La polytoxicomanie, un m�lange explosif qui fait �clater en mille morceaux la cellule familiale, est de plus en plus usit�e chez les jeunes. Un spectre qui hante les parents et fait basculer le quotidien dans l�horreur. Une seule solution demeure pour sortir du cercle infernal : la cure de d�sintoxication. Toutefois, il n�existe actuellement que deux centres de cure sur le territoire national, en attendant la cr�ation de 15 autres, d�o� le d�sarroi de beaucoup "d�accros" aux drogues et de leurs proches. L�EHS Frantz-Fanon, dans la ville des Roses, Blida, est connu aux quatre coins du pays en tant qu�h�pital psychiatrique. Mais depuis onze ann�es, l�un de ses services est particuli�rement sollicit�. Dans un endroit bois�, un pavillon bien particulier, celui qui abrite le centre de pr�vention et de soins aux toxicomanies, l�un des deux existant sur le territoire national avec celui d�Oran. Des centres interm�diaires qu�on appelle CIST situ�s � Annaba, Setif et le centre d��coute de BEO, sont aussi en activit�. Pour cette raison, le centre de cure de Blida est tr�s sollicit� et l�on y vient des diff�rentes r�gions du pays. Les deux unit�s de consultation ne d�semplissent pas et les quarante lits disponibles pour le service hommes et les 10 au niveau de celui des femmes n�arrivent pas � prendre en charge la forte demande, selon le m�decin psychiatre du centre, le docteur Habib�che. Ce dernier, �voquant les soins dispens�s dans le service, mettra l�accent sur un point qu�il juge important. Il s�agit de la motivation que doit avoir tout toxicomane qui souhaite de l�aide. Car l�aide, les pensionnaires du centre en ont bien besoin. �Quand j�aurai termin� ma cure, ce sera ton tour, papa�� Cet apr�s-midi du mois de mai est un jour de la semaine o� les visites ne sont pas permises au centre de cure de l�h�pital Frantz-Fanon, quelques parents cependant sont l�. Telle cette dame assise sur un banc dans le jardin qui fait face au pavillon. Pr�s d�elle un jeune homme s�agite. Il parle dans un t�l�phone portable et dit � son correspondant qu�il est possible de le joindre sur cette ligne. Il se l�ve, fait le tour du banc et se rassied avant de prendre un sac des mains de la dame pour y reprendre le t�l�phone et former un num�ro. Sa communication a peine termin�e, il se dirige vers une voiture stationn�e en face et demande � la dame d�aller s�y asseoir si elle se sentait fatigu�e. Elle d�cline l�invitation et semble plong�e dans ses pens�es pendant que le jeune homme se dirige vers une cabine t�l�phonique o� il entame une longue conversation. Ce man�ge intrigant s�expliquera quelques minutes plus tard quand la dame en question s�approchera de nous pour nous demander, timidement, et comme pour se rassurer : "Vous aussi vous accompagnez quelqu�un qui va �tre admis en cure ? Moi je suis l� parce que mon petit-fils, le fils de ma fille, va commencer aujourd�hui une cure de d�sintoxication." A notre r�ponse n�gative, elle prend un air d��u et s��loigne pour rejoindre son petit-fils. A l�int�rieur du pavillon, nous rencontrons Mme L. Avant qu�on ne lui pose des questions elle s�inqui�te : "Que se passe-t-il ? Il y a un probl�me avec mon fils ? C�est son traitement qui ne va pas ?" M�me apr�s notre r�ponse rassurante, elle ne semble pas totalement en confiance et c�est l�air inquiet pour son fils qu�elle consentira � raconter ce qu�elle appelle le cauchemar de sa famille. "Mon fils a 24 ans. C�est le seul gar�on que j�ai. C�est la prunelle de mes yeux. Tout a commenc� il y a six mois ; quoique je pense qu�il prenait de la drogue avant. Un jour, il est mont� sur le toit de la maison et l� j�ai senti qu�il avait atteint le point de non-retour. Je pense que le probl�me, c�est que son p�re boit beaucoup� Moi on m�a mari�e � seize ans et � l��poque nous n�avions m�me pas fait d�acte de mariage. Mon fils ne s�entendait plus avec son p�re, il ne supportait pas qu�il boive� Pourtant, financi�rement nous sommes � l�aise. Nous avons une voiture et des magasins. Mais maintenant tout cela est fini pour mon fils et on ne lui permet m�me pas de conduire la voiture, vu l��tat d�h�b�tude dans lequel il se trouve � longueur de journ�e. Il a chang�, on ne le reconna�t plus. Toute notre famille est dans le d�sarroi�" Mme L. s�arr�te de parler pour darder sur nous un regard inquiet : "Vous �tes s�re que je ne suis pas avec vous parce que mon fils a un probl�me ici ?" Nous la rassurons de nouveau et elle confie que son fils n�est au centre que depuis trois jours. "Il a d�cid� de venir ici parce qu�il n�avait plus le choix, il avait atteint un point de non-retour en commettant un acte irr�parable qui l�a effray�. Alors que sa s�ur �tait hospitalis�e, il s�est introduit chez elle et lui a pris de l�argent. Cette histoire a bien s�r failli d�truire le foyer de ma fille, et cela lui a �t� insupportable et l�a motiv� pour se d�barrasser de l�emprise de la drogue�Si vous saviez la souffrance que nous avons v�cue � cause de ce poison... !" Mme L. retient ses larmes et se l�ve pr�cipitamment, croyant avoir entendu la voix de son fils dans le couloir. "Je sors, excusez-moi, j�ai peur qu�il ne s�inqui�te, il est d�j� assez agit�. Mais vous savez, quand on lui a parl� au t�l�phone, il a dit � son p�re : papa quand je sortirai ce sera � ton tour de faire une cure et de venir ici. Cela nous a beaucoup touch�s. Il faut savoir que mon fils est fianc� et il veut trouver une solution puisque la date du mariage approche�Vous savez, il d�pensait plus de 4000 et 5000 DA par jour." "Je suis Radia. J�ai vingt ans et je prends echirra, "el hamra" et l�alcool" Dans la deuxi�me aile du centre de d�sintoxication r�serv�e aux femmes, du haut de ses vingt ans, celle que nous appellerons Radia nous regarde avec un air de d�fi. Elle restera sur la d�fensive tout au long de notre conversation. Elle ass�nera d�ailleurs d�embl�e, comme si elle mettait au d�fi les personnes qui l�entouraient de la juger pour ce quelle a v�cu : "Je prends le kif, "el hamra" et les boissons alcoolis�es (el hamra est le nom donn� par les toxicomanes et dont l�appellation scientifique est Rivotril un neuroleptique destin� aux �pileptiques, ndlr) A treize ans, j�ai fum� des cigarettes aux portes du CEM, � 14 ans j�ai pris du kif et � 15 ans j�ai commenc� � boire de l�alcool !" Telle est la relation de Radia avec l�enfer de la drogue. Vivant de foyer en foyer et quelquefois dans la rue, elle raconte que tout a bascul� pour elle le jour o� son beau-p�re a tent� d�abuser d�elle et o� elle a fui son foyer. Son errance l�a conduite � se lier avec un jeune homme qui a �t� incarc�r�. Elle aussi s�est retrouv�e en prison � cause de la drogue. En allant rendre visite � son ami, elle a utilis� la pi�ce d�identit� de la s�ur de ce dernier et a introduit de la drogue au parloir pour la remettre au prisonnier. D�couverte par les gardiens, elle a �t� incarc�r�e � son tour. Tout au long de la conversation, la jeune ne se d�partit pas de son assurance et son visage ferm� ne laisse transpara�tre aucune �motion. Elle confiera qu�elle est capable de toutes les violences et "m�me de tuer" quand elle est sous l�effet des drogues dures. Elle se rebelle m�me lorsque nous lui demandons o� elle a commenc� � se procurer sa drogue. A ce moment-l�, elle r�pond calmement "cela me concerne !!!". Nous comprenons qu�il y a eu une m�prise et que la jeune fille pensait que nous l�interrogions sur l�identit� de la personne qui lui fournissait ses doses. Le malentendu lev�, elle consentira � poursuivre la conversation et � nous parler de sa m�re : "Je n�ai plus de foyer, ma m�re m�a chass�e. Des fois, elle est bien et d�autres fois pas du tout. Elle me frappe et me chasse mais je ne lui fais rien� Je l�aime� Pourtant, elle est venue me voir l�ann�e pass�e. Si ma m�re se range je me rangerai�" Radia baisse la t�te et les larmes commencent � couler doucement sur ses joues. La jeune fille quitte tout d�un coup son air maussade et la tristesse et le d�sarroi envahissent son visage. Elle baisse d�ailleurs la t�te et quitte pr�cipitamment la salle. Radia, selon son m�decin, a d� � deux reprises interrompre ses cures l�ann�e derni�re. Elle a fait deux s�jours de quatre et quinze jours. Le professeur Ridouh a justement �voqu� l�importance de faire un tri dans la population de personnes sollicitant des cures de d�sintoxication. "Si les toxicomanes ne sont pas motiv�s, nous n�arriverons certainement � rien avec eux, ils ne pourront que faire des tentatives vaines. Il faut dire que le traitement et le s�jour en lui-m�me n�cessitent beaucoup de volont�, surtout lors des moments difficiles et de fort stress, comme cela est le cas pour les soirs, moments particuli�rement difficiles", explique le professeur Ridouh. Ce dernier, notant que le centre de cure de l�h�pital Frantz-Fanon est connu, annoncera le lancement prochain de 56 centres de tri sur le territoire national et 15 centres de cure. Ces structures viendront ainsi pallier le manque et r�pondre � la demande qui se fait importante concernant la prise en charge des personnes d�pendantes de la drogue. Ceci d�autant que beaucoup de parents vivent un v�ritable calvaire en voyant leur prog�niture happ�e par le cercle infernal de la drogue et des boissons alcoolis�es sans qu�il ne leur soit possible de les orienter vers une structure de d�sintoxication. Ceci d�autant que le ph�nom�ne est jug� inqui�tant du fait que l�Alg�rie, qui �tait consid�r�e comme une zone de transit, est pass�e � pays de consommation. La polytoxicomanie ou consommation de plusieurs drogues en m�me temps est ainsi la plus usit�e chez la population de jeunes dont les plus touch�s font partie de la tranche d��ge situ�e entre 20 et 25 ans. Un cocktail explosif qui fait �clater en mille morceaux l��quilibre de la cellule familiale. C�est aussi un drame et un parcours terrifiant, dira le professeur Ridouh. F. Z. B. La motivation, condition essentielle pour la r�ussite de la d�sintoxication Pour le professeur Ridouh, la motivation est la condition essentielle pour la r�ussite d�une cure de d�sintoxication. Il ira m�me jusqu�� affirmer qu�en fait au niveau du centre de cure, l�on dit � tr�s peu de personnes qu�il n�est pas possible de les prendre en charge en raison du manque de places, mais les refus d�admission concernent surtout les cas de manque de motivation, ceux qui font des tentatives vaines et r�p�t�es sans r�sultats et sans possibilit� donc de "d�crocher". Pour ce sp�cialiste, si les toxicomanes passent le cap de 21 jours de cure, c�est d�j� une victoire sur la drogue. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Selon les psychologues, les rechutes sont fr�quentes du fait que le patient retourne au m�me milieu et ne dispose pas, comme d�ailleurs � son entr�e en cure, de m�canismes de d�fense et de r�sistance qui lui permettraient de g�rer son stress et les obstacles rencontr�s au quotidien. Il s�agit surtout des conflits familiaux et des probl�mes de ch�mage ou d�adaptation � des changements comme il nous a �t� donn� de constater. Le docteur Habib�che �voque d�ailleurs les probl�mes de post-cure et ce, en d�pit du suivi qui est assur� aux patients durant les six mois � une ann�e apr�s le passage par le centre. Car la consommation massive de drogues aboutit in�vitablement � un �tat de d�pendance qui, apr�s une certaine dur�e, ne permet plus � la personne de faire marche arri�re et de se lib�rer de la d�pendance sans aide sp�cialis�e.