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Une combinaison impossible ?
LIBERTE DE LA PRESSE ET RESPONSABILITE DES MéDIAS :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 02 - 05 - 2015

Alors que nous célébrons la Journée internationale de la liberté de la presse, il importe de rappeler les médias à leurs responsabilités, tant les errements observés dans l'exercice de leur métier, ces dernières années, sont nombreux et préoccupants. Qu'il s'agisse d'actions délibérées ou de dérives inconscientes, toutes ont un impact majeur sur l'opinion, de plus en plus mésinformée, voire manipulée.
Dans un monde soumis à la dictature des médias, de moins en moins responsables et professionnels, dans un monde d'opinion très versatile, la perception est devenue bien plus importante que la réalité, c'est-à-dire que la communication - donc l'influence - l'emporte sur l'objectivité.
Si CNN ou Le Monde annoncent des faits, pour la majorité des autorités et des citoyens, cela ne peut être que vrai et cela sera considéré comme inattaquable quand bien même il s'agit d'une désinformation. Nous en avons eu l'exemple en septembre 2013, avec la soi-disant attaque chimique de Bachar Al Assad contre l'opposition djihadiste. Le célèbre journaliste américain Seymour Hersh a publié en 2014 un texte très documenté sur le dossier à partir de sources de la Defence Intelligence Agency (DIA) qui montre qu'il n'en a rien été. Mais tout le monde continue de le croire car son analyse rétablissant la vérité n'a pas connu le centième du retentissement médiatique des soi-disant attaques de 2013.
Il est alors possible de prendre conscience que, lorsque la puissance de feu des médias se combine au service d'une cause (coalition politico-médiatique américano-anglo-turco-qataro-saoudienne), elle incarne un véritable rouleau compresseur auquel rien ne résiste, en tout cas pas les médias français.
Dès lors, l'opinion est manipulée, bombardée de témoignages, d'images et de commentaires faux, mais dont la quantité ne permet pas à une version différente des faits de présenter une autre réalité. En termes techniques, on dit que la «popularité» l'emporte sur la «pertinence». Le libre arbitre des citoyens est totalement réduit à néant par cette saturation médiatique.
De plus, notre monde médiatique fonctionnant sur l'émotion et non sur la raison, les possibilités d'influence - donc de manipulation - des opinions publiques se voient décuplées dès lors qu'un acteur sait toucher la corde sensible d'un public donné pour faire passer son message.
Nous vivons ainsi dans un monde où la distorsion entre la réalité des faits et la manière dont les médias en rendent compte devient maximale.
Au cours de l'année 2011, dans le cadre de missions communes CF2R/CIRET, nous avons été amenés à nous rendre dans tous les pays concernés par le printemps arabe, du Maroc à la Syrie – à l'exception du Bahreïn. Partout, une simple analyse de terrain permettait d'observer la totale falsification des faits rapportés par les médias arabes et anglo-saxons sur les situations locales. Malheureusement, les médias français disposant de moins en moins de grands reporters, se sont totalement inscrits dans ce Mainstream médiatique, s'en faisant systématiquement l'écho, le plus souvent sans aucune vérification.
En particulier en Libye et en Syrie - en dépit de la nature non démocratique de ces régimes -, nos observations de terrain nous ont conduit à annoncer, sans ambiguïté, que les politiques occidentales étaient erronées et allaient conduire au chaos, installer les islamistes au pouvoir et déstabiliser la région.
Ce qui est advenu. Mais bien sûr personne n'a voulu écouter car nous apparaissions comme une voix discordante - donc dérangeante. En réalité, la vérité n'intéresse personne.
Dans la société de l'information, les approximations, les rumeurs, la désinformation croissent infiniment plus vite que l'information vraie, laquelle se retrouve noyée au milieu d'une masse de plus en plus importante de données fausses. Rappelons que grâce à internet et aux réseaux sociaux, n'importe quel acteur, compétent ou non, peut émettre un avis et le voir repris par le plus grand nombre, sans que celui-ci soit pertinent. Il peut même arriver qu'il donne le ton, devienne la référence. Ainsi, plus la société de l'information se développe, plus la profusion d'informations erronées s'accroît. Il existe donc un véritable besoin de décryptage et de vérification.
Malheureusement, cela ne se traduit pas dans les faits. Les médias agissent en permanence dans l'immédiateté - d'ou la fréquence de leurs erreurs - au contraire du renseignement qui, lui, opère dans un temps plus long, se concentre sur les faits qu'il vérifie, analyse, met en perspective… afin de parvenir à une vérité objective.
Autant dire que le décalage ne cesse de s'accroître entre ces deux méthodes et que le second perd chaque jour en influence, ce qui est préoccupant.
D'autant que la majorité des dirigeants du monde agit en fonction des réactions de l'opinion à ce que les médias présentent… et eux-mêmes en font d'ailleurs souvent autant. Malheureusement, ce phénomène n'est pas nouveau, même s'il a pris une ampleur sans précédent. Je me souviens, lorsque que j'étais jeune analyste du renseignement à la fin de la Guerre froide, avoir été convoqué par le chef du service – un général quatre étoiles non issu du renseignement – me demandant pourquoi j'écrivais le contraire du journal Le Monde !
Son attitude illustrait à la fois le fait qu'il accordait plus de crédit au journaliste – incompétent en l'occurrence – qu'à ses propres analystes, et surtout qu'il savait que l'Elysée lisait aussi ce quotidien et qu'il aurait sans doute à se justifier vis-à-vis de la présidence…
Dans notre monde moderne, régi par l'influence des médias sur l'opinion comme sur les décideurs, le renseignement joue un rôle de plus en plus limité. Ses fonctions premières sont de découvrir ce que dissimulent les autres acteurs internationaux (intentions, stratégies) et de démêler le vrai du faux dans le magma d'informations qui circulent pour s'approcher le plus possible d'une vérité objective permettant de prendre des décisions pertinentes.
Mais ces tâches sont complexes et prennent du temps, ce qui met souvent le renseignement en décalage par rapports aux médias, qui, eux, agissent en temps réel et façonnent les opinions par les faits et les commentaires - avérés ou non - qu'ils rapportent.
De plus en plus, le temps des médias, le temps des politiques et le temps du renseignement évoluent sur des rythmes différents, au détriment des derniers, qui sont de moins en moins écoutés. Apporter des informations contredisant les médias et remettant en cause la vision des politiques n'amène guère à être pris en considération.
En réalité, ceux qui demeurent les maîtres du jeu sont ceux qui, très en amont, orientent ou influencent les médias afin qu'ils présentent les événements mondiaux d'une manière qui serve leurs intérêts. Et les champions du monde en la matière sont les Américains, comme on peut l'observer quotidiennement sur le dossier ukrainien, notamment.
E. D.
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(*) Directeur du Centre français
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