Des tentes de diverses couleurs mettant à l'abri de la bruine les étals de pétards s'étendent sur plus d'un kilomètre. C'est le décor qui accueille tout potentiel acheteur de pétards et autres produits pyrotecniques à Djamaâ Lihoud. La diversité des produits exposés est surprenante et… inquiétante. Les appellations données aux produits démontrent, s'il en est, et dans le subconscient des citoyens, leur dangerosité. «Chitana», un pétard ne dépassant pas les 5 cm, est selon des vendeurs «le produit de l'année». Loin de toute référence religieuse, quel paradoxe de donner à ce pétard le nom de diablesse, et cela à l'occasion du Mawlid Ennabaoui ! Aussi, et devant un tel étalage, il est à se demander comment peut-on laisser ces jeunes commerçants vendre autant de marchandise sans être inquiétés ? Un jeune, d'une vingtaine d'années, ne tardera pas à nous répondre : «Eddawla chafat yemahoum.» Pour ne pas entrer dans les détails et éviter toute poursuite judiciaire, cette expression est explicite. Comprendra qui veut. Le commerce de pétards est une activité juteuse, drainant des milliards de dinars. Nonobstant leur vente et leur utilisation, leur achat est prohibé par les pouvoirs publics. Un commerçant, vendeur de vêtements à l'origine, avoue profiter de l'occasion pour se convertir en vendeur de pétards. «Les pétards sont ramenés le plus normalement du monde sur le territoire national par les ports, avec la bénédiction du pape bien sûr. Pourquoi ne pas en profiter.» Décidément, les réponses ne sont données qu'avec des sous-entendus. Un autre affirme que «les pétards sont dissimulés dans les containers de vêtements provenant d'Asie». Il s'agit comme l'indique l'étiquette apposée sur les paquets de l'empire du Milieu, de la Chine, des dragons et des doubles bombes ! «El boq», des pétards sous forme de grenades sont vendus à 750 DA. Au premier coup d'œil, on ne peut qu'être impressionné. «Les dragons», pétards qui explosent en les jetant en l'air, sont monnayés entre 350 et 850 DA. Des feux d'artifice et des «saroukh» (fusées) sont vendus à partir de 800 DA. Les doubles bombes, pétards à double puissance, sont cédées entre 400 et 600 DA. Et la liste est longue. Un choix des plus larges pour des clients de toutes les catégories sociales. Tout le monde achète. Alors, qui se lamente et qui parle de danger ? A voir l'excitation de la clientèle, il serait inapproprié de parler de faiblesse de pouvoir d'achat ou de responsabilité des parents. «J'achète uniquement pour les gosses», siffle un père de famille sans être interrogé. La responsabilité des parents est absente pour laisser place «au plaisir enfantin». Sont-ils conscients du danger qui guette leur progéniture ? Chaque année, les services d'urgence des hôpitaux reçoivent les victimes des pétards. Des centaines d'enfants perdent annuellement un œil lors de cette soirée transformant l'évènement heureux en drame. De l'argent parti en fumée, telle est la vraie description animant le quartier populaire de Djamâa Lihoud ainsi que ceux de Bab El Oued, Belouizdad et Hussein Dey, pour ne citer que ceux-là.