Voilà un pauvre bougre dont le nom est cité en son absence à la barre de la salle d'audience du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger). Et son nom est cité par un inculpé de trafic de drogue. Il écope d'une lourde peine, et dans la foulée, le pauvre bougre est condamné lui aussi et par défaut à la peine d'emprisonnement de vingt ans, le tout «arrosé» d'un mandat d'arrêt. Evidemment, dans le cas d'espèce, le mandat d'arrêt n'a que des ennuis, interpellation, présentation, incarcération, détention, jugement avec une probabilité d'un ou plusieurs renvois avec en sus un net refus de l'octroi de la liberté provisoire. Son avocat, lui, ne voit pas les choses du même œil que le parquet et la police judiciaire. Il va plaider la relaxe, car il y a eu méprise, surtout que la loi avait été violée et piétinée. Depuis quand un inculpé témoigne-t-il contre un autre inculpé, absent ? Des questions que Kirat, la présidente de la section correctionnelle du tribunal, devra se poser et y répondre. Mohammed L., 44 ans, fait l'objet d'un mandat d'arrêt par le tribunal de Bir Mourad Raïs, dont la section pénale l'avait jugé coupable de commercialisation de stups, un délit prévu et puni par l'article 17 de la loi n°04-18 du 25 décembre 2004, relative à la prévention et à la répression du trafic illicite des stupéfiants des produits et substances psychotropes. Article 17 : Est punie d'un emprisonnement de dix (10) ans à vingt (20) ans et d'une amende de 5 000 000 DA à 50 000 000 DA, toute personne qui illicitement produit, fabrique, détient, offre, met en vente, vend, acquiert, achète pour la vente, entrepose, extrait, prépare, distribue, livre à quelque titre que ce soit, fait le courtage, expédie, fait transiter ou transporte des stupéfiants ou substances (...) La tentative de ces infractions est punie des mêmes peines que l'infraction consommée. Les actes prévus à l'alinéa 1er ci-dessus sont punis de la réclusion perpétuelle lorsqu'ils sont commis en bande organisée.» Comme nous pouvons le constater, l'article en question ne prête à aucune équivoque pour l'avocat constitué pour le tenant d'un mandat d'arrêt... Et le mandat d'arrêt n'était pas seul. Il a suivi le verdict et qui a vu Mohammed L. écoper d'une peine d'emprisonnement de vingt ans, cela va suffire pour que Me Tarek Ahmed Kheïdri, l'avocat constitué en catastrophe, car l'audience du dimanche à Bir Mourad Raïs est sous la houlette de cette terrible Samira Kirat, la présidente de la section correctionnelle. Et Kirat n'est pas un robot. C'est une excellente magistrate qui a fait ses preuves et rien ne l'effarouche. Elle ne panique jamais. Et un procès comme celui-là est à reprendre à zéro, et l'avocat de Garidi sait à quoi s'en tenir, car en lisant le dossier, il a pu trouver à temps un os, un os dur mais pas incassable, vu qu'il s'agit de l'application de la loi dans toute sa rigueur, mais le condamné sera cette fois en opposition et pourra donc être bien entendu. - «Mon client a été désigné par l'inculpé principal qui avait sur lui quatre-vingt-seize grammes. Depuis quand, madame la présidente, un inculpé inculpe-t-il un autre ?», s'est écrié le conseil qui s'est aperçu que la magistrate jouait le jeu du respect des parties. C'est de bon augure. C'est pourquoi il va appuyer sur l'accélérateur en estimant que, pour cette affaire, même le mandat d'arrêt est de trop, car quoi de plus abject qu'une inculpation «donnée» par un autre inculpé. C'est le non-sens d'une justice honnête. Et Me Kheïdri d'aller plus loin dans son analyse en attirant l'attention de la juge du siège qui n'avait plus quitté des yeux le pupitre du ministère public. - «Dans quelque temps, on va assister à n'importe quel énergumène qui va venir dénoncer un innocent, et la justice sera alors blousée et des innocents risquent l'incarcération pour un délit qu'ils n'ont jamais commis», avait ajouté le conseil qui allait conclure comme à la parade avant de réclamer instamment la relaxe, car même la quantité soi-disant trouvée sur l'inculpé principal, celui-là même qui a «vendu la mèche au tour du cou de mon client», est ridicule. La commercialisation, c'est autre chose que les menus morceaux de joints trouvés sur la chaussée et collés à mon client qui n'était même pas sur les lieux du méfait.» L'air grave, l'avocat suit le dernier mot de son client : «relaxe», prend ses affaires, quitte le tribunal de Bir Mourad Raïs et Saïd Hamdine pour Hussein Dey et Brossette. L'affaire est mise en examen.