Lorsque j'�tais enfant, et qu'on m'enseignait les rudiments de la religion, j'essayais toujours de m'imaginer � quoi ressemblaient les protagonistes du premier �ge. Pour moi, il n'y avait pas de nuances dans la confrontation entre l'Islam naissant et l'establishment pa�en. Ces derniers �taient, sans contredit, les m�chants, conduits par Abou Djahl, et qui pers�cutaient la petite minorit� des gentils. Cette poign�e d'adeptes, pourchass�e et martyris�e, avait pour moi les visages des plus gentils, et des plus beaux de mes proches. Et je peux t�moigner ici qu'il n'y avait pas de blonds aux yeux bleus, � des kilom�tres � la ronde. Quant aux m�chants, je les voyais chaque fois que je croisais un de ces �tres difformes, � la figure d�vor�e par la morve et les mouches, et au cheveu hirsute. Le plus laid d'entre les laids de cette �poque incarnait, � mes yeux, Abou Djahl, l'adversaire le plus f�roce du Proph�te. Cependant, je n'h�sitais pas, le cas �ch�ant, � lui pr�ter les traits d'un ennemi ponctuel, comme un membre de l'auguste assembl�e des a�n�s que j'avais oubli� de saluer. Il s'�tait empress� de se plaindre de mon �tourderie � mon oncle, le chef de famille, qui m'avait sermonn� comme il se doit. A cette �poque, et pour �tre bien assimil�e, la le�on devait �tre pr�c�d�e de quelques gifles ass�n�es de main de ma�tre. J'ai tellement �t� convaincu que j'ai conserv�, durant des ann�es encore, le r�flexe de dire �Saalam alikoum � � tout ce que je croisais : hommes, animaux, ombres de la nuit, etc. Il y en avait un aussi, � qui j'aurais volontiers coll� le masque hideux du sinistre Abou Djahl, mais il s'obstinait � �tre toujours bien ras� et d'une �l�gance irr�prochable. C'est l'imam de la mosqu�e qui m'avait fait entrer la sourate �Errahmane� dans la t�te � coups de b�ton sur la plante des pieds. Pour raviver ma douleur, il s'en �tait vant� aupr�s de mon p�re, commer�ant, qui s'�tait empress� de remplir le couffin de l'imam de menus cadeaux. Est-ce ainsi que naissent les vocations ? Beaucoup plus tard, la litt�rature et le cin�ma ont fa�onn� plus nettement les traits d'Abou Djahl : gandoura, cheveux longs et barbes broussailleuses. Ce portrait Abou Djahl et ses compagnons sont devenus ensuite mes voisins. Les militants islamistes barbus qui arpentaient le macadam ressemblaient comme des fr�res au �P�re de l'ignorance �. C'est ce que signifie, je crois, le terme �Abou Djahl�. �a faisait quand m�me tout dr�le d'�tre regard� comme �ennemi de l'Islam�, par des sosies d'Abou Djahl qui avaient la m�me fureur homicide dans le regard. C'est ce regard exalt� et haineux qu'on retrouve aujourd'hui aussi bien chez les illumin�s hindouistes, que chez les rabbins juifs qui font la chasse au p�re No�l, ou les cheikhs musulmans qui incitent � massacrer les Coptes. C'est pour cela que je dois de vifs remerciements � ce th�ologien �gyptien, ancien membre d'Al-Azhar, qui recommande aux musulmans sinc�res de se raser la barbe. Cheikh Mahmoud Achour, cit� par Al-Misryoune, affirme que Abou Djahl, adversaire acharn� de l'Islam, portait une longue barbe. �Or, dit-il, le Proph�te a recommand� aux musulmans de se raser la moustache et de se laisser pousser la barbe afin de se distinguer des chr�tiens et des Juifs. Or, dit Cheikh Mahmoud, aujourd'hui les Juifs et les chr�tiens portent tous la barbe. Il faut donc que les musulmans soient imberbes s'ils ne veulent pas leur ressembler. � Mahmoud Achour plaide, par ailleurs, pour un vrai rapprochement entre les sunnites et les chiites, qui n'ont pas de divergences fondamentales. Il pr�conise la r�conciliation, non seulement avec les chiites duod�cimains, mais aussi avec les isma�liens et les yazidites. Une pr�cision, toutefois : ces propos n'ont pas �t� tenus dans l'enceinte d'Al-Azhar et n'ont rien d'officiel. La derni�re prise de position de l'institution officielle a �t� de d�clarer licite la construction du mur d'acier entre l'�gypte et Ghaza. Ce mur devrait permettre d'isoler compl�tement Ghaza du reste du monde et d'accro�tre la pression sur une population d�j� asphyxi�e par le blocus isra�lien. L'�crivain �gyptien Alaa Aswani d�plore le manque de r�action de la rue �gyptienne devant les malheurs du peuple de Ghaza. �Certes, dit-il, le peuple �gyptien est de tout c�ur avec les Palestiniens, mais cela ne suffit pas. Cette solidarit� doit s'exprimer dans la rue et de fa�on massive.� L'�crivain salue l'abn�gation et l'engagement des centaines d'Occidentaux qui ont choisi de c�l�brer les f�tes de fin d'ann�e, en venant manifester leur solidarit� avec Ghaza. Mais c'est le moment que choisissent les th�ologiens �gyptiens pour recommander aux musulmans de ne pas souhaiter leurs f�tes aux chr�tiens, note-t-il dans cet article, publi� jeudi dernier par le quotidien cairote Echourouk. Or, cet article pr�monitoire qui condamne l'intol�rance religieuse et la passivit� de la soci�t� est paru le jour m�me du massacre de Nag Hammadi, en Haute-�gypte. Ce jour-l�, alors que la population copte locale venait de c�l�brer le No�l orthodoxe, et de quitter l'�glise apr�s la messe de minuit, la foule a �t� mitraill�e. Trois individus � bord d'une voiture ont d�clench� un feu nourri contre les fid�les, tuant sept personnes, dont un policier. Les trois assaillants, encercl�s le lendemain dans un champ de cannes � sucre, se sont rendus, mais la col�re de la population copte ne s'est pas calm�e pour autant. Comme d'habitude, les autorit�s ont r�agi apr�s coup, en renfor�ant un dispositif policier destin� surtout � emp�cher les manifestations coptes. Les victimes ont eu droit � l'appellation de �chou hadas�, martyrs, ce qui leur assure au moins des promesses de paradis, si les th�ologiens musulmans ne s'y opposent pas. La col�re copte s'est paradoxalement d�vers�e sur le gouverneur de Nag Hammadi, Magdi Ayoub. Seul copte parmi les 29 gouverneurs de provinces, Magdi Ayoub a agi contre les int�r�ts de ses coreligionnaires. Ceuxci se plaignent surtout de son ardeur � satisfaire les d�sirs et les revendications des musulmans au d�triment de la communaut� copte. C'est ainsi qu'il a autoris� la construction de plusieurs mosqu�es alors que l'�dification de lieux de culte coptes a �t� interdite. C'est ce qui s'appelle servir la soupe � ceux qui sont d�j� rassasi�s. Dans leur malheur, les Coptes d'�gypte doivent compter avec les ambitions politiques du clan Moubarek, qui ne consacre ses efforts qu'au r�glement du probl�me de succession. Tout le gouvernement est mobilis� pour la r�alisation de cet objectif, qui semble avoir re�u l'appui des Etats-Unis. Pour Washington, tout ce qui peut servir les int�r�ts d'Isra�l est � prendre en consid�ration, y compris avec des entorses aussi criantes au jeu de la d�mocratie. Finalement, les apparitions de la Vierge Marie au-dessus de certaines �glises du Caire n'auront suscit� qu'un vain espoir. Le massacre de Nag Hammadi a replong� les Coptes d'�gypte dans la dramatique r�alit�. Celle qui veut que les assassins de Coptes soient syst�matiquement innocent�s par les tribunaux ou graci�s. Il y a dix ans, 21 Coptes avaient �t� tu�s � Kosheh, et tous les accus�s avaient �t� lib�r�s. Ce qui a constitu� un encouragement pour des extr�mistes assur�s de l'impunit�. On m�ditera aussi sur cet avertissement sans �quivoque adress� par Hassan Nasrallah aux chr�tiens du Liban. �Souvenez-vous des chr�tiens d'Irak qui, malgr� les troupes am�ricaines, n'ont pu c�l�brer leur No�l�, a d�clar�, sans ambages, le chef du Hezbollah. Quand on sait que les chiites du Liban le voient d�sormais avec une aur�ole de saintet�, on ne peut qu'avoir des craintes pour l'avenir. Tout cela ne l'emp�che pas de ressembler, lui aussi, � Abou Djahl.