L'Althing, le plus vieux parlement du monde, né en 930 avec la constitution de l'Etat libre islandais et aux mains de la droite conservatrice depuis plus de dix-huit ans dans l'Islande contemporaine, vient de changer de main. Il vient de mettre le cap à gauche. La coalition de gauche formée par le Parti social démocrate et le Mouvement des verts, qui s'étaient alliés dans le gouvernement formé en février dernier après la chute des conservateurs, vient de remporter, en effet, une victoire historique aux élections anticipées qui se sont déroulées samedi. Cette victoire est le résultat attendu du vote sanction que les 228 000 électeurs ont voulu infliger au gouvernement du puissant Parti de l'indépendance qui recueille, quant à lui, le plus mauvais score jamais réalisé depuis l'indépendance du pays en 1944. Premier pays à tomber des suites de la crise Ce n'est que début octobre 2008, lorsque Geir Haarde, le Premier ministre conservateur, avait annoncé des mesures spéciales pour sauver le système financier, notamment la nationalisation des trois banques principales ainsi que l'appel au secours fait au FMI pour un prêt mémorable de 8 milliards de dollars, que les Islandais ont réalisé l'ampleur de la catastrophe. C'est ainsi que ce parti, au pouvoir depuis 1991, a été contraint de passer la main après avoir été chassé en janvier dernier, après des mois de manifestations populaires suite à cette crise financière qui a terrassé ce pays de 320 000 habitants, l'un des plus riches du monde. Les Islandais sont désormais, après des années de prospérité, confrontés aux dures réalités de la crise. C'est aussi sans doute le premierpays au monde à avoir été si brutalement frappé par la récession. Pourtant, Johanna Sigurdardottir, chef du Parti social-démocrate, qui dirige le pouvoir intérimaire, formé en février dernier avec le mouvement des «gauche-verts», si elle peut savourer la victoire de la gauche à ces élections législatives anticipées, rencontrera toutefois des soucis pour redresser la barre. L'Islande au bord de la faillite ? Et ce d'autant plus que le taux de chômage actuel atteint 9%, alors que normalement il oscillait entre 1% et 3%... La krona, la monnaie islandaise, a perdu près de 45% de sa valeur depuis le début de l'année face à l'euro. D'un autre côté, le fait que les investisseurs notamment américains se soient délocalisés et leur base militaire de Keflavik fermée il y a trois ans n'arrangent pas l'économie locale qui se retrouve amputée de ces revenus importants.Pourtant, l'économie islandaise était l'une des plus prospères du monde, avec «en 2005, un revenu par habitant de 34 500 dollars, une croissance du PIB de 59%, un taux de chômage de 2%, une inflation maîtrisée à 4%, et un budget de l'État dégageant un surplus». La seule ombre au tableau est un déficit du commerce extérieur, puisque ce pays dépend fortement de la pêche et de ses débouchés, qui comptent pour plus de 60% de ses revenus à l'exportation. L'Islande a toujours été tributaire des conditions des marchés des produits de la mer, ce qui explique ses récurrentes «guerres de la morue». Les Islandais forcés de lorgner Bruxelles Malgré ces incertitudes, et peut-être à cause d'elles, on peut comprendre pourquoi la coalition, particulièrement le PSD, a fait campagne sur la nécessité pour le pays d'adhérer aussi vite que possible à l'Union européenne et d'adopter la monnaie unique. C'est en tout cas une première pour un pays considéré comme résolument eurosceptique. Une attitude conservatrice qui s'explique par le fait que les Islandais ont toujours redouté qu'une adhésion à l'Union européenne ne nuise à l'industrie traditionnelle de la pêche. Sur cette question éminemment vitale et politique d'ailleurs, les Islandais devront se prononcer avant que leur nouveau parlement ne s'engage dans cette voie. D'ailleurs, Johanna Sigurdardottir, chef du gouvernement de la coalition sortante, a souligné, lors d'une conférence de presse, qu'elle défendrait la souveraineté de l'Islande sur ses ressources naturelles, particulièrement les secteurs de la pêche et de l'agriculture. Reste à savoir ce qu'en pense l'Union européenne, au cas où… Mais il est d'ores et déjà permis d'annoncer, sans jeu de mots, des discussions houleuses. En effet, la politique commune de l'UE prévoit en matière de pêche «un accès équitable des ressources aux pêcheurs des autres Etats-membres». Ce qui obligerait donc Reykjavik à faire des concessions historiques. Un élargissement européen vers le nord ? Le futur gouvernement islandais irait-il – s'il devait s'engager dans la voie d'une éventuelle adhésion à l'UE – jusqu'à abandonner le contrôle exclusif de ses ressources marines, alors que le pays a remporté toutes ses guerres de la morue, surtout face aux pêcheurs britanniques dans les eaux islandaises ? Assistera-t-on dans le futur à l'entrée de l'Islande au sein de l'Union européenne ? L'UE, en tout cas, aimerait bien rallier à elle ce pays, ce qui lui permettrait de s'étendre davantage vers le nord, maintenant que son flanc des ex-pays de l'Est est pratiquement formé… Mais l'Islande reste un pays particulier qui chevauche en Atlantique la dorsale qui divise l'Europe de l'Amérique. Entre les deux, vers qui balancera le cœur des Islandais ? Des Islandais habitués à vivre sur des volcans ? Des Islandais qui ont adhéré à l'Otan, l'OECE et l'AELE, mais qui ont toujours refusé, comme les Norvégiens ou les Suisses, de lorgner vers Bruxelles.Le Parti de l'indépendance, fondé en 1929 et qui était la principale formation politique depuis 1944, a en effet toujours été très attaché à l'Otan et aux Américains. Il vient d'être balayé par la crise économique mondiale qui est née aux... Etats-Unis. Ses successeurs mettront-ils le cap sur d'autres horizons plus prometteurs ? Ceux qui gouverneront à Reykjavik devront, dans tous les cas, savoir bien manœuvrer, surtout s'ils embarquent sur ces fameux «drakkars» de leurs ancêtres vikings. Ces bateaux dont la particularité est d'être parfaitement symétrique, de part et d'autre du mât, entre la proue et la poupe, soit entre l'avant et l'arrière et donc maniables à l'envi. A bord de telles embarcations, ils pourront comme Eric le Rouge se déplacer à leur gré, indifféremment, et de la même manière, soit en avant soit en arrière. Ce qui, évidemment, est très pratique quand on veut faire de la politique… Mais cela est une autre «saga» dont on parlera sans doute une autre fois…