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«L'ingérence militaire saoudienne au Yémen profite à Al Qaïda» Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), au Temps d'Algérie :
Le Temps d'Algérie : Une dizaine de pays, dont l'Arabie saoudite, le Maroc et l'Egypte bombardent des positions des Houthis au Yémen. Cette initiative est-elle sans arrière-pensée politique et idéologique? Eric Denécé : Bien sûr que non ! Il s'agit de réaction d'un axe sunnite contre les chiites et l'Iran. C'est aussi pour l'Arabie saoudite, qui se sent de plus en plus lâchée par Washington qui est censé assurer la sécurité du royaume, une occasion de manifester sa détermination de ne pas voir son influence régionale décliner au profit de l'Iran. Cela conduit ainsi Riyad à des attitudes plus qu'inquiétantes : annonce officielle de l'autorisation accordé à Israël d'utiliser l'espace aérien saoudien pour aller bombarder l'Iran, revendication de l'accès à l'arme atomique (avec l'aide des Pakistanais) en cas d'accord nucléaire entre l'Occident et Téhéran, et ingérence dans les affaires yéménites afin de soutenir une faction qui leur est favorable. D'un autre côté, il est surprenant que l'Egypte se soit engagée dans cette opération, car la menace sur le détroit de Bab El Mandeb ne paraît en aucun cas avérée. Al Sissi s'affirme jour après jour comme un fin stratège politique. Sans doute sa participation à cette opération est-elle liée aux accords de défense signés avec Riyad en échange d'un soutien financier pour sortir le pays de la grave crise économique qu'il connaît suite à trois années de troubles et de «révolutions». Pourtant, une intervention au Yémen ne peut manquer de rappeler bien des mauvais souvenirs aux Egyptiens. Celle qui a eu lieu sous Nasser a accéléré la ruine du pays ! Comment voyez-vous la suite des événements au Yémen? Il semble prématuré de le dire. Rien ne prouve que les Houthis vont se volatiliser. Mais si c'était le cas, le grand bénéficiaire serait évidemment Riyad, et avec lui Al Qaïda dans la Péninsule arabique. Toutefois, je crois plutôt que cette intervention ne va faire que renforcer la détermination des Houthis qui bénéficieront toujours du soutien de l'Iran. Téhéran semble en l'occurrence être le perdant dans cette affaire ; soit qu'il ait poussé ses pions un peu trop vite et un peu trop loin, soit que ses adversaires aient profit de son appui aux Houthis pour lancer une opération et porter un coup à son influence grandissante au Yémen. Mais rappelons-nous que l'Iran n'oublie jamais ses alliés. Peut-être faut-il envisager à terme une nouvelle partition du pays ? L'Arabie saoudite qui soutient des organisations extrémistes, pour ne pas dire terroristes, dispose-t-elle d'assez de crédibilité dans la région ? Les Saoudiens dont tout le monde connaît les turpitudes des classes dirigeantes et le soutien au terrorisme djihadiste depuis les années 80 n'ont aucune crédibilité. Ils ont juste du pétrole, et les recettes considérables qu'ils en tirent leur confèrent une réelle influence : mais ce n'est que le pouvoir de l'argent, en aucun cas la reconnaissance d'un rôle quelconque. Même en qualité de gardien des Lieux saints de l'islam, la conduite de l'Arabie saoudite est discutée, notamment par le Qatar. Les événements actuels sont aussi le signe d'un régime en situation de très grande fragilité, depuis la récente succession dynastique et l'évolution de la politique américaine dans la région. En comptant 11 000 de ses ressortissants parmi l'Etat islamique, l'Arabie saoudite n'est-elle pas le pays qui alimente le plus l'EI en éléments humains ? Sans aucun doute. Les Saoudiens - et bien sûr les Qataris - financent, soutiennent et encouragent, directement ou indirectement, Al Qaïda et l'Etat islamique. Cela ne signifie pas qu'il s'agit nécessairement d'un appui officiel d'Etat, mais c'est une réalité. C'est aussi un paradoxe, car de nombreux acteurs de ces deux organisations terroristes rêvent de mettre un terme à la monarchie saoudienne corrompue. Les services de sécurité luttent donc, dans le royaume, contre ces mouvements et leurs activistes. Finalement, ils voudraient qu'ils existent et agissent partout… sauf chez eux ! L'offensive militaire menée par cette coalition ne risque-t-elle pas d'être favorable à Al Qaïda, combattue pendant des années par les Houthis ? C'est très probable. C'est d'ailleurs sûrement la raison pour laquelle le Qatar a accepté de se joindre à l'opération, afin de permettre la survie et la victoire d'Al Qaïda dans la Péninsule arabique. Et une victoire d'Al Qaïda ne fera que renforcer l'antagonisme chiites-sunnites dans toute la région. C'est consternant pour le monde arabo-musulman, car cela signifie que cette région n'est pas capable de venir à bout de ses divisions et que les conflits vont perdurer.