Foreign Affairs prestigieuse publication am�ricaine de droit et de politique internationale, se propose dans son dernier num�ro � mis en ligne ce 4 f�vrier � de donner une profondeur th�orique � l�entretien accord� par le pr�sident Barack Obama � la cha�ne El Arabiya fin janvier. Obama a ssur� le monde arabomusulman de sa volont� �d��couter �, plut�t que de �dicter�, et rappel� aux Arabes que �les Am�ricains (n��taient) pas leurs ennemis�. Le magazine propose une relecture d�une �tude de Marc Lynch, professeur de sciences politiques au Williams College et auteur de State Interests and Public Spheres : The International Politics of Jordan's Identity. L��tude porte le titre bien inspir� : �Et si l�on prenait les Arabes au s�rieux !� � ce qui suppose naturellement que ce n�est pas encore le cas. Allant �droit au but�, il consid�re l�approche de l�administration Bush comme �tant �erron�e� et �tablit une sorte d�inventaire de choses � ne pas faire. Pour les faucons de l'administration Bush, l'une des cl�s pour comprendre le Moyen-Orient �tait l�observation d�Oussama Ben Laden que les gens se ruent sur le �bon cheval�. En quelque sorte, la loi du plus fort. On sait aujourd�hui o� elle les a conduits apr�s quelques ann�es d'op�rations militaires agressives, le �standing r�gional� des Etats- Unis n'a jamais �t� aussi bas et ils sont encore loin de �toucher le fond� quant aux r�actions de rejet qu�ils peuvent comptabiliser dans le monde arabe et musulman � comme l��tablit un r�cent sondage d�opinion de Pew Global Attitudes. L�occupation de l�Irak, le chaos qui a suivi la chute de Bagdad et la col�re qu�il a g�n�r�e, les menaces am�ricaines contre l'Iran et la Syrie, alimentent ces craintes et encouragent les mouvements de r�sistance. La rapidit� avec laquelle l�antiam�ricanisme a gagn� l�ensemble des groupes sociaux dans la r�gion, sujets et acteurs � y compris parmi les plus instruits, les plus occidentalis�s et les plus lib�raux � d�passe le seul appui apport� � Isra�l ou � des dirigeants locaux autoritaires et impopulaires. Les Arabes bl�ment de mani�re claire et quasi-unanime l�administration Bush et ce qu'ils consid�rent comme une �approche d�cousue et unilat�rale � des relations isra�lo-palestiniennes. Un jugement aussi libre et critique r�sulte de l�apparition d�une �v�ritable nouvelle forme d'espace public arabe� dans le sillage et le prolongement des cha�nes de t�l�vision par satellite qui ont introduit le d�bat �dans un ensemble remarquablement continu, coh�rent et commun�, accessible � tous. Bas�e principalement � Londres, l'�lite de la presse arabe a �t� en mesure d'�chapper � tout contr�le direct des gouvernements en s'appuyant sur des �crivains et journalistes issus de la diaspora du monde entier. Une place particuli�re revient ici � Al-Jazeera qui, depuis son lancement en 1996, a rompu avec la danse du ventre et les sketchs chorba habituels. Un nouveau contexte est n� qui n�autorise plus � dire que �l'opinion publique arabe n'a pas vraiment d'importance parce que, selon le cas, les Etats autoritaires peuvent tout contr�ler ou manipuler � partant du postulat impopulaires, ils ont tout int�r�t � travailler � �d�tourner l'attention de l�opinion quant � leurs propres tares�. La nouvelle sph�re publique arabe et l'opinion publique arabe sont aujourd�hui un ph�nom�ne plus complexe que les notions habituelles qu�elles sugg�rent : d��lite cynique et passionn�e, de �rue arabe� nationaliste. La rue, ou la masse, est r�elle et son opinion (dite ou non dite) peut influer sur les politiques gouvernementales. Son expression se combine de fa�on de plus en plus consensuelle avec l'�lite et la classe moyenne. A la diff�rence de la contestation ancienne, marqu�e par �la col�re des monologues� qui n�ont gu�re aid� � promouvoir le discours rationnaliste dans la r�gion, les nouveaux m�dias arabes, principalement Al-Jazeera, ont irrit� presque tous les gouvernements arabes � un moment ou � un autre, et leur contenu �ditorial autorise aussi bien la critique que la d�rision. Un r�cent talk-show de la cha�ne Al-Jazeera avait pour objet la question grave : �Les r�gimes arabes peuvent-ils devenir pires que le colonialisme ?� 76 % des appelants ont r�pondu : oui ! Les nouveaux m�dias arabes construisent progressivement �la dominante narrative� des cadres � travers lesquels les gens appr�hendent les �v�nements. A certains �gards, l'absence de d�mocratie r�elle dans la r�gion rend les nouveaux m�dias encore plus puissants, car ils ne rencontrent que peu d'adversaires r�els dans la mise en �uvre de leur agenda public. Au pays des aveugles, le borgne est roi ! �Une approche efficace � l'opinion publique arabe d'aujourd'hui devrait donc se concentrer moins sur la rue et les palais que sur les intervenants et le public de ces nouveaux forums�, recommande Marc Lynch. C�est pourquoi, �plut�t que de cibler de fa�on excessive les dirigeants arabes ou des cat�gories telles que les �jeunes�, Washington devrait se concentrer sur l'engagement des intellectuels, des politiciens, des journalistes et autres personnalit�s publiques qui comptent tellement dans la formation de l'opinion publique arabe�. M. Lynch rel�ve par ailleurs que l�hostilit� des Arabes � l��gard de l�Am�rique (de Bush) n'est �ni pr�d�termin�e, ni immuable�. Apr�s les attentats du 11 Septembre, de larges segments de l'opinion publique arabe ont m�me exprim� leur sympathie avec les victimes. Yusuf al- Qaradawi (un islamiste rendu encore plus c�l�bre par ses apparitions r�guli�res sur Al-Jazeera) et cinq autres leaders religieux mod�r�s ont publi� une fetwa condamnant les attentats terroristes comme contraires � l'Islam et appelant � l'arrestation et au ch�timent des auteurs � une remarquable intervention qui a d�ailleurs, on ne sait pourquoi, re�u peu d'attention en Occident. Comme le d�plore am�rement un citoyen �gyptien, �les Am�ricains pensent que les Arabes sont des animaux, ils pensent que nous ne sommes pas aptes � r�fl�chir ou que nous sommes totalement ignorants�. L��vocation manifeste de cette sup�riorit�, bien plus que de se retourner contre son �metteur par effet boomerang, paralyse par ailleurs tout �effort de persuasion rationnelle�, alors que la rh�torique anti-am�ricaine gagne une r�putation d'authenticit�, de courage et de lucidit�. Si l�on croit un groupe de travail sur la diplomatie publique du Conseil des relations �trang�res, �il y a peu de doute que les st�r�otypes sur l'arrogance des Am�ricains, leur auto-indulgence, hypocrisie, inattention, leur absence de volont� et leur refus de s'engager dans le dialogue inter-culturel resteront omnipr�sents et profond�ment enracin�s �. Les Etats-Unis pourraient commencer par traiter le consensus quasi unanime que l'Am�rique manque de sinc�rit� en appelant � la d�mocratie. Les d�cideurs politiques am�ricains ont longtemps h�sit� sur la promotion de la d�mocratie pour les Arabes, de peur que les islamistes ne remportent des �lections libres. �Maintenant que la lib�ralisation politique est pr�sent�e comme un objectif am�ricain, le seul moyen pour les Etats-Unis de conserver toute cr�dibilit� dans la r�gion est d'accepter des r�sultats �lectoraux qui leur soient d�sagr�ables � comme ils l�ont r�cemment fait de mauvaise gr�ce en Turquie.� Par ailleurs, les lib�raux arabes d�plorent qu'ils aient longtemps port� les luttes concr�tes pour les droits de l'homme et des libert�s publiques, sans le soutien am�ricain ; ils se demandent pourquoi les choses devraient �voluer autrement aujourd'hui. Un r�cent essai d�Al Hayat a bien capt� l�ambivalence du r�le des Etats-Unis sous la formule suivante �nous avons besoin de r�former nos syst�mes d'�ducation, m�me si les Am�ricains nous le disent�. Washington devrait reconna�tre ces nouvelles sensibilit�s, admettre que les tentatives visant � imposer le changement, que ce soit par le biais de menaces ou de monologues, provoquera de la r�sistance m�me parmi ceux qui peuvent partager leurs objectifs fondamentaux. Le dialogue avec les Arabes exige des Am�ricains �de la patience, de la retenue et un engagement soutenu qui pourraient ne pas leur procurer une gratification imm�diate�.