L�analyse de la corruption ne peut en Alg�rie se r�duire � une simple analyse de type �conomique. La finalit� de la corruption n�est pas seulement l�enrichissement et la survie �conomiques, elle est aussi profond�ment politique : c�est la survie politique des dirigeants qui est ici en jeu. Il faut insister sur le fait que dans un contexte structurel de raret� � dans les prolongements d�une crise sans pr�c�dent �, le contr�le du pouvoir politique reste la cl� de l�acc�s aux ressources �conomiques. Les enjeux de la comp�tition politique ne se r�duisent donc pas seulement au simple contr�le de positions de pouvoir pour le pouvoir. Ils sont difficilement dissociables d�enjeux �conomiques plus imm�diats. D�o� la difficult� majeure pour institutionnaliser, pacifier la comp�tition politique et donc d�mocratiser la vie politique. Les enjeux �conomiques et politiques sont en fait indissociables, car il faut des ressources �conomiques pour obtenir des ressources politiques et inversement. Dans le contexte autoritaire ayant pr�c�d� cette tr�s fragile transition d�mocratique qui n�en finit pas, le pouvoir ne disposait pas de l�gitimit� intrins�que v�ritable. La seule fa�on de faire accepter son pouvoir �tait de pratiquer une redistribution de type client�liste fond�e sur le favoritisme. Le patronage politique et la distribution des pr�bendes �taient syst�matiquement pratiqu�s. Il y avait d�ailleurs une sorte d�affinit� �lective entre l�autoritarisme et la corruption. Aussi aurait-on pu esp�rer que l�arriv�e du multipartisme, suite � cette transition, aurait pu transformer cette situation. Cela n�a pas �t� vraiment le cas, ce n�est pas la d�mocratie qui a permis de d�patrimonialiser l��tat, mais plut�t le patrimonialisme qui a subverti la d�mocratie. LA VALEUR MARCHANDE DU BULLETIN DE VOTE De plus, avec le multipartisme et des �lections disput�es, le bulletin de vote a retrouv� une valeur marchande qui avait disparu sous le r�gime du parti unique et des �lections non comp�titives. Qui plus est, lorsque le raz-de-mar�e de l�abstention menace. Le multipartisme a introduit ainsi une nouvelle opportunit� de corruption qui a �t� imm�diatement saisie. La corruption subvertit v�ritablement toutes les �lections qui ont eu lieu en Alg�rie depuis 1997. Ce n�est pas seulement du fait des hommes politiques, mais aussi de celui des �lecteurs : il existe une attente de g�n�rosit� de la part des �lecteurs, � laquelle l�homme politique se doit de r�pondre, s�il veut �tre pris au s�rieux. Mais cette corruption �lectorale, pour �tre v�ritablement efficace, doit se camoufler en �change de dons et s�articuler au client�lisme. Si la corruption �lectorale s�exprime sous la forme d�un simple achat des suffrages, les �lecteurs peuvent accepter l�argent, car c�est toujours bon � prendre, mais ils ne se sentent pas n�cessairement oblig�s de voter dans le sens voulu. Quoi qu�il en soit, le co�t des campagnes �lectorales a explos� en grande partie en raison de la corruption �lectorale � laquelle s�ajoute le recours au marketing politique moderne. C�est pourquoi seuls les gens riches, ou financ�s par des amis riches, ont des chances d��tre �lus. LA D�MOCRATIE SUBVERTIE DE L�INT�RIEUR Cela favorise �videmment les dirigeants au pouvoir par rapport � ceux de l�opposition, car ils b�n�ficient de l�acc�s direct aux ressources de l�Etat. La d�mocratie se trouve alors subvertie de l�int�rieur. On pourrait penser qu�il ne s�agit que d�une maladie infantile des d�mocraties en construction : les r�gimes d�mocratiques occidentaux, � leurs d�buts, connaissaient largement ces pratiques de corruption �lectorale, qui ont maintenant pratiquement disparu. Mais d�autres formes de corruption politique plus subtiles les ont remplac�es, alors que l�utilisation de la communication politique moderne a fait, l� aussi, exploser les d�penses �lectorales. Le recours intensif � la corruption �lectorale, s�il n�est pas efficace dans toutes les circonstances, fausse largement les m�canismes d�mocratiques dans son principe m�me, et aussi en portant atteinte � l��galit� entre les candidats et les partis. La corruption politique ne prend pas seulement la forme de la corruption �lectorale au sens d�achat des voix. Elle s��tend aussi � l�achat et � la cooptation des opposants, ce qui fausse la comp�tition. Elle s��tend de m�me � l�ensemble du financement politique. Le recours intensif � la corruption, combin� avec l�utilisation privative des moyens de coercition et d�administration de l�Etat, a permis effectivement la survie politique d�un grand nombre de dirigeants et d��lus � tous les niveaux. La corruption politique, en corrompant le syst�me politique lui-m�me, emp�che les m�canismes d�mocratiques de jouer le r�le qu�on est en droit d�attendre d�eux dans la lutte contre la corruption, dans la mesure o� les m�canismes de responsabilit� jouent difficilement dans un tel contexte. Si le recours aux m�canismes d�mocratiques peut para�tre en principe comme la meilleure m�thode pour d�patrimonialiser l�Etat, l�exp�rience montre que c�est souvent l�inverse qui se produit : c�est le patrimonialisme qui permet de bloquer ou de subvertir la d�mocratie. MONDIALISATION DE L��CONOMIE ET EXPANSION DE LA CRIMINALIT� Les conditions d�un sursaut pour mettre fin au pillage de l�Alg�rie sont-elles r�unies ? Les Alg�riens dans leur ensemble ont-ils suffisamment conscience de l�ampleur de la corruption qui s�apparente � un d�pe�age en r�gle du pays, hypoth�quant la perspective de d�veloppement ? L�avenir imm�diat nous le dira. Faire reculer la corruption, � d�faut de la vaincre d�finitivement, ne se d�cr�te pas. La lutte contre la corruption aujourd�hui est aussi d�cisive que celle pour les droits humains : derri�re la corruption et le pillage qui l�accompagne, la souffrance et la mis�re, l�arbitraire, le crime d�Etat. Seule l�issue d�mocratique permettra de lever les barri�res. Cela demandera du temps, de longues ann�es encore et certainement encore un lourd tribut � payer pour les Alg�riens. Mais l��tendue de la corruption en Alg�rie n�est pas le seul fait des corrupteurs et des corrompus. Au plan international, mondialisation de l��conomie aidant, la criminalit� est en nette expansion. La responsabilit� des Etats et des institutions intergouvernementales est importante et la multiplication des grandes r�solutions et des conventions pour lutter contre la corruption n�a pas encore transform� la donne. Au d�but de ce troisi�me mill�naire, tant que les �carts entre les pays riches et les pays pauvres ne cesseront d�augmenter, la mondialisation de l��conomie impos�e par les d�tenteurs de grands capitaux accentuera le foss�. La corruption continuera d�en profiter et les corrompus de couler des jours heureux.