L'élection de Hassan Rohani à la présidence de la République islamique d'Iran, en 2013, pourrait marquer un tournant dans les relations de Téhéran avec le reste du monde. En effet, il pourrait être un président «libéral», voire «réformateur», et mettre un terme aux diatribes antisémites et anti-occidentales qu'affectionnait son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad. Toutefois, n'oublions pas que le président iranien n'est que le deuxième personnage de l'Etat ; ses pouvoirs restent limités, les décisions les plus importantes devant être validées par le Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, sans l'aval duquel Rohani n'aurait pu être élu. Certains considèrent donc que le Guide s'est débarrassé d'Ahmadinejad, qui a été utile pendant des années pour le remplacer par une personnalité plus acceptable par l'Occident. De même, n'oublions pas ce que furent les mandats du précédent président «réformateur» iranien, Mohammad Khatami (1997-2005) : c'est sous son égide que le programme nucléaire militaire a vraiment pris son essor et que le développement des missiles balistiques s'est accéléré. De même, l'application de la peine de mort en Iran n'a connu aucune pause durant ses deux mandats successifs. Tous les espoirs, mais aussi les craintes, sont donc permis avec Hassan Rohani. L'homme a été un proche de l'ayatollah Khomeiny - avec qui il était réfugié en France - et a occupé de nombreuses responsabilités dans l'appareil religieux et sécuritaire iranien. En 1989, Rohani refuse le poste de ministre du Renseignement pour des raisons qui n'ont jamais été élucidées. De 2003 à 2005, il est le négociateur en chef iranien pour les questions nucléaires. Son charme et son sens diplomatique jouent en sa faveur et lui permettent d'apprivoiser ses interlocuteurs occidentaux, aux yeux desquels il dispose d'un réel crédit. Européens et Américains sont donc prêts à donner sa chance au nouveau président iranien et à tenter avec lui une reprise des relations qui étaient impossibles avec son prédécesseur. Premier signe d'une évolution entre Téhéran et la communauté internationale, les négociations portant sur le nucléaire iranien dites «5+1» (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne + Allemagne) ont abouti à un accord préliminaire en novembre 2013. Il semble en effet que la politique des sanctions ait porté ses fruits et que les dirigeants iraniens souhaitent tout faire pour obtenir leur levée. Il en va de la survie du régime. D'autant que les Iraniens semblent eux-mêmes divisés sur la poursuite du programme. Les plus radicaux, qui veulent à tout prix le mener à terme, considèrent que la possession de l'arme est le gage de survie du régime. Ils prennent pour exemple le régime moribond de Corée du Nord, dont les dirigeants sont parvenus à se maintenir au pouvoir et à rester à l'abri d'une action militaire américaine par le simple fait qu'ils disposent de quelques missiles équipés de têtes nucléaires. De même, les mollahs ont étudié le cas de Mouammar Kadhafi qui, après avoir développé un programme atomique, a accepté, en coopération avec les Occidentaux, de le démanteler. On sait ce qu'il est advenu de lui et de son régime quelques années plus tard ! En revanche, d'autres responsables iraniens considèrent que le programme ne fait qu'attirer des ennuis au pays et que des frappes contre les sites nucléaires provoqueraient la chute du régime, la rue le rendant responsable de cette agression. C'est sans doute afin de ménager les tenants de cette seconde option que l'ayatollah Khamenei, guide suprême de la Révolution, a promulgué, en 2010, une fatwa interdisant totalement la production, le stockage et l'utilisation des armes nucléaires. Il a ensuite déclaré en février 2013 que l'usage de l'arme nucléaire était un crime contre l'humanité. Certes, ce ne sont là que des déclarations et rien ne dit que les Iraniens n'agiront pas autrement ou que ces signes d'apaisement ne servent qu'à gagner du temps pour développer leur programme. Mais l'Etat hébreu est très mal placé pour faire la leçon à Téhéran : même si contrairement à l'Iran, Israël n'a jamais signé le Traité de Non-Prolifération Nucléaire (TNP), ses dirigeants firent exactement la même chose afin dissimuler le caractère militaire de leur programme atomique. Ainsi, le 13 juin 1960, à l'occasion d'un entretien avec Ben Gourion à l'Elysée, le général de Gaulle demande à son interlocuteur la raison pour laquelle Israël a besoin d'un réacteur nucléaire ; en effet, un accord de coopération a été signé avec la France, en octobre 1957, pour la construction du réacteur de Dimona, donc avant son arrivée aux affaires. Le président israélien lui répond que ce n'est en aucun cas pour un projet militaire et qu'il n'est pas question d'y effectuer du traitement de plutonium. Puis, le 21 décembre 1960, devant la Knesset, Ben Gourion réaffirme que le réacteur est destiné uniquement à des fins pacifiques, pour des projets liés à l'industrie, l'agriculture, la santé, la recherche scientifique et surtout à la production d'électricité. Il ajoute que «les rumeurs évoquant une finalité militaire sont des erreurs ou des mensonges délibérés». De même, le 2 avril 1963, lors d'une visite à Washington, Shimon Peres, alors directeur général au ministère de l'Industrie, affirme au président Kennedy : «je peux vous dire clairement que nous ne serons pas ceux qui introduiront l'arme nucléaire dans la région». En fait, Israël est en train de construire sa bombe atomique. L'inquiétude sur la sincérité des Iraniens subsiste néanmoins. En effet, si le président Rohani se veut rassurant, le véritable dirigeant de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a réaffirmé le 20 novembre 2013 que l'Etat hébreu était «voué à disparaître». Les prochains mois devraient être essentiels afin de mesurer les véritables intentions de Téhéran. Si l'Iran prouve sa bonne volonté en apportant les éclaircissements nécessaires sur les installations pointées du doigt par l'opposition, qu'il ne produit plus de centrifugeuses et qu'il reconvertit son stock d'uranium enrichi à 20% (qualité nécessaire pour la recherche, notamment dans le domaine médicale) en le ramenant sous la barre des 5% (qualité pour la simple production d'énergie), alors les suspicions occidentales pourraient s'avérer infondées. Bien évidemment les Israéliens n'y croient aucunement. Ils demeurent convaincus du double jeu de Téhéran et sont très inquiets que le reste du monde soit berné par la stratégie des mollahs. Si ces craintes sont partiellement légitimes, il ne faut pas perdre de vue l'utilisation stratégique de cette menace : Ahmadinejad - par ses diatribes anti-israéliennes régulières et provocatrices - et la menace nucléaire, étaient les meilleures justifications de la position jusqu'au-boutiste de l'Etat hébreu sur le dossier palestinien. Toujours est-il que Tel Aviv se considère désormais comme le seul à être lucide face à la «menace iranienne» et reste déterminé à mettre un terme au développement du programme nucléaire de Téhéran, y compris par une action militaire, malgré les conséquences qu'une tel acte pourrait avoir dans la région et au-delà. Mais de nombreuses voix s'élèvent en Israël contre cette perspective suicidaire.