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Une occasion idéale pour lever une grande contradiction à propos des articles 56 et 122
Révision constitutionnelle
Publié dans Le Temps d'Algérie le 31 - 05 - 2014

La lecture des différents articles de la Constitution proposés pour être modifiés et /ou complétés et portés à la connaissance de la société civile fait ressortir l'absence d'une disposition qui mérite une attention particulière à savoir l'article 56 de la Constitution qui concerne le droit syndical.
Pour saisir la portée de l'objectif que nous voulons atteindre, un examen préalable du droit de grève et suivi du droit syndical à travers les Constitutions de 1989 et de 1996 nous semble nécessaire.
I-Le droit de grève :
L'article 54 de la Constitution du 23 février 1989 disposait que : «Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre de la loi. Celle-ci peut en interdire ou en limiter l'exercice dans les domaines de défense nationale et de sécurité, ou pour tous les services ou activités publics d'intérêt vital pour la communauté» (1).
L'article 115 de la même Constitution ajoutait pour sa part que «l'Assemblée populaire nationale légifère dans les domaines que lui attribue la Constitution. Relèvent également de la loi, les règles générales relatives au droit du travail et à la sécurité sociale».
Sur la base entre autres de ces deux articles 54 et 115 précités, le législateur a adopté la loi n°90-02 du 6 février 1990 relative à la prévention et au règlement des conflits collectifs de travail et à l'exercice du droit de grève qui a :
- D'une part, exclu de son champ d'application certaines catégories de personnes à travers ses articles 3 et 43.
- Et d'autre part, consacré dans son titre III
«De l'exercice du droit de grève» un chapitre II composé des articles 36 à 42 et intitulé «Des limitations à l'exercice du droit de grève», lesquelles limitations sont matérialisées par le service minimum (articles 37 à 40) et la réquisition (articles 41 et 42).
Reprenant intégralement mais avec une légère modification les dispositions de l'article 54 de la Constitution de 1989, l'article 57 de la Constitution de 1996 dispose que : «Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre de la loi.
Celle-ci peut en interdire ou en limiter l'exercice dans les domaines de défense nationale et de sécurité, ou pour tous services ou activités publics d'intérêt vital pour la communauté» (2).
Par ailleurs, l'article 122 de la Constitution de 1996 ajoute que «le Parlement légifère dans les domaines que lui attribue la Constitution ainsi que dans les domaines suivants : 18 - les règles générales relatives au droit du travail, à la sécurité sociale et à l'exercice du droit syndical».
L'on remarque que l'exercice du droit de grève n'est pas du tout évoqué par cet article 122 puisqu'il a été reconnu par l'article 57 lequel a renvoyé à la loi pour sa prise en charge.
On comprend des dispositions de cet article 57 précité que le constituant a mandaté de façon expresse le législateur pour limiter ou interdire l'exercice du droit de grève dans certains domaines. En conséquence, une lecture du Journal officiel montre que certains :
- textes législatifs interdisent le droit de grève en se fondant sur la Constitution ainsi que sur l'article 3 de la loi n°90-02 du 6 février 1990 précité et sur l'article 3 de la loi n°90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail.
- textes d'ordre réglementaire consacrent également cette interdiction en se basant sur la Constitution, sur l'article 43 de la loi 90-02 précitée et sur l'ordonnance n°06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la Fonction publique.
En conclusion, si le législateur a interdit et limité le recours à la grève dans certains domaines c'est par ce que le constituant lui en a donné l'autorisation expresse de le faire. C'est dire que l'exercice du droit de grève n'est pas aussi absolu qu'on le pense en général et donc il est relatif (3). Qu'en est-il alors du droit syndical ?
II-Le droit syndical :
L'article 53 de la Constitution de 1989 disposait que : «Le droit syndical est reconnu à tous les citoyens» et l'article 115 du même texte ajoutait de son côté que : «L'Assemblée populaire nationale légifère dans les domaines que lui attribue la Constitution. Relèvent également de la loi les règles générales relatives au droit du travail et à la sécurité sociale» (4).
En application entre autre des articles 53 et 115 précités est intervenue la loi n°90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d'exercice du droit syndical. Ses deux articles qui nous intéressent directement pour les besoins de notre analyse, à savoir les articles 3 et 63, définissent respectivement son champ d'application et les personnels qui sont soumis à des dispositions particulières.
Quant à la Constitution de 1996 elle dispose :
- d'une part, par son article 56 que : «Le droit syndical est reconnu à tous les citoyens» ;
- et d'autre part, par son article 122 : «Le parlement légifère dans les domaines que lui attribue la Constitution, ainsi que dans les domaines suivants : 18 -les règles générales relatives au droit du travail, à la sécurité sociale et à l'exercice du droit syndical.»
Cet article 56 de la Constitution en stipulant que «le droit syndical est reconnu à tous les citoyens» signifie qu'en principe aucune catégorie de travailleurs salariés ne doit être privée de ce droit constitutionnel. La clarté de ses dispositions ne laisse aucun doute sur sa signification et ne laisse en principe aucune porte ouverte à l'interprétation. Une seule et unique interprétation est possible : tous les citoyens sont concernés par le droit syndical et aucune catégorie ne peut en être exclue pour quelque motif que ce soit. Et donc, sans une autorisation expresse de la Constitution, le législateur ne peut ni interdire et ni limiter l'exercice d'un droit constitutionnel.
Toutefois, sommes-nous autorisés à interpréter de façon isolée l'article 56 et passer sous silence l'article 122 précité de la Constitution comme s'il n'existait pas ? La réponse ne peut être que négative, ce qui nous conduit à aller inévitablement vers une lecture combinée des dispositions de ces deux articles 56 et 122, lecture qui peut aboutir à la confrontation entre deux thèses :
1re thèse : d'aucuns soutiendront que même si l'article 56 consacre l'exercice du droit syndical au profit de tous les citoyens et donc à tous les travailleurs salariés relevant du droit privé ou du droit public, cela n'empêche que l'article 122 donne par ailleurs au Parlement pour attribution de légiférer sur les règles relatives à l'exercice du droit syndical et donc le législateur est en droit d'interdire un tel droit dans les domaines très névralgiques où son exercice est incompatible avec la discipline à toutes épreuves exigées des personnels relevant desdits domaines.
2e thèse : à notre avis, les dispositions de l'article 56 ne souffrent d'aucune ambigüité pouvant ouvrir la porte à l'interprétation. De ce fait, on peut, sur la base de l'article 122, soutenir qu'il est incontestable que le législateur a été mandaté expressément pour définir les règles relatives à l'exercice du droit syndical mais sans aller jusqu'à l'interdire à certaines catégories de personnels puisque l'article 56 a reconnu sans aucune équivoque ce droit à tous les citoyens sans aucune exception. Déroger en application de l'article 122 à cette généralisation consacrée par l'article 56 signifie que ce dernier n'existe pas du tout. En outre, si l'intention du constituant est d'interdire à certaines catégories de salarié l'exercice du droit syndical, il aurait dû comme il l'a fait pour le droit de grève, dire tout dans l'article 56 : «reconnu» et non pas «reconnu à tous les citoyens».
De ces deux thèses, il nous semble que le législateur a épousé la 1re puisque dans la pratique, il a, nonobstant les dispositions de l'article 56, en vertu de l'article 122 interdit l'exercice du droit syndical à certaines catégories de fonctionnaires relevant de domaines névralgiques où la disponibilité et la discipline sans faille sont incompatibles avec l'exercice de ce droit, domaines ne pouvant échapper naturellement au constituant.
En définitive, nous estimons qu'il existe bel et bien une équivoque quelque part puisque l'article 56 a «généralisé l'exercice du droit syndical» tandis que l'article 122 l'a «interdit pour quelques catégories de fonctionnaires».
Le projet en cours de la révision constitutionnelle constitue une opportunité idéale pour s'intéresser aux dispositions de l'article 56 et de l'article 112 qui traitent d'un même domaine. Nous estimons que l'article 56 en question mérite d'être modifié en lui supprimant l'expression «à tous les citoyens». Ainsi, on aboutirait à une harmonie entre les articles 56 et 122 de la Constitution. Si on veut aller vers plus de clarté ,on peut traiter du droit syndical dans l'article 56 de la même manière comme le fait l'article 57 pour le droit de grève et supprimer du point 18 de l'article 122 l'expression «et à l'exercice du droit syndical».
En tout état de cause, peu importe la rédaction de l'article 56 qui sera retenue en définitive car ce qui importe pour nous c'est que les différentes parties concernées par ces deux dispositions soient convaincues de la justesse de notre analyse et la conclusion à laquelle nous sommes arrivés et qu'en définitive la contradiction mise en relief soit levée d'une manière ou d'une autre pour permettre de façon expresse et sans aucune ambigüité au législateur de limiter ou d'interdire les droits et libertés constitutionnels dans les domaines qui le nécessitent.
N. H.
* Titulaire d'un diplôme
d'études approfondies en droit social (DEA) de l'université
de Strasbourg III France.
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(1) La Constitution du 10 septembre 1963 disposait par son article 20 que le droit syndical, le droit de grève et la participation des travailleurs à la gestion des entreprises sont reconnus et s'exercent dans le cadre de la loi. La Constitution de 1976 par son article 61 disposait que les relations de travail dans le
secteur socialiste sont régies par les textes législatifs et réglementaires relatifs aux formes socialistes de gestion. Dans le secteur privé, le droit de grève est reconnu. Son exercice est réglementé par la loi.
(2) L'article 57 de la Constitution de 1996 parle de «pour tous services» tandis que l'article 54 de la Constitution de 1989 parlait de «pour tous les services», ce qui veut dire que l'article 57 n'a pas repris «les».
(3) La lecture de la loi 90-02 fait ressortir que l'exercice du droit de grève doit répondre à des conditions de fond et de forme et dont le non- respect est susceptible d'entraîner, selon le cas, soit des sanctions disciplinaires allant jusqu'au licenciement ou soit des poursuites pénales.
(4) La Constitution de 1963 disposait par son article 20 que le droit syndical, le droit de grève et la participation des travailleurs à la gestion des entreprises sont reconnus et s'exercent dans le cadre de la loi. La Constitution de 1976 disposait par son article 60 que le droit syndical est reconnu à tous les travailleurs, il s'exerce dans le cadre de la loi.


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