Le commerce informel a réussi à s'installer dans notre vie quotidienne. Après les vendeurs de cigarettes et de fruits et légumes, les rues sont prises d'assaut depuis quelques années par de jeunes chômeurs. Dits gardiens de voitures, ils imposent illégalement des frais de stationnement oscillant entre 50 et 100 DA/jour et 200 DA/nuit. Sans défense, les automobilistes subissent le diktat imposé par ces «parkingueurs». A chacun son coin. Il suffit seulement de marquer un arrêt pour que l'automobiliste soit apostrophé. Ils sont partout et vous accostent à la première manœuvre. Ils vous guident, vous sourient mais n'oublient jamais de vous faire signe que c'est un parking gardé et qu'il y a un prix à payer. Gare à l'automobiliste qui refuserait de verser la taxe. Le conducteur se trouve obligé de payer la somme exigée. Dans le cas contraire, son véhicule est saccagé ou sa sécurité menacée. «J'en ai assez de me battre chaque jour que Dieu fait avec ces jeunes dont la plupart sont des voyous et des repris de justice. Je préfère leur verser 50 ou 100 DA que de voir mon véhicule de plus de 100 millions de centimes saccagé», se lamente un conducteur. En effet, les automobilistes ne cédant pas aux exigences se mettent dans des situations désagréables. «Une menace verbale est aussitôt transformée en une agression physique», relève une autre conductrice qui s'est trouvée victime de ce genre de situation. «Si une tierce personne n'était pas intervenue, les conséquences auraient été houleuses». Selon elle, ne pas mettre la main à la poche avec ce type de personnes est déconseillé. «S'entêter n'est pas la meilleure solution. Le conducteur peut assister impuissant à la ‘destruction' de son véhicule», a-t-elle dit.
Une agression physique peut vite tourner au drame Au vu et au su de tous, y compris les agents de l'ordre public, ces gardiens de parking s'autoproclament rois des lieux. Ces derniers ouvrent droit à tout, même hypothéquer un espace public sous prétexte qu'ils sont chômeurs. Ils vont parfois très loin dans leurs délits et une agression physique peut vite tourner au drame. C'est le cas d'un jeune père de famille qui a reçu récemment un coup de poignard mortel, parce qu'il a refusé un acte de rapinerie. Les faits se sont déroulés dans la commune de Rouiba, dans la banlieue Est, à 20 km d'Alger-Centre. La victime, B. Z., qui a refusé de régler 50 DA de frais de parking clandestin non loin de son lieu de travail, s'est fait tuer à l'arme blanche. «Il s'est fait agresser par un parkingueur qui l'a sauvagement poignardé à la jambe. Une de ses artères a été touchée et le malheureux s'est vidé de son sang. Il a laissé derrière lui une femme enceinte et une petite fille», raconte l'un de ses proches. Ces pseudo-gardiens n'épargnent personne, y compris les bébés. En juillet, dans la wilaya de Annaba, une fillette âgée de 20 mois s'est fait balafrer le visage dans les bras de son père qui a refusé de se soumettre à la loi des «voyous» qui sillonnent les rues de la ville. Une seule question revient comme un leitmotiv chez les proches de ces victimes : où sont passées les autorités locales et les services de sécurité du pays ? Et pourquoi la question des parkings clandestins n'a-t-elle pas été réglée ?
Lancement d'un numéro vert Interrogé à ce sujet, un cadre de la direction générale de la sûreté nationale (DGSN) qui a souhaité garder l'anonymat, pointe un doigt accusateur en direction des autorités locales, principalement celles des Assemblées populaires communales (APC). «La responsabilité n'incombe pas à la DGSN, mais aux élus locaux. C'est leur travail de veiller à l'application des lois et de dénoncer ces contrevenants», a-t-il dit, assurant que «les agents de la DGSN se déplacent rapidement au cas où ils sont informés». Depuis 2006, le ministère de l'Intérieur multiplie les appels pour «déclarer la guerre» à ces parkingueurs. Une première circulaire avait sommé toutes les wilayas du pays à prendre «des mesures pour encadrer rigoureusement ces activités illégales». La tâche s'est annoncée ardue. Pendant que les pouvoirs publics tentaient de s'organiser pour y faire face, le phénomène continuait à prendre de l'ampleur. Ce n'est qu'en 2012, à travers une seconde circulaire, qu'un semblant d'encadrement a pu voir le jour. Deux ans plus tard, il montre toutes ses limites. Des groupes de parkingueurs ont pu se constituer en «coopératives» chapeautées par les APC des quartiers dans lesquels ils exercent depuis 2012. 314 ont ainsi été régularisées en 2013. Ces coopératives ont pu obtenir des autorisations d'exercer dans leur quartier, en versant chaque année 10% de leurs recettes à l'APC. Seul bémol, certains ne respectent pas le prix légal qui est de 30 DA, mais obligent les automobilistes à payer le double. Il faut signaler également que la plupart d'entre eux ne donnent pas le ticket du parking. Intervenant à ce sujet, le chargé de communication du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, Yacine Belkheir a fait savoir qu'un numéro vert a été ouvert pour répondre aux doléances des citoyens ; notamment des automobilistes qui se trouvent victimes des actes de ces contrevenants. «Dans le cadre de la politique tendant à rapprocher l'administration de la population, une ligne gratuite est disponible», a-t-il indiqué, ajoutant : «Elle permettra aux citoyens de faire des réclamations et de dénoncer les contrevenants. «Cette ligne constituera, selon lui, une base de données de requêtes qui mettra à la disposition des autorités un outil d'aide au contrôle et à la décision pour prioriser les mesures liées au développement des collectivités locales. Mais cette action, suffira-t-elle pour remédier au «laisser-aller» des APC et encadrer définitivement les activités informelles ?