Les pays occidentaux ont multiplié les marques de soutien à la Libye après le bref enlèvement du Premier ministre Ali Zeidan jeudi, mais devant l'anarchie régnant dans le pays, ils manquent cruellement d'un interlocuteur fiable pour aller au-delà des déclarations de bonnes intentions. Impuissants à empêcher la dislocation de l'Etat libyen, les pays qui avaient précipité la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, France et Grande-Bretagne en tête, en sont désormais réduits à espérer que les Libyens trouveront eux-mêmes un système de gouvernement qui leur permettrait de surmonter leurs divisions ethniques, tribales et régionales. Le gouvernement de Tripoli ne disposant que d'une autorité limitée dans le reste de la Libye, et même dans la capitale, comme en témoigne l'enlèvement d'Ali Zeidan, les Occidentaux n'ont pas de partenaire pour mettre en œuvre la stratégie qu'ils avaient imaginé pour stabiliser le pays. A l'origine, l'Otan devait former les forces de sécurité libyennes pour leur permettre de sécuriser les infrastructures clés, notamment les sites pétroliers sur lesquels repose toute l'économie du pays, les villes et les frontières avec l'Egypte et l'Algérie. Las, en l'absence d'une autorité centrale crédible, une telle initiative aurait toutes les chances de conduire à la création de nouvelles milices, ou au renforcement d'une partie de l'Etat au détriment des autres, et de miner ainsi un peu plus une transition démocratique déjà au point mort. CASSE-TÊTE L'enlèvement d'Ali Zeidan illustre ce casse-tête, puisque les miliciens qui l'ont "arrêté" - officiellement pour protester contre le feu vert de Tripoli à la capture d'un chef d'Al Qaïda par un commando américain le week-end dernier - font eux-mêmes partie de l'appareil sécuritaire. Après la libération du Premier ministre, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a reconnu que l'Alliance atlantique ne savait toujours pas comment répondre aux demandes de formation des forces de sécurité formulées par la Libye. Il y a "des interrogations sur l'impact de la situation sécuritaire sur une possible aide de l'Otan", a-t-il dit au cours d'une conférence de presse à Bruxelles, sans davantage s'étendre sur le sujet. Le ministère britannique de la Défense assure de son côté que l'assistance occidentale se débloquera quand un programme aura été finalisé et quand les éléments à former auront été recrutés. "Nous pensons que ça devrait être le cas en début d'année prochaine", a précisé un porte-parole. A Washington, un responsable du Pentagone a indiqué que les Etats-Unis, dont l'ambassadeur en Libye a été tué l'an dernier pendant l'attaque du consulat à Benghazi, préféreraient former le personnel libyen en dehors du pays plutôt qu'envoyer un nombre important de formateurs sur place. Avant d'en arriver là, encore faudrait-il que les Libyens se mettent d'accord sur une nouvelle constitution qui définirait le partage du pouvoir entre villes, tribus ou ethnies rivales et, surtout, la répartition des revenus du pétrole et du gaz. Ali Zeidan risque aussi d'être emporté à tout moment par un vote de défiance du parlement transitoire, le Congrès général national, profondément divisé entre l'Alliance des forces nationales, plutôt laïque, et les Frères musulmans. PAS DE SOLUTION MILITAIRE L'autorité du gouvernement de Tripoli est particulièrement contestée dans l'est du pays, berceau du soulèvement contre le colonel Kadhafi, où des manifestants ont bloqué ces dernières semaines les ports pour protéger, selon eux, le pétrole libyen de la prédation d'une élite corrompue. Mais le vide sécuritaire a aussi profité aux islamistes radicaux liés à Al Qaïda, qui se sont abondamment fourni dans les arsenaux de l'armée de Mouammar Kadhafi, dont les armes se sont disséminées du Mali à la Syrie, en passant par l'Egypte et la Tunisie. "Jusqu'ici, personne n'avait vraiment prêté attention à la fragmentation extrême de la Libye et à la montée en puissance des milices. Désormais, ça saute aux yeux", a déclaré un ancien responsable de la sécurité nationale américaine après l'épisode Zeidan. En dépit de ce constat, les Etats-Unis et leurs alliés ne peuvent pas faire grand-chose sur le plan militaire, et ce n'est pas le déploiement préventif de 200 "marines" américains sur une base en Italie après le raid du week-end dernier, qui va changer fondamentalement la donne. Faute de solution militaire, il ne leur reste donc qu'à espérer que les Libyens ont retenu les leçons du passé et que les soubresauts actuels préfigurent un accord de partage du pouvoir. La situation en Libye n'est "pas totalement catastrophique", juge ainsi Geoff Porter, un analyste de North Africa Risk Consulting, qui voit dans la libération rapide d'Ali Zeidan un signe que les miliciens ne cherchent "pas la confrontation, mais la négociation".