Si les Alg�riens, en 1962, ont eu � constater la lib�ration de leur pays, ils n�ont, h�las, pas encore vu la construction d�un Etat souverain qui leur permet de disposer d�eux-m�mes. La construction de l�Etat souverain, d�mocratique et social, tel que les concepteurs du 1er Novembre 1954 l�avaient r�v�, demeure � ce jour un v�u pieux. L�Etat-nation �Eddoula� est devenu, et rest�, depuis le coup de force de Tripoli (CNRA de Tripoli) contre le Gouvernement provisoire de la R�publique alg�rienne (GPRA), un pouvoir qui g�re par la force et l�intrigue. A son tour, l�ancien pr�sident Ben Bella, issu du coup de force de Tripoli, fait la connaissance avec les m�mes m�thodes qui l�avaient amen� au pouvoir. Il fut destitu� par son ministre de la D�fense, Houari Boumediene. Apr�s sa mort myst�rieuse et suspecte, Houari Boumediene sera � son tour remplac� par le colonel Chadli Bendjedid, en instrumentalisant le rapport de force qui existait au sein de l�institution militaire. L�avis des citoyens alg�riens importait peu aux mentors de ce colonel qui fut bombard� chef d�Etat. Avec la mani�re pr�sidant � la d�signation du colonel Chadli Bendjedid, � la t�te de la magistrature supr�me, le pouvoir se conformait en r�alit� � la logique, � l�origine de son intronisation dans le feu des �v�nements sanglants de l��t� 1962. Le d�part de Chadli Bendjedid �tait une preuve majeure de la faillite de sa politique de reformes, engag�es par le gouvernement de Hamrouche, au moment o� le pays passait dans une zone de turbulences graves. Les r�formes d�mocratiques engag�es par ce m�me gouvernement n�ont pas trouv� d�appuis du c�t� de cette institution militaire, qui avait apport� Chadli au palais d�El-Mouradia, en 1979. Il fut pouss� � la porte, dans des conditions de crise majeure, compliqu�es par la mont�e du courant islamiste. L�ann�e 1992 avait vu la vacance de la pr�sidence de la R�publique. C�est ainsi que le pouvoir concocta encore une nouvelle formule, en somme tout � fait ill�gitime, comme les pr�sidents qui se sont succ�d� au palais d�El-Mouradia. Le pouvoir r�el fera appel � ses concepteurs et ses avocats bard�s de dipl�mes en droit constitutionnel et en l�gitimit� historique. Ainsi, le directoire issu de la R�volution fran�aise de 1789 fut l�ultime recours des concepteurs du Haut-Conseil d�Etat, dont le capital de l�gitimit� historique de son pr�sident, � savoir le coordinateur des six historiques qui ont �t� � l�origine du sursaut lib�rateur du 1er Novembre 1954, a �t� d�un grand recours au pouvoir r�el, dont les animateurs �taient totalement coup�s du peuple. Le pr�sident Boudiaf conna�tra une fin tragique � Annaba. Il refusait d��tre une marionnette entre les mains des gens qui l�avaient ramen�. Sa mort violente fera d�couvrir au peuple que le cadeau donn� � l�un des p�res de la R�volution �tait bel et bien empoisonn�. Boudiaf n�avait gouvern� que six mois, avant qu�il ne soit renvoy� au cimeti�re d�El-Alia pour rejoindre ses compagnons morts en chahids. La l�gitimit� historique fut encore interpell�e, lorsque le fauteuil de chef d�Etat fut attribu� � l�ancien chef de la Wilaya II historique, � savoir l�excolonel de l�ALN, Ali Kafi. Apr�s l�interm�de de Kafi, c�est au tour du g�n�ral mis � une retraite forc�e de revenir aux commandes, c�est l�ancien g�n�ral de l�ANP, Liamine Zeroual. Le d�funt Boudiaf, malgr� qu�il ait �t� intronis� � la t�te de la R�publique, selon des m�thodes peu l�gitimes, il s�attaqua � ce qu�il avait qualifi� de maffia politico-financi�re, et chercha � cr�er un mouvement citoyen, dans le but de mettre en �uvre son projet d�essence d�mocratique. Il voulait s�appuyer sur des hommes et des femmes int�gres. Ce qui ne cadrait pas, �videmment, avec la vision des d�cideurs qui avaient en aversion tout ce qui renvoie � un mouvement d�mocratique d�essence populaire. Zeroual fut �lu massivement, sur la base d�un slogan �construisons ensemble l�Alg�rie�. Il a lanc� son programme de r�habilitation des institutions de l�Etat malgr� son �lection d�mocratique, son projet s�est heurt� � l�id�e de l�amnistie et des n�gociations avec l�AIS. Les n�gociations furent engag�es malgr� lui. Il fut contraint ainsi � la d�mission, ne pouvant couvrir un accord entre une arm�e dont il d�niait toute l�gitimit� et qu�il consid�rait comme une entreprise terroriste. Il ne reconnaissait dans les faits que l�ANP. Sa d�mission d�guis�e fut justifi�e par son attachement � �l�alternance�. Bouteflika fut pr�sent� au peuple comme le sauveur. Ses mentors jou�rent sur l�image du d�funt Boumediene qui continue � jouir aupr�s du peuple d�un capital de sympathie certain. C��tait donc l�homme providentiel, capable de redresser la situation �conomique dans laquelle se d�battait le pays, de redorer le blason d�une diplomatie mise � mal par une crise profonde du syst�me et surtout de ramener la paix et la r�conciliation entre les Alg�riens, ainsi que d�am�liorer leur pouvoir d�achat. N�ayant rien entrepris dans ce sens, son �chec fut retentissant. Car l�erreur historique de Bouteflika est, avant tout, une erreur de diagnostic et de m�thode. La situation �conomique s�aggrava au moment o� le pays conna�t une plus grande aisance financi�re, marqu�e surtout par un gaspillage sans pr�c�dent des deniers publics. La corruption se g�n�ralisa pour devenir le seul mode de gouvernance. A la diff�rence des pr�sidents Zeroual, Bendjedid et Boumediene, o� les gouvernements successifs ont connu une certaine stabilit�, le pr�sident Bouteflika fera comme Ben Bella. Il a voulu tout contr�ler. Il s�attela � tout contr�ler, et laissa peu de place dans son dispositif de gouvernance pour de vraies comp�tences �conomiques et politiques. En plus de l�absence de pr�cision dans les r�formes qu�il voulait engager, son penchant � tout contr�ler isola l�ex�cutif qui s�est retrouv�, de fait, dans une posture d�une simple administration incapable de prendre une d�cision. Cette situation a r�ussi � vider les r�formes de leur substance et pouss� les comp�tences � fuir un climat malsain. A force de vouloir tout faire et sa conviction de pouvoir tout r�ussir, il pr�cipita, en l�espace de dix ans, l�Alg�rie dans un gouffre inextricable. C�est le retour � la case d�part, avec des milliards de dollars de perdu. Il s��rigea ainsi en exemple de monarque, capable d�outrepasser la Constitution, de la changer pour en faire un texte � la mesure de son ambition personnelle. Sa r�ussite est fulgurante, dans ce sens o� le r�gionalisme, la corruption, la perfidie, l�obs�quiosit� se cristallis�rent comme mode de gouvernance. Il est vrai que Bouteflika est derri�re l�ouverture d�un nombre important de chantiers, mais malheureusement, il est vrai aussi que ses r�formes distill�es par � coups et � moiti� furent un �chec total sur tous les fronts. Le r�sultat est l�. Tout ce qu�il fait co�te cher � la collectivit�, avec des incidences nulles. Les importations pour cette ann�e avoisinent les 30 milliards de dollars, et le tissu industriel est compl�tement disloqu� et d�mantel� par ses ministres favoris et import�s. Durant la d�cennie du pr�sident Bouteflika, plus de 200 milliards de dollars ont �t� inject�s pour relancer l��conomie et inciter la croissance �conomique cr�atrice de richesses et d�emplois. Le r�sultat m�diocre est l�. Nous n�avons m�me pas assur� notre s�curit� alimentaire, � l�image de la pomme de terre, du pain et du lait que nous continuons � importer. Il est clair que le pr�sident actuel, et depuis son investiture en 1999, ne d�tient aucune feuille de route cons�quente, en dehors de celle de man�uvrer, pour rester � la t�te de l�Etat, quitte � faire passer des amendements substantiels de la Constitution par les deux chambres du Parlement qui ne repr�sente pas, dans la r�alit�, 20% du corps �lectoral. Le narcissisme du pr�sident co�te cher � la collectivit� nationale qui continue � payer les frais du sous-d�veloppement, de la dilapidation de ses biens, de la disparition, sous des formes violentes, des petites gens, et d�une fracture profonde vis-�-vis de l�ambition d��difier un Etat d�mocratique et moderne. L��l�ment de survie du syst�me d�coule de la rente p�troli�re qui lui offre des subsides suffisants, pour ouvrir des chantiers tape-�-l��il, et surtout pour corrompre et engraisser la p�te d�une classe politique disqualifi�e depuis longtemps. Avec ce r�gime, les g�n�rations futures ne peuvent rien attendre. La manne p�troli�re est mobilis�e pour les importations. �Apr�s moi, le d�luge �, semble dire ce pr�sident � ses concitoyens, qui voient ainsi les avantages de l�envol�e du prix du p�trole, une �nergie non renouvelable, alimenter un penchant effr�n� vers l�importation, causant au passage un d�ficit au commerce ext�rieur du pays. Le pr�sident Bouteflika briguera, donc, un mandat en 2009, avec une situation qui ressemble � celle qu�il avait trouv�e en 1999. Il l�avait lui-m�me dit, � l�occasion de son allocution lors de sa r�union avec les �lus locaux. Sa sentence, ce jour-l�, est tomb�e comme un couperet devant l��tonnement d�un peuple ne comprenant pas beaucoup de choses � de telles confessions. �Nous avons fait fausse route�, avait-il reconnu, avant d�ajouter que �nous croyions aller vers le paradis, alors qu�on s�acheminait vers l�enfer�. Quel cr�dit donner � une telle confession. Un d�saveu � sa propre d�marche ?! Le sauveur de la nation, le savant, le grand commis de l�Etat et le bon gestionnaire qui avait critiqu� tous ses pr�d�cesseurs fait un aveu d��chec. En parall�le, il ne proc�de � aucun changement. Les m�mes hommes qui l�entouraient continuent � massacrer l��conomie nationale, et l�appareil de l�Etat persiste dans sa paralysie, � c�t�, une fermeture syst�matique de l�espace politique et m�diatique, ainsi qu�un viol constitutionnel annonc�, par le truchement d�institutions mal �lues, prouvant de la sorte de la soif du pouvoir � l�image de tous les monarques et dictateurs arabes. Depuis 10 ans, toutes les terres arables se trouvant dans le littoral et autour d�Alger ne cessent d��tre c�d�es aux pontes d�un syst�me plut�t enclin � acheter du soutien aux pratiques pr�datrices de ses gardiens. Le reste est c�d� � un programme farfelu et peu fiable, celui de la construction d�un million de logements. Dans la r�alit�, le r�gime en place s�est attel� � parachever l��uvre du colonialisme qui a d�poss�d� les Alg�riens de leurs terres. C�est au tour du b�ton de cette d�cennie d�achever cette �uvre macabre. A six mois de l��lection pr�sidentielle, le pouvoir qui a perdu l�initiative sur le terrain, qui vit dans l�expectative la d�liquescence de l�autorit� de l�Etat, qui vit dans l�incapacit� d��radiquer le terrorisme; pire encore, dont la politique de la main tendue au terrorisme n�a rien donn�, si ce n�est lui faire perdre ses alli�s dans la bataille acharn�e livr�e par la population contre l�hydre terroriste, voil� qu�il remet sur la sellette la m�me figure responsable de ces �checs, voire de cette d�confiture. Que va-t-il dire au peuple alg�rien ?! La r�conciliation a r�ussi, bien que terrorisme maintienne sa liste des assassinats ouverte ?! Que sur le plan �conomique, la croissance est revenue, malgr� une facture d�importation d�passant la barre des 30 milliards de dollars, et une fracture sociale de plus en plus b�ante ?! Que sur le plan international, la voix de l�Alg�rie demeure inaudible, assumant un r�le de figurant pour amuser la galerie, alors qu�un pays de la taille d�une petite commune des Hauts- Plateaux de l�Alg�rie, comme le Qatar, joue un r�le beaucoup plus grand sur le plan international. Il faut, toutefois, reconna�tre que la faillite du syst�me a �t� programm�e depuis le d�part. En pr�f�rant le discours d�magogique � celui de la raison, pour construire l�Etat-nation, le r�gime a mis le pays dans un �tat d�immobilisme certain. Mais, le passage de Bouteflika a ceci de sp�cifique ; il a pu, en un temps record, d�manteler tout ce qui faisait l�immunit� de la soci�t�, en cassant toute vell�it� de cr�ation de syndicats autonomes, en r�duisant le tissu associatif en un appendice suppl�mentaire qui se nourrit des deniers publics, en cassant les partis d�opposition, en corrompant une classe politique devenue pr�datrice, en poussant les comp�tences � l��migration� En somme, en achevant les derniers acquis d�Octobre 1988, ramenant le pays, ainsi, � l��re du pouvoir d�une seule personne, agr�ment� d�un apparat anim� par des partis compl�tement coup�s des r�alit�s de la soci�t�. A c�t� de l�annonce de l�amendement partiel, qui est en r�alit� un amendement fondamental, consacrant une r�gression st�rile, et �vacuant toute vell�it� de r�forme d�un syst�me devenu avec le temps antinational, il y a le puissant ministre de l�Energie qui revient, apr�s une d�cennie de pouvoir sans partage, dire aux Alg�riens, si les prix du p�trole reste dans l�Etat actuel des choses, l�Alg�rie sera contrainte d�entrer de plein fouet dans le cycle de l�endettement ! L�aveu vient d�une autre pi�ce ma�tresse du pr�sident, ayant conduit toutes les politiques �nerg�tiques du pays, jusqu�� celle de la loi sur les hydrocarbures qui avait failli emporter le dernier verrou de la s�curit� alimentaire de la nation, au moment o� l�inamovible locataire du palais d�El-Mouradia s�appr�te � briguer un autre mandat fatal pour la nation. Si la lib�ration du pays a �t� ch�rement pay�e par la nation, il n�en demeure pas moins que son bradage se fait au vu et su de tout le monde, et avec une arrogance qui d�passe tout entendement. Le temps d�une lib�ration d�mocratique, consacrant les valeurs de libert� pour notre peuple, interpelle tout le monde. Une autre colonisation s�est install�e, abusant des valeurs de la guerre de Lib�ration nationale, pour consacrer un pouvoir de nouveaux colons oligarchiques, tributaire d�une seule personne qui ne cesse de prouver son incapacit� � g�rer le pays. Il est temps de lib�rer notre Etat des nouveaux d�vots, plut�t pr�occup�s que par leur gloire personnelle que la noble mission de nos chouhadas, celle de construire une nation prosp�re � la hauteur de leurs sacrifices. Le peuple est plus interpell�, que par le pass�, � se mettre � l��uvre pour sauver le pays d�un naufrage annonc�. Un Etat qui ne respecte pas sa Constitution et les r�gles �l�mentaires de l�organisation d�un Etat, n�est donc pas seulement coupable de rupture de contrat avec son peuple, mais il d�truit sa propre l�gitimit�. H. B. Email : [email protected] * Ferhat Abb�s