De nos jours, la violence est tellement omniprésente qu'elle est devenue un comportement somme toute banal et les rixes entre quartiers ou «bandes rivales» sont chose courante, tournant parfois au drame. Dans ces cas-là, peut-on vraiment délimiter qui sont les agresseurs et les agressés, et dans quels cas il y a légitime défense ou préméditation ? C'est face à ce dilemme que se sont heurtés les magistrats qui siégeaient mardi au tribunal de Chéraga, au cours d'une audience qui a vu la comparution de deux jeunes hommes d'à peine une vingtaine d'années. Le principal accusé était détenu pour coups et blessures aggravés à l'arme blanche, tandis que son acolyte devait répondre du chef d'inculpation de tentative d'agression à l'arme blanche. L'avocat de l'accusation affirma toutefois que puisqu'il y avait préméditation les accusés devaient être poursuivis pour tentative de meurtre et agression. Les avocats de la défense ont soulevé une objection à cette requête, estimant que leurs clients avaient agi en légitime défense. Cette nuance d'accusation peut paraître légère, mais peut faire toute la différence. Au cas où l'intention de tuer est établie, les accusés encourent jusqu'à dix ans de prison, tandis que la peine n'est que de deux années en cas de non-préméditation. La magistrate décida d'en juger après l'audition des différentes parties. Les deux prévenus entamèrent alors leur récit. Le jeune homme accusé de menaces raconta : «La victime et ses copains n'arrêtaient pas de nous chercher des noises, sans que l'on sache pourquoi. Un soir, ils sont venus jusqu'à notre quartier à sept, tous armés de couteaux et de marteaux. Affolés, j'ai envoyé un copain chercher le principal accusé. La bande a commencé alors à nous insulter, à nous menacer et a tenté de nous battre.» L'agresseur principal continue alors son récit ; il affirme que pour «feinter» la victime qui s'en prenait à son copain, il a sorti un petit couteau accroché à son porte-clés et lui a assené un coup «à l'aveuglette». La juge, scandalisée, s'écria : «le feinter ? Tu lui as donné un coup de couteau, dont la lame était de 12 à 15 centimètres, au thorax ! Ce n'est pas cela que j'appelle frapper à l'aveuglette», dit-elle en lisant le rapport du médecin légiste. «Soixante jours d'incapacité, quatre jours en réanimation, dans le coma. Il a dû subir d'urgence une opération sur le cœur et le poumon gauche, et a perdu plus de trois litres de sang», énumère-t-elle. «J'ai fait cela pour défendre mon copain», marmonna l'accusé, tête baissée. Puis ce fut au tour de la victime et des témoins d'être entendus par les magistrats. Version des faits qui allaient à contre-courant de celle des accusés. Comme le plaignant était habitué des tribunaux pour bagarres. «Nous n'étions que trois et nous n'étions pas armés. Nous étions à la recherche du grand frère de l'accusé lorsque celui-ci nous a attaqués avec une épée ! Nous avons réussi à le désarmer et à le calmer, et tout est rentré dans l'ordre. Quelques minutes plus tard, alors que nous quittions le quartier, l'autre agresseur est sorti de nulle part et m'a assailli», raconta-t-il. Durant sa plaidoirie, l'avocat de la partie civile déplora tous ces faits : «Cela fait peur de voir ces jeunes parler de choses aussi graves comme si cela était normal ! Ce sont des gangs sanguinaires et violents qui se font la guerre dans nos rues !» Il poursuivit en demandant pour son client un dédommagement de 500 000 DA. Quant au procureur, insistant sur le fait que les deux accusés avaient reconnu l'agression, il requit contre le donneur de coups de couteau une peine de prison ferme de deux ans et une amende de 200 000 DA. Concernant le second, il requit une peine de prison d'une année ferme et un dédommagement de 20 000 DA.