La détention et l'usage de stups sont punis par la loi, mais pas avec autant de férocité que pour la commercialisation. Lorsque Mohamed Yahiaoui, le juge du pénal, voit entrer les cinq détenus pour détention et usage de stups, il a un œil pour l'assistance, fort nombreuse ce dimanche. En magistrat déjà dans le bain de l'expérience, il a en face de lui cinq gars, cinq caractères, cinq âges entre vingt-trois et trente-deux ans... C'est pourquoi, mentalement, il est déjà préparé pour ce genre d'exercice qui consiste à ne pas suivre entièrement les termes du P.V. d'audition des inculpés détenus et non plus les propos pas toujours francs de ces jeunes dont certains traînent le boulet de casiers lourds, chargés où la récidive est là, brandissant la menace de son usage (pas celui de la came, mais de l'application sévère de la loi) - «Bien. Alors, vous étiez sagement installés au pied de l'immeuble, lorsque quelqu'un est passé juste avant la V.R. en ronde et voilà les ennuis» dit entre les dents, le président. Les cinq inculpés non assistés d'un conseil ont la tête baissée et le moral bas, aussi bas que les chevilles. Misérablement vêtus de «fripe» ils n'ont qu'une seule envie, celle de retourner aux «Quatre Ha» où il fait bon vivre pour certains qui ne mangent pas à leur faim, au sein de leurs familles. Soudain, Abderahim, 25 ans s'écrie : «Nous sommes innocents, nous étions effectivement assis mais nous n'étions pas seuls dans le périmètre du quartier». «Et qui alors s'est débarrassé des trois joints que les policiers, avertis par un coup de fil de voisins agacés par votre ignoble comportement, ont trouvés. Le tribunal a tout le temps qu'il faut pour arriver à la vérité et le dernier mot reviendra à la justice, vous, Kamel, aviez-vous ou non mis la drogue dans le trou fait dans le mur du bâtiment ?» insiste le magistrat préparé à toutes les réponses inavouables émanant d'inculpés effarouchés par une éventuelle grosse peine de prison, surtout les récidivistes en matière de drogue. Kamel commence par jurer. Même s'il reconnaît avoir été emprisonné pour usage de stups mais «pas vendredi dernier. Nous étions en train de discuter en fumant du tabac», explique le visage décomposé celui qui est considéré comme étant le chef du gang. Yahiaoui regarde Ismaïl et lui demande s'il avait signé le P.V. d'audition. Le détenu de trente ans dit «oui» avant de nier ce qu'il avait déclaré au procureur. - «Ce n'est pas gentil ça», coupe le juge. «Où est la vérité. Ce que vous aviez dit au procureur ou maintenant ?» - «C'est maintenant que je vous dis la vérité ? précise le bonhomme au casier à deux «tons». Le président interroge ensemble Abdelkrim et Omar, tous deux âgés de trente-deux ans et habitués des «Quatre Ha» - «Vous n'allez tout de même pas évoquer le casier ?» questionne sans se dégonfler Omar qui va presque étonner Yahiaoui qui va apprécier Omar et sa culture «carcérale» - «C'est quoi ? vous avez appris tout ça en détention ?» jette le magistrat assis sur le siège du ministère public. - «Non, monsieur le procureur. Mon casier contient quatorze délits. Il n'y a pas un seul portant sur le trafic de drogue. Moi c'est beaucoup plus les bagarres, les rixes, mais ni vols ni drogue», balance effrontément le détenu qui était quasi sûr de toucher la cible en plein dans le mille car ce qu'il venait de réciter n'est connu que des seuls initiés ou des habitués des cellules, des geôles ou des box des accusés. Le juge oublie momentanément Omar et son ardeur de se défendre de quelque chose. Ce délit qu'il n'a jamais commis. Farid est le dernier inculpé à être interrogé du haut de ses cent-quatre-vingt-cinq centimètres et à vingt et un ans, il nie farouchement. «Ils m'en veulent. Ils ne m'aiment pas» murmure-t-il avant que le président ne lui demande qui sont ces «ils». -«Les policiers. Ce sont pourtant des enfants du quartier. Ils sont censés nous connaître un à un», continue le jeune qui va évidemment s'accrocher à l'innocence. Debout, le procureur va lancer dans les airs tous les arguments de feu contre ce genre d'inculpés qui pollue l'environnement et s'empoisonne par la même occasion. «Trois ans ferme pour Kamel et Abdelkrim, un an pour Farid, Omar et Abderahim», dit à peine d'une voix quasi inaudible le procureur. Convaincu de leur culpabilité, le juge n'aura d'autre verdict que celui que le dossier a donné : dix-huit mois de prison ferme pour détention et usage de came.