La juge ne peut prendre le risque d'envoyer en prison un père de cinq enfants pour non-paiement de la pension alimentaire et du loyer. Et pourtant, la justice doit se prononcer... «L'attestation délivrée par l'APC prétextant une situation de chômeur n'excuse pas le non-paiement de la pension alimentaire qui va droit sur l'abandon des enfants», a dit l'avocat qui a invité sur le fait que le papa n'a qu'à se débrouiller avait expliqué Me Mohammed Djediat, l'avocat de Saïda F., mère de cinq enfants, qui attends depuis trois ans et demi, soit quarante mois à raison de neuf mille dinars par mois, dont le tiers va normalement à la bicoque louée par la maman divorcée. Sid Ali, un ancien cadre dans une entreprise nationale du bâtiment, aujourd'hui disparue, est face à Bahia Allalou, la juge de Hussein Dey qui relève de la cour d'Alger.«Alors, inculpé, vous aviez obtenu la liberté provisoire pour pouvoir ramasser le maximum de la ‘'dette'' due à vos enfants. Que ramenez-vous aujourd'hui au tribunal qui n'a que trop patienté», articule la présidente de la section correctionnelle. Le bonhomme fraîchement entré dans la salle sans avocat laisse sortir des sons que Allalou n'arrive pas à saisir, Halim Boudraa, le procureur aussi. «Si vous éleviez le ton un peu plus, ça irait ?», balance la magistrate qui avait compris ce qui empêchait l'inculpé de s'exprimer aisément. «Monsieur le procureur, la dernière fois je vous avais expliqué sa situation sociale à propos de Sid Ali !», dit la juge qui va gronder l'inculpé pour avoir pris la liberté de s'adresser directement au représentant du ministère public. «Ici, on s'adresse au tribunal et encore on ne parle que quand on est interrogé ou avec la permission du tribunal», ajoute la présidente. Le pauvre inculpé va se perdre dans les méandres du seul argument qu'il a en poche, en main et en tête : il est chômeur ! «A propos, où vivez vous ? Comment faites-vous pour vivre ?» demande la présidente. «Je vivote. Je me débrouille. Sitôt une chute, sitôt une relève. Je bricole...»«Alors pour régulariser vos enfants vous bricolez !» jette froidement la juge qui insiste sur Me Djediat à plaider pour la partie civile : «Il nous est franchement douloureux de demander ce qu'aux yeux des enfants demeure un crime si jamais leur papa allait à l'ombre. S'il va en prison, il ne pourra pas payer. S'il reste dehors, il ne bosse pas. L'essentiel ce sont ces bambins qu'il faut protéger contre la rue et ses dangers. Ils ne vont tout même pas payer le prix d'une faute qu'ils n'ont pas commise.» Boudraa, le procureur, requiert un an ferme et le mandat de dépôt à l'audience, la présidente prend acte du dernier mot de l'inculpé : «Donnez-moi une chance !» Elle met en examen l'affaire pour la semaine prochaine.