L'augmentation du prix de la baguette de pain par certains boulangers dans plusieurs wilayas de 10 à 15 dinars fait le buzz. Même le ministre du commerce, Mohamed Benmeradi, a bondi de son bureau en brandissant un carton rouge contre cette hausse jugée «illégale». Il y a bien sûr une dimension sociale, voire sentimentale, quand on a affaire au pain. Mais tout de même... Une baguette à 15 dinars fortement dévalués, il n'y a pas de quoi en faire un plat. Les boulangers ont raison d'arguer le gel de son prix depuis plus de 30 ans pour justifier leur décision de forcer la main aux pouvoirs publics qui se sont dispensés de l'effort de trouver une solution qui satisfasse tout le monde. Il y aura toujours ceux qui rueront dans les brancards en accusant les fabricants de pain de vouloir «affamer» les familles vulnérables avec ces cinq dinars de plus. Ils sont rares en revanche à être sensibles à la cause des boulangers qui sont dans le pétrin, même si la farine est subventionnée. Autre réalité : on n'a pas entendu autant de résistance à l'augmentation du tarif du café qui est passé à 30 dinars ou encore ceux du gaz, de l'électricité et de l'eau. Pourtant, les riches comme les pauvres d'entre nous payons les mêmes factures. Il faut dire que la modicité du prix de la baguette de pain est une sorte d'amalgame de nostalgie, d'assistanat et de résidu du socialisme de la mamelle. C'est quasiment une autre «constante nationale» décrétée par une règle non écrite, au mépris de toute logique économique. Le propos ici n'est pas de remettre en cause la vocation sociale de l'Etat algérien qui est un grand acquis couplé à une solidarité nationale envers les démunis. Il faut pourtant admettre que notre contexte extrêmement difficile n'autorise plus la reconduction à l'infini d'un populisme teinté de romantisme des années bénites. L'Etat ne peut plus supporter tout et à lui tout seul. Il est mis en demeure de réfléchir à des dispositifs efficients qui protègent à la fois les ménages à faibles revenus, les producteurs de biens de consommation, et évidemment ses propres équilibres financiers, tout comme les 25 dinars pour le sachet de lait. Surtout pas quand on sait que plus de dix millions de baguettes finissent quotidiennement dans les poubelles en Algérie. Le gaspillage est atterrant ; encore plus durant le mois sacré du ramadhan où la boulimie devient pathologique. La faute revient à la subvention généralisée des produits alimentaires, pointée par tous les experts, les organismes et les institutions spécialisés. Ce système très algérien fait des dégâts. L'Etat perd de l'argent pour aider des démunis à s'empiffrer de pain jusqu'à en jeter dans les poubelles. Il fait profiter des millionnaires et des milliardaires de cette divine chance de payer la baguette au même prix que le smicard. Seul au monde ! Depuis des années que les ministres du Commerce nous serinent leur volonté d'étudier le dossier avec les boulangers pour nous cuire du bon pain au plaisir de tous. On avale la baguette-promesse puis... rien jusqu'à la nouvelle (re)montée au créneau des professionnels. Il n'est pas sain désigner à la vindicte populaire les seuls boulangers coupables d'avoir augmenté le prix du pain devant le manque d'écoute de la tutelle. Eux aussi pensent qu'ils se font rouler dans la farine subventionnée. Qu'ils sont jetés en pâture au nom d'un sacro-saint «touche pas à mon pain !» à forte valeur ajoutée populiste certes, mais qui n'est plus de mode. La situation financière du pays commande au gouvernement de mettre un peu de rationalité dans sa gestion. Les subventions massives et généralisées ne sont plus supportables. Il y a sans doute une meilleure façon d'aider ceux qui le méritent que par la fixation du prix de la baguette de pain à 10 dinars ou celui du ticket de restauration dans les cités U à 1 dinar 20. Cela résume un peu le cercle vicieux algérien. Il y a pourtant un temps pour tout.