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Pierre Stambul, co-président de l'Union Juive Française pour la Paix : «Netanyahu œuvre à faire des Palestiniens les Indiens du Proche-orient»
Publié dans Le Temps d'Algérie le 28 - 04 - 2018

Pierre Stambul, co-président de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP) nous parle de la Nekba, du 70e anniversaire de la création de l'Etat d'Israël, de la complicité de pays arabes avec Israël contre les Palestiniens, et la coopération engageant Israël et l'Arabie saoudite.
Le Temps d'Algérie : 40 morts depuis le début de la Grande marche pour le retour à Ghaza. Quels sentiments éprouvez-vous ?
Pierre Stanbul : Les gouvernements israéliens ayant fermé toute possibilité de compromis, il était logique que la revendication qui fait aujourd'hui l'unanimité chez les Palestiniens soit le retour, puisque le crime fondateur a été l'expulsion de la majorité des Palestiniens et la destruction de leurs villages en 1948-49. J'étais moi-même au Sud-Liban, à la frontière israélienne le 30 mars, jour du premier massacre à Ghaza. Il fallait voir l'émotion de ces centaines de réfugié(e)s palestinien(ne)s du Liban regardant leur pays, la Palestine, à quelques centaines de mètres.
Depuis des années, la société civile de Ghaza voulait organiser une marche du retour, mais c'était interdit par le gouvernement du Hamas. Cette année, la marche a été autorisée.
Le crime israélien a été annoncé et prémédité. Aucun dirigeant de ce monde n'a fait quoi que ce soit pour empêcher le massacre. Les Israéliens ont utilisé des armes interdites : gaz, balles dum-dum qui déchiquettent les corps. Bien abrités, ils ont tué délibérément un handicapé, un adolescent de 15 ans, un journaliste. Lieberman a dit que personne n'était innocent à Ghaza. Sur une vidéo, des soldats poussent des cris de joie quand un manifestant est tué. Des voix ont timidement demandé une «enquête indépendante». Nétanyahou refuse. Tant qu'il n'y aura de sanctions, les crimes continueront.
Croyez-vous qu'Israël acceptera un jour un plan de paix qui engloberait le retour des exilés palestiniens après la fondation en 1948 d'Israël ?
Bien sûr que non. Les pseudo processus de paix depuis Oslo ont été des camouflages pour permettre à la colonisation de devenir galopante. 12% des Juifs israéliens sont des colons. Et ceux-ci forment la moitié de l'armée et du gouvernement. Le sionisme a toujours été totalement négationniste sur l'histoire, la mémoire et la dignité du peuple palestinien. La propagande sioniste dit qu'après 2000 ans d'exil, les Juifs sont rentrés chez eux, ce qui est un mensonge historique évident. Cette même propagande dit qu'en 1948, «les Arabes sont partis d'eux-mêmes», alors que tous les historiens ont montré que le nettoyage ethnique (la Nakba) était prémédité. Israël est un Etat juif dans lequel les Palestiniens sont considérés comme des intrus. La propagande dit que le retour des réfugiés signifierait «les Juifs à la mer». Donc, avec le sionisme et l'apartheid, le refus de ce retour est au cœur de la politique israélienne.
Il y a 70 ans, l'Etat d'Israël a été créé. Une bonne chose pour la région ?
La création d'Israël est indissociable de l'expulsion des Palestiniens. Les institutions sionistes qui ont chassé les Palestiniens de leur propre pays ont été créées des décennies avant la création d'Israël, comme l'indique le titre de mon livre qui sort dans un mois, «La Nakba ne sera jamais légitime». Et pour reprendre le titre d'un autre livre écrit par l'Israélienne Ofra Yeshua-Lyth : «Un Etat juif n'est pas une bonne idée». Les sionistes ont théorisé dès la fin du XIXe siècle que Juifs et non Juifs ne pouvaient pas vivre ensemble. C'est cette idée meurtrière qui a abouti à l'apartheid actuel. Par contre, même si sa création est illégitime, le peuple israélien existe et il a ses droits. Croire que son maintien dans la région ne peut se faire que par la violence est immoral et absurde. C'est exactement l'inverse. Comme l'a montré l'exemple de l'Afrique du Sud, c'est l'acceptation du «vivre ensemble dans l'égalité des droits» et la réparation de la Nakba qui permettront ce maintien.
De nombreux juifs dans le monde, dont des auteurs de livres, s'étaient exprimés contre la création de l'Etat d'Israël. Pourquoi ?
Le sionisme a été une idée minoritaire chez les Juifs jusqu'en 1945. Beaucoup revendiquaient l'égalité des droits et l'arrêt des discriminations dans les pays où ils vivaient. Certains avaient pressenti qu'en Palestine se déroulait un phénomène colonial d'un type particulier puisqu'il visait, non pas à dominer, mais à expulser le peuple colonisé. C'est le génocide nazi et la complicité des antisémites européens, ravis que les Juifs quittent l'Europe, qui ont rendu possible cette création. Pourtant, les sionistes ont très peu participé à la résistance au nazisme et certains ont collaboré.
La commémoration du 70e anniversaire de la fondation de l'Etat d'Israël aura lieu avec la gestion d'Israël par Benyamin Netanyahu. Le Premier ministre d'Israël a-t-il favorisé la paix ou plutôt l'aggravation de la situation ?
Nétanyahou n'a jamais eu le projet de faire la paix, mais celui d'utiliser la violence pour faire des Palestiniens les Indiens du Proche-Orient, discriminés, expulsés, assassinés ou parqués dans leurs réserves. Pour faire une comparaison avec l'Algérie, ce qui se passe en Israël/Palestine, c'est ce qui se serait passé chez vous si l'OAS avait gagné la guerre d'Algérie. Dans ce tableau sombre, il ne faut pas oublier que «l'alternative» à Netanyahou en Israël, c'est-à-dire ce qu'on appelle improprement la «gauche sioniste», est compromise dans tous les crimes commis contre les Palestiniens : la Nakba, la colonisation, la construction du mur, le blocus de Ghaza...
Quels choix resteraient, aujourd'hui, aux Palestiniens, pour recouvrir leurs droits ?
Les Palestiniens ont tout essayé : la lutte armée, la diplomatie, la négociation, la résistance non armée. Pour faire la paix, il faut être deux et les dirigeants israéliens n'ont jamais renoncé à leur but. Puisque, pour eux, cette terre était une «terre sans peuple pour un peuple sans terre», les Palestiniens ne doivent pas exister en tant que peuple. Un ethnocide, c'est-à-dire la destruction méthodique de la société palestinienne, est à l'œuvre.
S'ajoute aujourd'hui un autre drame qui est une grande victoire de l'occupant : la division palestinienne et la complicité de plusieurs gouvernements arabes avec l'occupant. Alors, il ne reste que ce que les Noirs d'Afrique du Sud ou du Sud des Etats-Unis ont fait pendant des décennies : résister, se battre à mains nues, demander à la société civile du monde entier qu'enfin cet Etat voyou soit sanctionné.
La commémoration de la création de l'Etat d'Israël coïncide avec la reconnaissance par le président américain d'Al Qods comme capitale d'Israël. Parlez-nous-en.
Trump et Netanyahou appartiennent à la même mouvance. Ce sont des politiciens racistes, violents et sans scrupules En déménageant l'ambassade américaine à Jérusalem, Trump reprend un vieux projet américain : remodeler le Proche-Orient, dominer totalement cette région riche en pétrole en s'appuyant à la fois sur Israël et l'Arabie saoudite.
Washington est-il toujours un médiateur pour la paix entre les Palestiniens et les Israéliens?
Les Etats-Unis n'ont jamais été des médiateurs. Ils ont armé Israël avec les armes les plus sophistiquées. Ils ont empêché en permanence toute sanction contre Israël à l'ONU. Il faut relire Charles Enderlin (ancien correspondant de la télévision française en Israël) dans son livre «Le rêve brisé». Au moment des dernières négociations en 2002, quand Arafat refuse de signer la capitulation qu'on lui demande (abandonner Jérusalem, les blocs de colonies et le droit au retour des réfugiés), Clinton qui sait pourtant qu'Israël est responsable de la situation, menace Arafat : «Tu signes ou tu es un homme mort et nous te ferons porter la responsabilité de l'échec».
Même Obama a versé des millions de dollars à l'armée israélienne pour qu»elle renouvelle son stock de munitions. Comme Juif, je me permets de critiquer les dirigeants palestiniens : comment ont-ils pu croire une minute que les Etats-Unis étaient des médiateurs ?
Il y a également le rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël. Cela favorise-t-il la perspective de paix entre les Israéliens et les palestiniens ?
Le régime saoudien est une dictature féodale, patriarcale, esclavagiste et ultralibérale. Le nouveau roi MBS porte une responsabilité majeure dans le drame vécu par le peuple yéménite. Les pays qui l'arment (Etats-Unis, France) savent que ce régime a joué un rôle majeur dans la création et le financement d'Al Qaïda ou de Daech. L'alliance décomplexée avec Israël n'est hélas pas étonnante : les deux pays sont dans le même camp.
Des responsables israéliens ont parlé d'une prochaine guerre avec l'Iran. À quoi obéit cette perspective ?
Les dirigeants israéliens ont toujours voulu internationaliser la guerre qu'ils mènent contre le peuple palestinien. Tous les dirigeants israéliens ont régulièrement fait campagne pour une guerre contre l'Iran. Le plus cocasse est qu'Israël reproche à l'Iran de vouloir avoir la bombe atomique alors qu'Israël n'a signé aucun accord sur le nucléaire et a, de notoriété publique, de très nombreuses têtes nucléaires.
Quelles chances pour les habitants de Ghaza de vivre en paix, 70 ans après la création d'Israël ?
Avec ma compagne, nous avons pu passer trois semaines à Ghaza, il y a deux ans. Je ne sais pas si, un jour, nous pourrons revenir. Ghaza est un camp de concentration où deux millions de personnes sont enfermées par terre, par mer et par air. La division palestinienne avec deux gouvernements dont le principal but est de faire tomber l'autre est une vraie honte qui aggrave la situation. Et pourtant, la population de Ghaza éduque ses enfants, il n'y a pas d'illettrisme, cultive la terre partout où c'est possible, fait la fête, résiste, vit. C'est une société normale dans une situation totalement anormale. Mon association (l'UJFP) a pu financer la construction d'un château d'eau qui permet aux paysans de pouvoir cultiver sur un territoire où il y a de 4 à 6 heures d'électricité par jour et où presque partout l'eau est impropre à la consommation. Nous devons briser le blocus de Ghaza.
Entretien réalisé par


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