Au mois de mai de l�ann�e derni�re, elle bouclait cent ans d�une vie consacr�e � observer, �tudier et comprendre, r�sister contre l�innommable, puis porter sa voix et s�opposer � la torture, toutes les tortures et notamment celle pratiqu�e pendant la guerre d�ind�pendance de l�Alg�rie et que tant de responsables de son pays tentaient et tentent encore pour beaucoup, d�occulter ou de minimiser. De notre bureau de Paris, Khadidja Baba Ahmed Son parcours professionnel d�ethnologue exceptionnelle la mena par quatre fois sur le terrain, dans les Aur�s entre 1934 et 1940, et l�a conduite � analyser d�une mani�re peu habituelle, les populations Chaouies. Ce parcours fut constamment jalonn� du combat contre l�esclavage, la pauvret�, les in�galit�s hommes-femmes, les ex�cutions capitales et la torture. Distante, elle n�a jamais d�nonc� frontalement le syst�me colonial lui-m�me, mais elle n�a jamais �t� neutre et a constamment t�moign� sur ses m�faits et notamment la �clochardisation �, l�injustice que ce syst�me engendre et la torture qu�il a permis de pratiquer. Justement, en 1957, en pleine bataille d�Alger, elle retourne en Alg�rie (elle y a cr�� depuis 1954 des centres sociaux pour dit-elle �remonter le niveau de vie des familles et permettre l�enseignement aux filles et aux gar�ons�) pour enqu�ter dans les camps de concentration et les prisons. Elle y rencontre alors clandestinement, � La Casbah, Yacef Sadi et Ali La Pointe qui lui confirment la pratique de la torture. Si Germaine Tillon a promis aux deux jeunes combattants de d�noncer cette pratique aupr�s des autorit�s coloniales de l��poque, elle ne s�est cependant pas emp�ch�e en m�me temps, disait-elle, de rappeler aux deux combattants �les massacres par le FLN des messalistes � Melouza�. A l�issue de cet entretien avec les leaders de la bataille d�Alger, elle r�ussit � obtenir pour quelques semaines, l�arr�t par le colonisateur des ex�cutions capitales de militants du FLN, contre l�arr�t des attentats FLN � Alger. Son combat contre la torture n�allait pas s�arr�ter apr�s la fin de la guerre d�Alg�rie. Elle a continu�, tout au long de sa vie � demander, aux gouvernements fran�ais de gauche comme de droite, de reconna�tre la torture, qu�au nom de la R�publique, les tortionnaires ont inflig�e aux Alg�riens. �Des deux c�t�s de la M�diterran�e, la m�moire fran�aise et la m�moire alg�rienne resteront hant�es par les horreurs qui ont marqu� la guerre d�Alg�rie tant que la v�rit� n�aura pas �t� dite et reconnue�la torture, mal absolu, pratiqu�e de fa�on syst�matique par une arm�e de la R�publique et couverte en haut lieu � Paris, a �t� le fruit empoisonn� de la colonisation et de la guerre, l�expression de la volont� du dominateur de r�duire par tous les moyens la r�sistance du domin�... � C�est l� un extrait de �l�appel � la condamnation de la torture durant la guerre d�Alg�rie� lanc� au moment o� Massu et Aussaresses reconnaissaient, persistaient et signaient leurs crimes. Cet appel au pr�sident Chirac et � son premier ministre Jospin �tait lanc� et sign� par : Germaine Tillon, aux c�t�s de Henri Alleg, ancien directeur d� Alger R�publicain et auteur de la �Question� ; Pierre Vidal- Naquet, historien et auteur de �la torture dans la r�publique� ; Josette Audin, �pouse de Maurice Audin assassin� par ses tortionnaires fran�ais � Alger ; Simone de La Bollardi�re, veuve du g�n�ral du m�me nom qui s��tait oppos� � la torture et qui avait �t� condamn�, de ce fait, � deux mois de prison ; Nicole Dreyfus, avocate de Baya Hocine et Djohor Akrou ; Gis�le Halimi, avocate aussi de Djamila Boupacha ; Alban Liechti, un rappel� insoumis ; Laurent Schwartz pr�sident du Comit� Audin ; Madeleine Rib�rioux, historienne et secr�taire de ce m�me comit� ; Jean Pierre Vernant, historien et r�sistant. Elle s�associera aussi � d�autres intellectuels et lance un autre appel contre la torture en Irak. Germaine Tillon est morte sans que ce devoir de m�moire ne soit reconnu officiellement, sans que les atrocit�s en Irak ne prennent fin. Il restera n�anmoins, de cette femme exceptionnelle, cette lutte acharn�e contre des traitements inhumains et l�avilissement de l�homme. Il restera aussi et surtout d�elle, l�image d�une tr�s pr�coce r�sistance au nazisme dont elle a souffert dans les camps o� elle fut d�port�e avec sa m�re qui y laissa sa peau. Il restera aussi de la veuve de Charles Tillon, ancien responsable du PCF devenu dissident, de nombreux �crits, dont Ravensbr�k d�crivant les horreurs du camp nazi du m�me nom ; �Il �tait une fois l�ethnographie � d�di� aux �migr�s ou encore �Le harem et les cousins� �crit en 1966 et dans lequel s�y r�v�le son obsession de comprendre, d�aller jusqu�au fond des enqu�tes et analyses. Elle y d�montre notamment que l�ali�nation des femmes (contre laquelle, elle s�est constamment �lev�e) ali�ne aussi l�homme et la soci�t� tout enti�re et que cette ali�nation s�vit aussi bien dans les pays musulmans que dans les pays chr�tiens et �remonte � un h�ritage de la pr�histoire et du paganisme �.