Le pr�sident de la Banque mondiale, Robert Zoellick, dit vouloir faire de la relance �conomique arabe la pierre angulaire de sa nouvelle administration, avec pour pr�occupation premi�re de cr�er suffisamment d'emplois pour absorber la grande masse de jeunes frappant aux portes du march� du travail. Plus facile � dire qu�� faire : le probl�me est que les nouvelles industries manufacturi�res, install�es � la faveur de la flamb�e des prix du p�trole et du recyclage intrar�gional des p�trodollars, sont parmi les plus automatis�es et ne contribuent donc que faiblement � la baisse du ch�mage. De plus, les nouveaux investissements sont domicili�s dans les secteurs les plus herm�tiques aux nouvelles technologies et ne participent pas � l�int�gration des entreprises locales dans l'�conomie mondiale. L�option pour des industries fortement int�gratrices de capitaux fait l�impasse sur la cr�ation d'emplois et risque de plonger la r�gion dans un cycle de paup�risation, d�aggravation des in�galit�s, de mis�re, de m�contentement, de contestation et de r�pression. C�est la conclusion d�une r�cente �tude du Peterson Institute for International Economics (*), r�cemment rendue publique. Le tableau d�ensemble que dresse cette institution r�tablit quelques am�res v�rit�s. Certaines enclaves du monde arabe (comme le petit �mirat du golfe Persique, Duba�) connaissent un boom �conomique aux proportions pharaoniques. Elles occultent cependant une r�alit� bien plus sombre : les deux tiers des Arabes ne vivent pas dans les grands pays producteurs de p�trole et peinent � survivre. Il y a un premier paradoxe, entre ce d�ferlement de richesses et la pr�carit� sociale : aujourd'hui, nous rappelle l��tude, la r�gion enregistre le taux d'emploi le plus bas, puisque moins de la moiti� seulement de la population en �ge de travailler est officiellement employ�e. La Banque mondiale estime que le monde arabe doit cr�er 55 � 70 millions de postes d'emploi nouveaux d'ici � 2020 pour ramener son taux de ch�mage (qu�elle estime aujourd�hui � environ 11 pour cent) au niveau enregistr� � l'�chelle mondiale � lequel est d�j� �lev�. La situation est d�autant plus pr�occupante que le ch�mage des jeunes �g�s de moins de 24 ans d�passe les 25 pour cent, soit le double de ce qu�il est � l��chelle mondiale. Plus grave encore : le ch�mage est de plus en plus associ� � l'instruction puisqu�en �gypte, par exemple, le ch�mage des dipl�m�s de l'universit� est presque dix fois sup�rieur � celui des personnes ayant une �ducation primaire et s�annonce �tre de plus en plus un ph�nom�ne urbain. Il y a alors p�ril politique en la demeure, avertissent les auteurs de l��tude. Par ailleurs, le principal pourvoyeur d�emplois (le secteur priv�), accorde moins de chances aux femmes dipl�m�es pour prendre pied dans le march� du travail. Autre sp�cificit� du monde arabe, dans sa partie levantine surtout : si le taux de ch�mage est en baisse dans beaucoup de pays, la plupart des nouveaux emplois sont all�s � des �trangers, qu�il s�agisse des petits pays du Golfe, en raison de leurs populations modestes, ou encore de la Jordanie, o� les fabricants de v�tements importent de la main-d'�uvre d'Asie du Sud, plus corv�able et moins bien r�mun�r�e que la population locale. Le Maghreb pr�sente une autre particularit� : ses performances en mati�re d�emploi r�sultent en grande partie des besoins de l�administration, des travaux publics et de l'agriculture, secteurs o� la productivit� est en baisse. �� quelques exceptions pr�s, l'emploi �chappe de plus en plus aux industries o� la productivit� est en hausse ; en cela, il ne semble pas refl�ter une expansion de l'activit� dans les secteurs dynamiques�, s�inqui�tent les auteurs du rapport. Autant dire que nous baignons dans un contexte explosif dans lequel la mondialisation offre de r�elles opportunit�s tout en soulevant de nouveaux d�fis dont le plus �vident est l��largissement de la base de l�emploi dans des sph�res de production et d�exportation de services int�gr�es dans des r�seaux d'approvisionnement mondiaux. Une prouesse � laquelle aucun pays arabe ne semble �ligible face � la mont�e de la Chine, de l'Inde et d'autres �conomies �mergentes. En effet, le monde arabe totalise moins de un pour cent des exportations manufacturi�res mondiales. Un chiffre ridiculement bas qui n�est �ligible � la hausse qu�en aval gr�ce aux produits � forte intensit� �nerg�tique comme les produits p�troliers raffin�s et les engrais. Le probl�me est que ces activit�s sont parmi les moins cr�atrices et g�n�ratrices d'emplois en raison de l�automatisation des processus de production. Bien mieux, la plupart des emplois seront pourvus par la main-d'�uvre import�e de l'ext�rieur de la r�gion. Avec 100 millions d�habitants de moins que le monde arabe, l�Indon�sie, le plus grand pays musulman, emploie pr�s de deux fois plus de personnes dans l'industrie manufacturi�re ; alors qu�avec un quart de leur population, la Tha�lande exporte plus de produits manufactur�s qu�eux. Le monde arabe n�est �galement pas attractif pour l�investissement �tranger. Avec 9 millions d�habitants, la Su�de attire davantage d'investissements directs que l'�gypte et que tout autre pays arabe. Dans l�ensemble, le monde arabe producteur de p�trole semble sonn� par la �maladie hollandaise�, avec une appr�ciation des taux de change r�els qui disqualifie les industries traditionnelles de la concurrence internationale et plonge une minorit� de jeunes rentiers dans la sp�culation � partir de leurs claviers d�ordinateurs, tout en poussant les autres, l��crasante majorit�, en qu�te d��migration vers l'Europe ou l'Am�rique du Nord. Sur ce plan, les disparit�s sont jug�es �douloureuses�. Les Arabes doivent admettre que le mal est en eux. En attendant les r�sultats d�une enqu�te sur le travail, en cours � la Banque mondiale, les auteurs du rapport estiment �qu�il n'y a pas de raison de croire que le monde arabe souffre d'une p�nurie d'entrepreneurs, mais il y a des questions en suspens en ce qui concerne leur aptitude technique et l'environnement commercial dans lequel ils op�rent�. Plus pr�cis�ment, il reste � surmonter la tendance des entreprises locales � se concentrer dans les secteurs d�connect�s du commerce international, tels que le commerce de d�tail et l'immobilier, ce qui refl�te un manque de comp�tences techniques qui leur permettraient d'entrer dans les activit�s industrielles. Une hypoth�se qui semble loin d��tre �invraisemblable� lorsqu�on sait que les �tudiants arabes ne donnent g�n�ralement pas de bons r�sultats scolaires dans nombre de comparaisons internationales, comme l�atteste encore l'enqu�te internationale sur les math�matiques et les sciences, une enqu�te men�e tous les quatre ans pour mesurer l�aptitude des �l�ves de huiti�me ann�e. De m�me qu�aucune universit� arabe ne figure dans le classement des 200 meilleures universit�s du monde �tabli par le Times de Londres et que l'Universit� du Caire est la seule � avoir �t� retenue dans le plus r�cent classement de Shanghai Jiao Tong University parmi les 500 recens�es. Il n�y a, � court terme, aucune issue � cette impasse. Si, une seule : le retour des intellectuels exil�s. Une �ventualit�, apparemment incontournable, qui offre un double avantage aux �conomies arabes. �Premi�rement, les rapatri�s qui ont re�u une formation ou une exp�rience professionnelle dans les �tablissements les plus prestigieux � l'�tranger repr�sentent un potentiel synergique susceptible d��tablir le lien n�cessaire entre les �conomies locales et les opportunit�s offertes par l'�conomie mondiale. Deuxi�mement, m�me si les rapatri�s ne s�investissent pas dans la cr�ation de nouvelles entreprises de haute technologie, ils peuvent contribuer � �lever le taux de rendement social par l'investissement �ducatif, comme cela s'est produit en Irlande, par exemple, au cours de la derni�re g�n�ration.� N�anmoins, poursuivent les auteurs du rapport, �l'existence d'un vivier de candidats au retour est une condition n�cessaire, mais non suffisante, pour relancer l'activit� �conomique. Pour inverser l'exode des rapatri�s potentiels, ils doivent �tre convaincus qu'eux-m�mes et leurs familles seront physiquement en s�curit� et �conomiquement � l�abri de la pr�dation�. Par quelque bout qu�on prenne les choses, on arrive en fin de parcours, au n�ud gordien de l�impasse : la question politique. La persistance de l�arbitraire et de l'autoritarisme, la n�gation des libert�s, mais aussi la fragilit� et l�instabilit� des r�gimes arabes, ont des incidences sur les performances �conomiques, en augmentant la prime de risque sur les investissements dans la r�gion et en emp�chant le d�veloppement de liens plus profonds avec l'�conomie mondiale. A m�diter. A. B. (*) �Arab Economies at a Tipping Point�, par Marcus Noland (Peterson Institute for International Economics) et Howard Pack (Wharton School, University of Pennsylvania), mercredi 27 f�vrier 2008. On peut consulter l'int�gralit� de l'�tude, en langue anglaise, sur le site de Peterson Institute for International Economics.