D�une voix dont les cordes vibrent de toute la gouaille et de tout l�humour d�Alger, Abdelmadjid Meskoud dit : �El Hadi Halo, c�est comme le shampoing deux en un de la pub ; avec lui, nous avons d�un coup le fils et le chef d�orchestre�. Fils d�El Anka, en effet, et l�gataire de son art, et chef d�orchestre d�El Gusto, El Hadi s�affaire aux touches d�un piano � l�une des extr�mit�s de la sc�ne de Bercy � Paris. A l�autre extr�mit�, la silhouette massive de Maurice El Medioni, le virtuose du piano oranais, donne le dos au public. Le mot qui r�sume cette rencontre est d�un humanisme qui ne laisse pas insensible : �L�histoire les a s�par�s, la musique les a r�unis.� La musique adoucit les m�urs, ici plus et mieux qu�ailleurs. Le cha�bi, ce r�peux blues du spleen alg�rois, ne fait pas dans la diff�rence. Il r�unit les musiciens et les auditeurs (douaquine), non point sur des crit�res d�appartenance religieuse ou nationale, mais sur ceux de la libre adh�sion et du go�t pour ces sons rocailleux et abrupts qui disent tout le bonheur et toute la douleur qui parcourent les venelles d�une ville de lumi�re. D�riv� popularis� de la grande musique andalouse ramen�e d�Espagne par des musiciens berb�ro- arabo-juifs, il est naturel que le butin de guerre les unisse de nouveau par-dessus toutes les ruptures caus�es par l�histoire. Luc Cherki, par exemple, ce chanteur juif natif d�Alger, a appris � vocaliser ses quacidate chez El Anka. Il lui en est encore reconnaissant. Qui sont ces musiciens qui se retrouvent par-del� les ruines ? Ils sont quarante, musiciens avant d��tre musulmans ou juifs, ayant en commun un m�me h�ritage, le cha�bi. Ils sont r�unis par Safinez Bousbia, une jeune architecte alg�rienne vivant en Irlande. Il y a trois ans, cette jeune femme, issue d�une vieille famille alg�roise, se promenait dans La Casbah. Fatalement, elle tombe sur un musicien cha�biste. Il lui parle avec passion de sa musique, des musiciens. Elle d�cide alors de retrouver les hommes qui en ont fait les beaux jours. Certains sont morts, d�autres sont partis, beaucoup ont atteint l��ge canonique. �Je voulais simplement les remettre en relation. Ensuite est n�e l'id�e du film et de l'album", confiait-elle. Le film, ce sera une sorte de �Buena Vista social club� de Wim Wenders version alg�roise. Pendant tous les concerts, des cam�ras traqueront les musiciens en vue d�un film dont la sortie est pr�vue pour le printemps 2008. Apr�s Marseille et Paris, El Gusto ira � Londres (10 octobre), � Berlin (31 octobre) et, en 2008, � New York. Le disque sort le 15 octobre sous le label Honest Jon's, celui de la star du rock britannique Damon Albarn, qui d�fend le projet. Sur la sc�ne de Bercy, � tout seigneur tout honneur, c�est � cheikh Ahmed Bernaoui qu��choit l�honneur d�ouvrir le bal. Il le fait avec Sabhane Allah Yaltif. Une partie du public reprend, nostalgique, le standard immortel d�El Anka. L�hommage fait parcourir une grande �motion. Puis, sous la direction d�El Hadi, l�orchestre d�cline son programme qui, parfois, quitte le territoire orthodoxe du cha�bi pour s�en aller fol�trer du c�t� du tango, de la rumba, du tchatcha. Tour � tour, d�autres chanteurs prennent le relais : Ren� Perez, Abdelkader Chercham, Abdelmadjid Meskoud chantant el Assima, Maurice El Medioni Wahrane. Le com�dien Robert Castel, �mu, violon sur le genou comme un kamadjiste, tient � pr�ciser, avant toute chose, qu�il n�est pas, lui, de La Casbah mais de Bab-El-Oued. Puis, il entonne une chanson en francarabe dans laquelle il dit aux Fran�ais de France que la musique d�o� il vient, c�est une musique du soleil. Apr�s quoi, il reprend une chanson de son p�re, le chanteur alg�rois Lili Abassi. Il y a aussi, dans cette rencontre, Ammar El Achab, la coqueluche d�Alger dans les ann�es 1960, Reda El Djilani, Abdelghani Belka�d, Youcef Hadjadj alias Jose de Suza, cheikh Lamine, Mustapha Tahmi et son ins�parable bleu de Chine et beaucoup d�autres musiciens et chanteurs de g�n�rations diff�rentes. Un des jeunes chanteurs engage les notes de Chehlat la�yani, incontournable morceau de cha�bi au texte sous forme de d�claration d�amour et � la musique d�emprunt latino-am�ricaine. La soir�e s��tire et entre deux morceaux, Meskoud pimente le spectacle de ses mots d�esprit. Deux jeunes t�nors, l�un juif et l�autre musulman, viennent se dresser devant le public pour vocaliser a cappella un istikhbar. Moment de pure beaut�. �On ne peut pas finir une telle soir�e, dit Meskoud, sans chanter Ya Rayah.� La chanson de Dahmane El Harrachi, dont Rachid Taha a fait un �tube� plan�taire en 1999, garde encore aujourd�hui toute sa m�lancolie de chant d�exil d�sanchant�. Des ombres tenaces se sont projet�es sur la sc�ne d�El Gusto. Celle d�El Anka, sans qui le cha�bi et les genres qui en ont d�riv� n�auraient jamais exist�. Celles aussi de Lili Abassi et de Lili Bonniche. Les ombres d�une rencontre qui est comme un pied-de-nez aux replis identitaires et � l�incarc�ration de la musique dans des camps politiques aux portails cadenass�s. Les r�flexes d�autod�fense sont �quitablement partag�s. Si l�Alg�rie officielle n�a pas franchement applaudi des deux mains � un projet qui pourrait faire du cha�bi un genre plan�taire, certains chanteurs juifs ayant quitt� l�Alg�rie en 1962, le cha�bi dans la musette de leur nostalgie, n�ont pas non plus accueilli forc�ment ce projet avec enthousiasme. Maurice El Medioni avoue qu�il lui a fallu r�fl�chir avant d�accepter. L�essentiel est qu�il soit dans l��quipe, et que ce projet existe.