Ouf ! Il �tait temps que le mois d�avril s�en aille, avec ses sautes d�humeur climatiques, ses vents de sable et ses coups de froid sur l�esp�rance. Avril, c�est aussi le mois des couleuvres, de plus en plus difficiles � avaler. On en a eu de belles, cette ann�e, avec la mort par �puisement de la campagne venimeuse sur l��vang�lisation de masse en Kabylie. On en est revenu � certaines r�alit�s occult�es � la veille pour cause d�anniversaire du 20 Avril. Pour cette 28e comm�moration, d�aucuns se sont souvenus que la Kabylie est une r�gion livr�e � elle-m�me dans un pays mal gouvern�. C�est le paradoxe de la peur du gendarme qui change de camp et qui s�empare des chefs de la nation. �Ces gens-l� contestent nos m�thodes. Eh bien laissons- les se d�brouiller tout seuls. Laissons-les s�entred�chirer dans leurs r�serves indiennes !� C�est la tentation de la solution imagin�e par le �Makhzen� marocain pour se d�barrasser du probl�me des provinces frondeuses : les livrer � elles-m�mes, en faire des �Aradhi Essiba� (territoires abandonn�s). C�est ainsi que le Sahara Occidental est devenu �terra nullus� pour justifier la conqu�te espagnole. La comparaison ne va pas si loin mais elle m�rite tout de m�me qu�on y r�fl�chisse. Le 20 Avril, les couleuvres son rest�es dans leurs repaires, le fond de l�air �tait encore trop frais. Et puis, la journ�e pr�c�dente du 19 avril avait �t� particuli�rement �reintante. Il y en avait partout et sur tous les supports : 19 avril, �Youm-al- Ilm�, journ�e de la science. Il n�y a que nous pour aimer la science � ce point, jusqu�� lui consacrer une journ�e par an. On la c�l�bre comme le souvenir d�un martyr, du cher disparu. Pourquoi ne pas la baptiser �Journ�e de la science martyre �? Encore mieux : �Journ�e du soldat inconnu� puisque la science nous est aussi �trang�re que peut l��tre un militaire tu� par le terrorisme repentant. �Science sans conscience n�est que ruine de l��me�, disait Rabelais, repris depuis par les fondamentalistes pour justifier leur opposition aux progr�s scientifiques. Dieu merci ! Nous n�avons ni l�un ni l�autre et nous pouvons nous en passer puisque nous avons le 19 avril. Vaille que vaille, ce �Youmal- Ilm� devenu, de glissement en glissement, celui de la �science th�ologique�, a aussi ses brevets d�invention. On y r�invente l�histoire et on y exp�rimente de nouvelles �v�rit�s historiques� � enseigner � nos �coliers. Dans les prochains manuels d�histoire, on enseignera que les �Ul�mas� (de �Ilm�, la science) ont planifi� et d�clench� la guerre de Lib�ration. On n�ose pas, pour le moment, � cause de ces anciens combattants qui s�ent�tent � survivre mais patience ! Il suffit, en attendant, de lancer un mot d�ordre comme �Ben- Badis, le p�re de l�ind�pendance � et de le laisser p�r�griner � travers les mosqu�es �coles et les �coles mosqu�es. C�est finalement �a la r��criture de l�histoire imagin�e, il y a quelques ann�es, par le syst�me et transform�e par lui en �v�nement mondain puis en pi�ce d�archives. �Au mois d�avril, ne te d�couvre pas d�un film�: c�est le proverbe remis en vogue par une section locale de l�association des �Ul�mas� dans une ville de l�ouest du pays. Cette derni�re proteste contre le refus d�un fonctionnaire d�accepter la photographie d�une femme en �djilbab� pour l��tablissement d�une pi�ce d�identit�. Si ces messieurs avaient vraiment �t� les artisans de l�ind�pendance, voil� ce qu�auraient �t� nos �Trois R�volutions�: Hidjab, djilbab, niqab. C�est vrai qu�au final, le r�sultat est le m�me mais on a quand m�me r�v� et le r�ve aujourd�hui rel�ve de l�apostasie, on peut ne pas s�en r�veiller. En parlant de �Ul�mas� (pluriel de �Alem�, savant), vous savez sans doute qu�il existe une �Union internationale des ul�mas�, cens�e �tre le �Vatican� du nouvel Islam fondamentaliste. Son pr�sident est le cheikh du Qatar, Youssef Karadhaoui qui est �galement pr�sident du �Conseil europ�en de l�Iftaa�. Comme son nom l�indique, ce conseil �dite des fatwas � l�usage des musulmans d�Europe. Ces deux organismes peuvent sugg�rer un fonctionnement coll�gial mais, dans la r�alit�, il n�y a que Karadhaoui qui ait voix au chapitre. C�est ce singulier personnage, ap�tre de l�Islam politique et inspirateur des groupes islamistes dont il s�est d�tourn� depuis, que le pr�sident Bouteflika a rencontr� la semaine derni�re. Personnellement, j�ai trouv� la couleuvre un peu grosse, � cause du retentissement donn� � la rencontre des deux amis. En regardant les images de la rencontre Bouteflika-Karadhaoui au Qatar, le plus important porteavion am�ricain dans le Golfe, le rappel est utile, je me suis souvenu de l�histoire de Norton. Ce personnage se targuait d��tre c�l�bre, de conna�tre et de tutoyer tous les grands de ce monde. Avec un ami, incr�dule, il avait fait le pari d�appara�tre au balcon du palais pontifical, aux c�t�s du Pape, le jour de la c�l�bration de la messe de P�ques. Au jour dit, l�ami sceptique attend sur la place Saint- Pierre, au milieu de la foule et il voit appara�tre Norton en compagnie du Pape en habit d�apparat. Il tombe � la renverse lorsqu�un quidam le tire par la manche et lui demande : �Dites, Monsieur, qui c�est le personnage en blanc � c�t� de Norton ?� Devant ces images muettes, et par go�t de la d�rision, j�ai �t� tent�, en effet, de poser cette question : mais qui sont ces deux vieux qui trottinent devant cette belle jeune femme en hidjab ? Comme le commentaire maison ne mentionnait que les deux pr�sidents, Bouteflika et Karadhaoui, j�en ai d�duit que cette personne devait �tre l��pouse alg�rienne de Karadhaoui. Je me rappelai l�avoir vaguement entrevue lors de l�hospitalisation du cheikh qatari en Alg�rie. Apr�s le zapping, la premi�re question que je me suis pos�e est celleci : de quoi ont-ils parl� ? Ontils �voqu� la derni�re fatwa de Karadhaoui sur la consommation d�alcool et ses r�percussions sur les ventes de bi�res ? Revenant � des choses plus s�rieuses, j�ai revu en pens�e le film de l�audience et je me suis arr�t� sur l�image de cette �pouse du cheikh. Voil� une dame qui s�est sp�cialement appr�t�e pour l��v�nement et arborait le sourire propice, sans avoir droit au moindre gros plan. Pas le moindre petit commentaire, la plus br�ve mention, une quelconque allusion. Elle �tait l�, plant�e dans le d�cor, aussi invisible que les figurants. Diantre ! On aurait pu au moins nous montrer un geste d�int�r�t de Bouteflika � son �gard. On aurait pu l�interviewer comme on le fait habituellement aux personnes qui ont eu l�honneur d��tre re�ues par le pr�sident et qui en sont encore tout �berlu�es. Non, rien de tout cela : contrairement � la femme de C�sar qui �tait au-dessus de tout soup�on mais tenait son rang, la femme de Karadhaoui, elle, ne doit pas en sortir. M�me en hidjab, elle doit rester � sa place, c'est-�-dire dans l�ombre de son mari, et de pr�f�rence du c�t� le plus obscur de l�ombre. Ni potiche, ni figurante intelligente mais tout simplement une femme arabe et musulmane qui ne doit parler que si on l�interroge. Je sais : il y a sans doute des images plus chaleureuses qui ont �t� supprim�es au montage mais qui a d�cid� des coupures ? Pourquoi avoir r�duit cette digne �pouse � un anonymat aussi humiliant qu�insidieux ? Il y a sans doute des r�ponses toutes pr�tes, du genre : �Karadhaoui est tr�s jaloux et il ne tol�re pas qu�on montre sa vie priv�e.� Franchement, je pr�f�re la th�orie d�un vieux mari jaloux � celle d�un complot du silence contre la femme. C�est pourtant la seconde hypoth�se qui me semble la plus �vidente.