L'outrage fait à Sarah Ikker, le nouveau roman de Yasmina Khadra, nous fait voyager au Maroc, ce pays si prisé par les européens où les senteurs maghrébines et effluves orientales apportent cette charge d'exotisme si recherchée par les occidentaux. De tout temps, Yasmina Khadra nous a fidélisés avec des thématiques beaucoup plus politiques que sociales, mais cette fois-ci, il revient avec un nouvel ouvrage au titre surprenant «L'outrage fait à Sarah Ikker» qui nous introduit d'emblée dans un genre nouveau avec une trame romanesque à laquelle se greffent les ingrédients du roman policier. Paru aux éditions Casbah, L'outrage fait à Sarah Ikker est une belle diatribe de la société marocaine. Il met l'accent sur cette classe bourgeoise avec tous ses travers. Une société corrompue Cette société corrompue, cupide, injuste et volage fait un pied de nez à tous ces damnés de la terre pour qui la seule faute est d'être nés pauvres. Yasmina Khadra sonde et perce les tréfonds de cette classe de nantis qui est bien loin de ce lumpen-prolétariat qui quotidiennement tire le diable par la queue. C'est la saga de Driss et Sarah Ikker, un couple comblé venu d'horizons divers. Lui est un fils de berger, et elle, fille du vénérable Abderrahmane Chorafa, directeur de l'école de police de Kenitra. Heureux de cette union, ils déchantent, lorsque Sarah est violée un soir où son mari est en mission. Depuis cet événement dramatique, Driss est comme un zombie, il n'a qu'une seule obsession : attraper le violeur qui a souillé son honneur et détruit son bonheur conjugal. A travers l'enquête qui suivra, Yasmina Khadra dissèque au scalpel cette société si bien structurée en apparence, mais dont les lézardes sous-jacentes traduisent un grand malaise social. Il dépeint cette société avec son lot de corruption, de népotisme, de cruauté et d'inégalités sociales. Il a su construire son histoire de viol avec une intrigue qui fait des clins d'œil au style du polar, avec des doutes, des rebondissements et des fausses pistes, le tout mené d'une main de maître comme sait le faire si bien l'auteur émérite. Réalisme C'est une construction dramatique élaborée avec de fausses pistes pour que le polar tienne la route avec tout un panel de personnages bien dessinés qui gravitent autour de cette tragique saga comme le commissaire de police de Tanger Rachid Baez, Slimane Rachgoune son secrétaire particulier, le brigadier Farid Aghroub, Ala jay, le lieutenant; et Arslène Lebben; le suspect; et Driss Ikker, lieutenant et victime. Ce livre qui est le tome 1 d'une trilogie est une belle plongée extrêmement réaliste dans la société marocaine des nantis qui nous rappelle cette citation de Montesquieu : «Il n'y a pas de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice». Avec un style alerte assez cinglant par moments, le récit s'emballe, pied au plancher, le maître de céans déroule : le viol, le suspect, la pièce à conviction etc. C'est une longue, fascinante et poignante mélopée, pleine de suspense, de doutes et de frasques jusqu'à la vague finale qui emporte le couple. L'écheveau à démêler ne manque pas de suspense car l'auteur a plus d'un tour dans son sac. Quel que soit son univers, Yasmina Khadra est un grand maître conteur. Ce roman se lit d'une traite. Une fulgurance !