Sa�d Dahmani, historien-arch�ologue, sp�cialiste de Hippone -B�na-Annaba Comme on doit le savoir, notre cit� figure parmi les plus anciennes dans le bassin occidental m�diterran�en. Elle figure parmi les 100 sites m�diterran�ens d�finis par le Plan bleu pour leur protection, leur conservation et leur r�habilitation. L�homme y �tait d�j� pr�sent depuis le pal�olithique. Cet homme avait fond� Hippone, puis B�na et poursuit une �certaine� urbanisation avec Annaba. Le paradoxe est que les descendants de cet homme, aujourd�hui, d�laissent leur patrimoine historique ancestral au point qu�ils menacent de l�effacer de leur m�moire. Les gisements pr�historiques de Oued-Ziyad et de Ras-el- Hamra, les vestiges de Hippone, la Madina de B�na en constituent les composantes essentielles. Les atteintes n��pargnent aucune p�riode. Massacre � A�n-Achir O� sont pass�s les dolmens de Oued-Ziyad ? Cette r�gion est laiss�e au gr� des constructions sauvages, et � l�analphab�tisme culturel des �diles locaux. Le site de l�espace de Ras-el-Hamra (Cap de Garde) comprend : le �Karting�, prolongement du Parc national de l�Edough (class� avant 1962), le cap o� se trouve notamment la grotte Bent-al-Soltane, la carri�re marbri�re antique et la plage A�n-Achir. Dans cet ensemble ont �t� trouv�s des gisements pr�historiques du pal�olithique, lors des fouilles entreprises dans les ann�es 50. Ce site pr�historique, malgr� l�intervention �crite, en 1989, aupr�s de la wilaya, attirant l�attention sur le fait que la zone du cap a �t� d�cr�t�e, par le Cadat en 1968, zone non aedificandi, et sur l�existence av�r�e de vestiges pr�historiques, a �t� livr�e � l��dification d�un h�tel (jamais achev�, mais qui a d�truit d�finitivement les traces de nos anc�tres), puis � la fameuse ZET qui poursuit la destruction syst�matique de la nature et de la culture, car cette zone rec�le des vestiges aussi bien de la p�riode antique que de la p�riode m�di�vale. Autrement dit, quelque deux cent mille ans effac�s de la m�moire de Annaba. Plus pr�s de nous, il y a environ trois mille ans, prend naissance le premier noyau urbain qui prend le nom de Hippone, entre les VIe et Ve si�cles avant J.C. Jusqu�en l�an MIL, Hippone a connu la succession et l�accumulation de trois strates civilisationnelles : la Numide, la romanovandalo- byzantine et la musulmane. Une partie de ce patrimoine a �t� mise au jour. Les vestiges d�gag�s pendant un demi-si�cle, fiert� de Annaba, sont aujourd�hui compl�tement � l�abandon. Apr�s une timide tentative d�entretien, les vestiges sont livr�s � l�ol�astre, aux pousses de figuiers, aux ronces, aux d�pr�dations des sangliers, aux d�chets des buveurs nocturnes, aux d�linquants et aux herbes folles. Les quelque trois mille m�tres carr�s de mosa�ques sur le site sont en p�ril, alors que les rouleaux de g�otextile pour les prot�ger temporairement, avant restauration urgente, attendent depuis 2005. O� es-tu pass�e � baraka d�Augustin ? Et que reste-t-il des promesses qu�a laiss�es entrevoir le colloque de 2001 sur Augustin d�Hippone ? Voil� donc un autre pan de notre m�moire qui se d�sagr�ge, � l��il nu, � trois mille m�tres du si�ge de l�Assembl�e populaire communale, et � trois mille cinq cents m�tres de la Wilaya, trente minutes de marche � pied !!! Cinq minutes en voiture !!! Si Abu Marwa revenait� Vers l�an 1000, Hippone c�de la place � B�na. Elle a �galement v�cu le passage des Kut�ma, des Zirides, des Hafsides, des Espagnols, des beys et des coloniaux. Bien que la matrice soit kutamienne et ziride, B�na a accumul� un capital multiculturel appr�ciable, qui renforce sa m�diterran�it� entre autres. Ici interviennent, dans les atteintes au patrimoine de la mad�na de B�na, ses enfants, ou pr�tendus tels, et l�indolence des pouvoirs locaux. Certes, la colonisation a commis des atteintes (220 maisons d�truites ; des �difices publics d�vi�s de leur affectation, etc.). Mais quel a �t� le sort de ce qui en a r�chapp� ? Deux grandes mosqu�es : Abu Marw�n (XIe si�cle), El Bey ( XVIIIe si�cle), class�es monuments nationaux, ne profitent pas de l�int�r�t auquel elles ont droit. La mosqu�e Abu Marw�n, la plus ancienne, a besoin d�une restauration qui la rapprocherait de son �tat premier : la documentation et les plans existent, pour redonner � sa cour int�rieure ses quatre p�ristyles, mettre les annexes d�ablutions loin de la salle des pri�res, restaurer le d�me au-dessus de cette salle : il suffit d�utiliser les rentr�es de la zakat, et surtout une volont� politique. Or, si une op�ration d�urgence et d�envergure n��tait pas entreprise, l��difice finirait par d�p�rir, � l�image du quartier dans lequel il se trouve. Abu Marwan, revenant aujourd�hui, maudirait ceux et celles qui ont manqu� � leur devoir de protection de son �universit� th�ologique mal�kite. La mosqu�e de Salah Bey est min�e. Sa coupole est fissur�e (l�enveloppe en aluminium n�est qu�un cache-mis�re) ; les deux p�ristyles lat�raux de la cour ont �t� transform�s en bureaux (??) ; la fa�ence du mur de Kibla est celle plut�t d�une quelconque salle d�eau. Le minaret est �touff� par des constructions parasites ; ses fa�ades ext�rieures ont perdu toute leur �l�gance par le badigeonnage sauvage au vinyl. O� �tes-vous les descendants des kourghlis et de leurs cousins ? Car quels t�moignages de votre patrimoine pourriez-vous offrir aux visiteurs ? Si la situation se prolongeait, ce patrimoine n�existerait plus, dans le meilleur des cas, que sous forme d�articles ou de photos. Plus encore, les deux derniers t�moins du patrimoine mat�riel soufi (mystique), intramuros, ont �t� purement ray�s du paysage de B�na entre 1986 et 1992 : le mausol�e de sidi Bela�d et celui de son fr�re sidi Abdelkader (tous deux situ�s sur les hauteurs de la Madina) ; leur emplacement est aujourd�hui un d�p�t d�ordures. Le patrimoine d�fensif est tout aussi bien mal en point. Trois vestiges en t�moignent. Ce sont d�abord les restes de la fa�ade orientale de l�enceinte du XIe si�cle (sous l��cole du front de mer et de la mosqu�e Abu Marwan). Ce tron�on des remparts est entam� par des constructions � sa base du c�t� de la Marine. Pourtant, pour les architectes et l��cole d�architecture, il y a l� un bel �chantillon des modes de construction du XIe. Le seul maire qui s�en �tait souci� et avait entrepris une �tude en vue de sa consolidation fut le regrett� Chekman. Aujourd�hui ce mur se d�sagr�ge inexorablement. Le deuxi�me vestige, li� au pr�c�dent, est le fort des Supplici�s (face � l�entr�e sup�rieure de la Facult� de droit). L�atteinte ici est double l��difice est squatt�, depuis des dizaines d�ann�es, par une famille qui pr�tendrait en �tre la propri�taire (?) Aucune autorit� n�a voulu (?) ou n�a pu (?) sauver ce monument inscrit sur l�inventaire national donc, par d�finition, bien de la communaut� nationale. Le monument est fissur� ; il est enfoui sur au moins un m�tre dans la chauss�e ; ses murs suintent d��coulements d�eaux us�es noir�tres et naus�abondes. Une op�ration de cr�pissage �catastrophique� au ciment a �t� entreprise par l�APC ; heureusement que la Direction de la culture y a mis le hol�. En attendant, le squatter y est toujours et l�espace y attenant sert de parking : pourtant le monument est face � l�universit� qui aurait pu faire quelque chose, via son �cole d�architecture. Le troisi�me monument, �galement inscrit sur l�inventaire national, est la citadelle de la Kasaba, �difi�e par l�un des premiers sultans hafsides en 1300 de J.C. Voici un complexe gouvernemental, qui, apr�s avoir �t� malmen� par la colonisation, qui en avait fait un �difice militaire, a �t� transform� d�abord en parc pour les instruments des �boueurs (sic) de la commune et pour le stockage du mobilier scolaire r�form�. En 1990/91, il a �t� am�nag� en centre de transit, officiellement pour des �sinistr�s�, mais il a failli, en r�alit�, se transformer en foyer de subversion. Un projet de sa r�habilitation a �t� entam� au d�but de ce mill�naire ; mais il semble �tre � l�arr�t. L�aspect mis�rable de la mairie coloniale La gangr�ne s�vit �galement au niveau des �difices d�habitation. Les premiers responsables de la d�t�rioration de cet habitat sont les propri�taires et les locataires qui ont atomis� les espaces pour abriter le plus grand nombre. Les chambres ont �t� divis�es, les d�cors vandalis�s� De belles et repr�sentatives demeures de l�architecture traditionnelle et du style raffin� de vie ont compl�tement disparu sous le coup de ces d�t�riorations. Il en reste, cependant, quelques unit�s r�cup�rables � br�ve �ch�ance : mais l� seuls les organismes publics, ou des entreprises touristiques, etc. pourraient les sauver en les acqu�rant aupr�s de leurs propri�taires et en les r�habilitant d�urgence, car elles ne tiendront pas longtemps. Signalons une autre atteinte � l�esprit m�me d�habitat ici : c�est d�avoir laiss� devenir la Madina un centre de transit, donc de la disparition du sentiment d�appartenance � la cit�. Il s�agit, donc, ici de porter secours � un patrimoine en danger de disparition. Annaba a �galement h�rit� un patrimoine architectural colonial, ce sont essentiellement les �difices situ�s sur le cours de la R�volution : l�h�tel de ville et les immeubles. Il est d�concertant de voir l�aspect mis�rable de la fa�ade de la mairie : la crasse des murs �pleureurs�, un balcon o� se bousculent les corps des conditionneurs d�air, le martelage du bas-relief du balcon, des murs l�preux qui suintent� L�int�rieur de l��difice a compl�tement perdu son �l�gance : le bois peint, de style italien, se d�sagr�ge, les d�cors en stuc de la salle des actes ont pratiquement disparu. Une seule tentative de r�habilitation a �t� tent�e vers le milieu des ann�es 80, mais elle est rest�e sans suite. Les fa�ades des immeubles du cours constituent un inventaire des principaux types de fa�ades de la M�diterran�e occidentale. Ces fa�ades ne sont pas entretenues ; mais quand il y a ravalement, on �peinturlure� en arlequinade. Alors ? Quand les citoyens annabis, leurs �lus et les autres autorit�s locales vont-ils proc�der au sauvetage de ce patrimoine ?