Il est commun d�entendre dire que l�Alg�rie, en optant pour un syst�me non lib�ral, avait rat� le coche en 1962. Pour l�Alg�rie nouvelle qui se construisait dans la douleur et l�espoir, il ne pouvait y avoir d�autre chemin que celui de la justice sociale, c�est-�-dire la voie de l��galit� et de la dignit� pour les millions de citoyens qui n�avaient jamais imagin� que la lib�ration serait une simple modification de leur statut administratif ou le changement d�un drapeau sur les frontons des mairies. Un bout d��toffe vert et blanc � la place d�un autre bleu et blanc : ce n��tait pas l�ind�pendance nationale ; ce n��tait pas l�aboutissement d�une R�volution authentique qui avait plac� l�homme au centre de ses pr�occupations ! Si changer le colon Joseph par un autre du nom de Omar ou Ali �tait l�objectif de cette R�volution, nul doute qu�elle n�aurait pas drain� autant de jeunes paysans assoiff�s de libert� et de justice sociale. J�entends les conseillers � rebours nous reprocher d�avoir nationalis� les terres pour en faire de grandes fermes d�Etat qui, tout au long des ann�es 1960 et 1970, avaient inond� - par bateaux entiers de l�OFLA � l�Europe d�agrumes et de dattes alg�riennes ; je les entends mettre sur le dos de ces politiques agricoles hardies les �checs actuels du secteur (calmez- vous ! Boumediene est mort il y a 30 ann�es !), je les entends regretter que nous n�ayons pas transform� notre pays en dictature bourgeoise et r�actionnaire d�s 1962 ! Evidemment, leurs arguments partent des faiblesses actuelles, de toutes les d�rives et trahisons enregistr�es depuis les ann�es de la restauration (d�cennie 80), comme si ce socialisme reni�, abandonn�, trahi, pouvait �tre tenu pour responsable d�une catastrophe provoqu�e par le lib�ralisme sauvage ! Dieu merci, les Alg�riens peuvent enfin mesurer les m�faits de cette politique que �nous aurions d�� appliquer en 1962 ! Ils en subissent aujourd�hui de plein fouet les retomb�es n�fastes sur leur qualit� de vie, leur sant�, leur travail et leurs perspectives d�avenir. Le lib�ralisme n��tait pas et ne sera jamais une bonne voie pour l�Alg�rie. Rejet� par la R�volution, il a �t� combattu par les �lites de l�ind�pendance et toute une g�n�ration forg�e dans l�esprit du sacrifice et du patriotisme. Pour beaucoup de jeunes de l��poque, participer � la bataille de l��dification nationale, travailler pour le bonheur des autres, agir dans l�int�r�t de la collectivit� et taire ses ambitions personnelles, n��tait pas de l�h�ro�sme. Les h�ros nous avaient pr�c�d�s. C��tait juste une mani�re de leur rendre hommage et de payer notre dette vis-�-vis d�eux. Que pouvait repr�senter un mois de vacances consacr� au volontariat ou quelques hectares de bonne terre offerts aux paysans pauvres par rapport au sacrifice supr�me des martyrs et au d�vouement des moudjahidine ? Cette soci�t� solidaire ne pouvait accepter un autre syst�me, en tout cas pas celui qui �tait en vigueur durant la p�riode coloniale. La lutte pour l�ind�pendance �tait une lutte pour la terre. Elle �tait un combat pour que les richesses naturelles cessent de profiter � une minorit� d��trangers afin de devenir le bien de toute la Nation et la source d�une promotion g�n�ralis�e de l�homme. Le combattant alg�rien est mont� au maquis pour que son enfant ait enfin le droit d�aller � l��cole partout, pour que sa famille puisse b�n�ficier de soins gratuits, pour qu�elle puisse changer de cadre de vie et sortir du gourbi pour aller vivre dans les m�mes conditions que ce colon privil�gi� ! La politique de Boumediene, en rompant avec le romantisme r�volutionnaire et la confusion id�ologique, a permis aux paysans pauvres et sans terre de r�aliser leurs r�ves ! L��cole, le dispensaire, la maison moderne, le cin�ma, la biblioth�que, le terrain de football se g�n�ralisaient dans nos campagnes o� les gourbis de l��re coloniale �taient symboliquement incendi�s dans un geste � combien significatif. C��tait l��poque des villages agricoles socialistes dont le nombre � 1000 � �tait une r�f�rence aux 1000 cit�s de mis�re (celles appel�es SAS et dont les funestes vestiges subsistent � nos jours) que devait r�aliser le plan de Constantine du g�n�ral de Gaulle. Ce projet colossal fut abandonn� � la mort du pr�sident Boumediene et, petit � petit, les villages se transform�rent en cit�s ternes et sans attrait dont les maisons se vendaient aux plus offrants. Les infrastructures collectives furent privatis�es et cess�rent de jouer le r�le qui leur �tait d�volu dans la r�gulation du march� et la baisse des prix des produits de premi�re n�cessit�. Durant pr�s de trois longues d�cennies, l�Alg�rie se distinguait par l�absence de toute politique s�rieuse d�habitat rural. Puis, comme par miracle, en 2008, nos campagnes s�anim�rent et se peupl�rent d�une multitude de cubes multicolores aux formes variant d�une wilaya � l�autre. C�est le projet cher � M. Rachid Bena�ssa, � dont nous saluons la nomination au poste de ministre de l�Agriculture �, celui d�un plan sans pr�c�dent visant � offrir � chaque famille d�agriculteur un logis d�cent. Certes, on est loin des belles villas de nos villages socialistes, mais l�Etat met beaucoup d�argent pour loger toutes les familles rurales, et ce n�est pas rien en ces temps de disette sociale ! S�il est certain que la R�volution agraire n�a pas donn� les r�sultats escompt�s sur le plan �conomique, du fait d�une collectivisation surr�aliste et d�une gestion bureaucratique, il serait faux de dresser le m�me bilan pour le secteur �tatique. Ce dernier avait h�rit� des meilleures terres du pays, situ�es dans les plaines les plus fertiles. En outre, il b�n�ficiait de deux atouts primordiaux dans ce secteur : des exploitations aux tailles respectables et une bonne m�canisation. Ces fermes �taient notre fiert� : lorsqu�on les longeait en voiture, on �tait impressionn� par leur �tat ; elles respiraient le travail s�rieux et la bonne sant� financi�re. Malheureusement, elles furent brad�es comme tout le reste entre les pontes du r�gime et sa client�le politique � la fin des ann�es 1980. C�est M. Hamrouche qui fit d�couvrir le pot aux roses en publiant les noms des b�n�ficiaires dans la presse. Depuis, on ne sait plus ce qu�il faut faire de ce secteur. Si le retour aux fermes d�Etat est pratiquement impossible � bien qu�un plan d�urgence pour r�duire la facture alimentaire pourrait autoriser une telle d�marche r�volutionnaire �, il nous semble que les maintenir en l��tat est un crime contre la Nation. Sans plan de culture, � mille lieues des pr�occupations majeures du secteur, s�embarquant sans retenue dans les cultures sp�culatives, ces fermes sont une plaie b�ante dans le corps endolori d�une agriculture abandonn�e et � l�agonie. Les milliards de milliards engloutis par le secteur n�ont servi qu�� am�liorer l�ordinaire des b�n�ficiaires et � accro�tre leurs parcs automobiles, sans incidence r�elle sur la production. Il est temps d�agir. L�une des possibilit�s qui s�offrent � l�Etat est de vendre ces terres � des groupements sp�cialis�s qui auraient pour t�che d�am�liorer la production dans les cultures cl�s telles que les c�r�ales et le fourrage pour b�tail. Les importations du bl� et du lait en poudre sont, en effet, les chapitres les plus insatiables en devises. L�agriculture artisanale doit cesser. Il faut la remplacer par une agriculture moderne, industrialis�e, orient�e vers la satisfaction des besoins nationaux. Comme dans beaucoup d�autres secteurs, il ne sert � rien, aujourd�hui, de mettre sur le dos d�un homme mort il y a trente ann�es nos d�rives actuelles. Le secteur primaire a besoin d�une nouvelle politique qui doit partir d�un constat tr�s simple : il n�y a plus d�agriculture socialiste depuis belle lurette ; les priv�s d�tiennent presque toutes les terres (un petit pourcentage d�exploitations �tatiques a �t� transform� en �fermes pilotes�). Il faut surtout stopper le morcellement des terres, r�cup�rer celles qui ont �t� offertes aux �copains� et r�fl�chir � leur gestion moderne et efficiente. Certaines grandes soci�t�s priv�es, alg�riennes ou �trang�res, ont fait part de leur d�sir d�acqu�rir ces terres pour d�velopper des cultures (qu�elles importent actuellement) destin�es � leurs unit�s de production. Ce serait une voie, car il n�y a pas pire image que celle que nous voyons aujourd�hui dans nos champs o� des milliers de gosses, au bord de l�esclavagisme, suent sous un soleil de plomb pour quelques dinars ! O� es-tu Boumediene ? M. F. - Des centaines de lettres d�hommage � Boumediene me sont parvenues. Je les garde pour une exploitation ult�rieure. Merci � ceux qui ne hurlent pas avec les loups.