ais et les Anglais en 1938 n�ont rien fait d�autre � Munich que de l��apeasement� ! La signature des Accords de Munich qui ent�rinaient le fait accompli de l�Anschluss en Autriche (mars 1938) et le rattachement � l�Allemagne de territoires sud�tes en Tch�coslovaquie, Munich n�a pas emp�ch� moins d�un an plus tard� l�invasion de la Pologne puis la Seconde Guerre mondiale. Ni la guerre ni la complaisance n�y feront rien. Qu�on laisse tout simplement le peuple iranien prendre son destin en main. D�autant plus qu�� la diff�rence du cas irakien, il existe une opposition nationale qui a quarante-deux ans d��ge puisqu�elle s�est fond�e en opposition au r�gime du Shah, dans le sillage spirituel de Mossadegh. Soit dit en passant c�est un mouvement qui est demeur� profond�ment marqu� par la lutte de lib�ration alg�rienne, dont l�histoire a �t� suivie l�-bas avec passion comme un mod�le grav� dans les esprits, dans le chef des anciens comme dans celui des plus jeunes. Je suppose que l�exercice diplomatique que vous �voquez vous a permis, parfois, d�acc�der � des moments de pl�nitude� Aussi, oui en effet. De mes rapports avec le couple royal belge, � titre d�exemple, il m�est rest� d�j� cette impression de douceur et d�humilit� que d�gageait la personne de feu le Roi Baudoin, un homme de paix. C�est lui qui m�avait confi�, alors qu�il me recevait au Palais royal du temps de ma mission � Bruxelles, qu�il avait tout arrang� pour une rencontre qui devait se tenir entre Houari Boumediene et Hassan II � l�automne 1978. La disparition du premier lui laissa un grand regret. Sachant que les deux hommes n��taient pas du genre � se d�placer dans une capitale europ�enne pour le seul d�sir de prendre un th� ensemble, depuis l�information que m�avait confi�e feu Baudoin je me suis senti autoris� � croire que d�j� en 1978 nous �tions pass�s tout pr�s d�une imminente normalisation des rapports alg�ro-marocains. Le roi des Belges �tait un �rudit qui montrait une soif assidue de connaissance de notre culture et de notre religion et un homme simple. Je le vois encore courant avec une joie d�enfant, pieds nus sur une cr�te de dune du Tassili des Ajjers o� il �tait avec son �pouse Fabiola l�invit� de Chadli Bendjedid. L��vocation des rapports alg�ro-marocains me conduit � noter que c�est avec Hassan II que les occasions de rencontre ont �t� les plus fr�quentes, il est facile de comprendre pourquoi : outre la volont� de rapprochement avec le Maroc, qui �tait celle de Chadli Bendjedid et que je partageais enti�rement, il y avait la dynamique maghr�bine dont j�ai parl�, ainsi que la multiplication des crises au Moyen-Orient et o� nos deux pays se trouvaient tr�s investis. Le courant passait tr�s bien entre lui et moi, pas seulement parce que je n�ai jamais per�u les Marocains et les Tunisiens que comme faisant partie du m�me peuple que les Alg�riens. J�avais avec lui des conversations qui allaient au-del� du seul objet officiel de nos rencontres. Il m�entretenait volontiers de ce qu�il faisait, projetait ou r�vait pour le Maroc dans divers domaines. J�ai conserv� de lui l�image d�une synth�se r�ussie entre la tradition et la modernit�. Ses ach�vements doivent beaucoup, non seulement � un attachement visc�ral � sa nation mais aussi � la stabilit� qu�il a su pr�server. L��uvre en Tunisie de feu Habib Bourguiba, qu�il m�a �t� donn� de rencontrer plusieurs fois en ma qualit� de pr�sident de Sonatrach, � l�instar de celle de Hassan II au Maroc et de celle de Houari Boumediene en Alg�rie, illustrent dans mon esprit l��troite interaction entre le niveau de l�gitimit� politique d�un chef, son obsession des int�r�ts nationaux et le sentiment qu�il donne � son peuple de se vouer � ses pr�occupations. J�ai eu le privil�ge de recevoir Nelson Mandela en Alg�rie et de le rencontrer trois fois encore, alors que je repr�sentais le pr�sident � des rencontres de l�OUA, ce qui m�a valu des entretiens prolong�s avec lui inoubliables. Le dernier eut lieu tout un apr�s-midi d�un 4 juin 1991, dans un avion du gouvernement alg�rien entre Abuja et Alger o� je le laissai � l�a�roport pour qu�il continue son chemin vers Paris. C��tait un entretien que je ne peux oublier, essentiellement en raison de sa densit� et de sa longueur permise par le vol Abuja-Alger et subsidiairement parce qu�il co�ncidait avec mon rappel en urgence par le pr�sident. (Je sus en arrivant que ce f�t pour me pressentir pour la constitution du gouvernement). A la fin de sa captivit�, un moment o� tous les grands de ce monde se le disputaient, c�est lui qui avait demand� � l�Alg�rie de le recevoir pour qu�il lui exprime sa reconnaissance. Il n�a cess� de clamer durant sa visite : �C�est l�ALN qui m�a form�. � Et de r�clamer, en sus des nouvelles de Ben Bella, celles des personnes qu�il avait connues au sein de l�ALN et du GPRA et dont il avait gard� les noms en m�moire apr�s 26 ans de captivit�, � savoir le �docteur Mostefa� (Chawki) et �Djamel� (Belkacem Cherif). Qui aurait pu croire un an avant sa lib�ration que le probl�me de l�apartheid allait trouver une solution ? On ne r�alisait peut-�tre pas � sa juste mesure la dimension universelle de Nelson Mandela. Si la question d�un gouvernement mondial avait �t� envisageable, voil� un homme qui aurait �t� l�homme de la situation. M. C. M.