Depuis la mise en fonction, le 10 avril 2008, de son numéro vert 30 33, le réseau d'aide à l'enfance Nada a reçu, en l'espace de six mois seulement, plus de 4000 appels d'enfants en détresse ou d'adultes pour dénoncer des cas de maltraitance et d'individus se trouvant en situation de non-droit, comme le révèle le premier rapport établi par l'association à publier à l'occasion de la célébration de la Journée de l'enfant. Durant cette période, le personnel chargé de la défense et de la protection de ces enfants a enregistré pas moins de 1920 cas juridiques, qui ont nécessité l'intervention des autorités et des institutions qui collaborent étroitement avec le réseau Nada, comme la Gendarmerie nationale, la Protection civile ou le ministère de la Justice. Cette cellule d'écoute et d'aide psychologique a aussi porté secours à 1650 «cas psychologiques», enfants, adolescents et même parfois adultes, qui se trouvaient dans un état de détresse profonde, et auxquels les conseillers, les assistants sociaux et les psychologues ont prodigué attention, soutien et assistance, tant sur le plan matériel que moral. De plus, 430 appels ont eu pour objet des demandes d'information concernant les procédures ou les marches à suivre en cas de situation de maltraitance ou de non-droit. Et, à côté des cas de consommation de drogue, des demandes de formation professionnelle, des pensions alimentaires non versées et des divers dons en faveur d'orphelins, de très graves cas d'abus et de troubles ont été découverts grâce à ce numéro vert. Incestes, viols, attouchements sexuels, violences physiques et psychologiques sont quelques-uns des maux dont souffrent les personnes qui s'adressent directement ou indirectement au réseau NADA. Du cas par cas L'un des appels traités par le centre d'écoute concernait la fugue d'un enfant de 16 ans du domicile familial. En fuite durant une période de cinq mois, la mère de l'adolescent signala au personnel du 30 33 la présence de son fils dans une cage d'escalier à Alger, et son refus catégorique d'un quelconque contact avec sa famille. La psychologue du centre prit contact par téléphone avec le jeune fugueur, et après plusieurs heures de discussion, et identification du problème, elle proposa à la mère et à l'enfant de se rencontrer afin de tenter une conciliation et d'établir la «procédure de prise en charge». Lors de cette entrevue, le juriste et la psychologue en charge du dossier proposèrent au fugueur de réintégrer le domicile familial, chose qu'il refusa en bloc. Suite à de plus amples entretiens et une prise de confiance plus profonde, l'enfant émit le vœu d'être «indépendant» et de suivre une formation en pâtisserie. Le comité consultatif du réseau prit alors attache avec le ministère de la Formation et de l'Enseignement professionnels, et lui exposa la situation. Le temps qui s'écoula entre l'appel et la demande formulée au ministère compétent n'excéda pas les deux jours. Quelques mois plus tard, le ministère rendit une réponse positive quant à l'inscription du jeune garçon, qui effectua son entrée au centre de Formation Professionnelle de Corso, en internat. Viol et peur du père Mais des situations beaucoup plus délicates ont aussi été traitées par ce réseau d'aide, comme le cas de cette jeune fille de 15 ans, qui a subi un viol, lequel a entraîné une grossesse non désirée. Et là aussi, ce fut la mère de l'adolescente qui signala l'abus au 30 33. Le lendemain de l'appel «au secours», un juriste et une psychologue les reçurent et firent faire une consultation gynécologique à la jeune fille pour confirmation et évaluation de son état de santé, ainsi que pour constater le viol. Ensuite, le président du réseau NADA rencontra un président de tribunal pour exposer ce grave cas, et transmit le dossier aux ministères de la Justice, délégué à la Famille et à la Condition féminine, de l'Education nationale ainsi qu'au président de la cour d'Hussein-Dey. Après cela, plusieurs procédures furent engagées : rencontre entre le Réseau nada et le centre de thérapie familiale de Dely Brahim afin de préparer la famille à l'annonce de la nouvelle au père de la victime, puis rencontre de la mère, de la fille et du réseau Nada avec la juge des mineurs, rencontre de la famille avec le réseau Nada pour entamer les procédures judicaires, puis enfin dépôt de plainte au niveau du procureur. Depuis, deux décisions majeures furent prises quant à cette jeune fille. Dès l'annonce de la nouvelle à son père, la victime fut mise dans une famille d'accueil durant tout le temps de sa grossesse. De même, son année scolaire fut «momentanément» bloquée jusqu'après l'accouchement. La jeune mère-enfant, qui n'a toujours pas mis au monde le «fruit» de ce viol, est continuellement suivie par le personnel du réseau Nada, qui insiste sur le suivi de ces victimes, notamment par la psychologue en charge du dossier au moment de l'appel téléphonique. L'enfant avant tout ! La continuité et le suivi psychologique sont aussi primordiaux pour cet enfant qui a subi des attouchements sexuels de la part de son père. La victime, âgée de huit ans, est issue d'un couple de parents divorcés. La mère, qui refuse de rendre l'enfant au père car elle affirme qu'il a abusé d'elle, contacte le numéro vert pour faire part de sa détresse. Suite à la réception de la mère par le réseau de soutien, une avocate et une psychologue établirent d'un commun accord avec la mère les procédures à suivre. La procédure juridique fut ainsi entamée, et l'enfant fut orientée vers le centre El Badaoui pour un suivi psychologique. Après la première audience pour la garde de l'enfant, la mère se verra confier par jugement la garde temporaire de l'enfant en attendant le rapport d'expertise psychologique qui fut affirmatif, et qui confirma l'abus sexuel sur l'enfant. La procédure juridique concernant l'attouchement débuta alors. A l'issue du procès, le père fut déclaré innocent, et le réseau Nada engagea une procédure de cassation du jugement. Suite à cette action, le juge pour mineurs de Sidi M'hamed demanda une autre expertise pour confirmer, une nouvelle fois, l'attouchement sexuel sur l'enfant, et en attendant un dénouement favorable à leur cause, la cause de cette enfant abusée, le réseau Nada veille plus que jamais à ce qu'il soit entouré du plus de soins possibles et d'écoute psychologique auprès de tous les experts que regroupe cette association. Un long chemin reste à accomplir… Ce qui rend ces situations si difficiles à traiter, c'est le caractère pluridisciplinaire des cas pris en charge, les différents niveaux d'intervention impliqués, ainsi que leur complexité, comme l'explique le président du réseau Nada, Arar Abderrahmane. «Les conflits s'imbriquent les uns dans les autres, et un problème ne paraît jamais seul. Un divorce, par exemple, peut engendrer différents autres maux, comme une maltraitance, tant physique que morale, une fugue ou un rapt d'enfant «. Ce réseau caritatif, «rosée du matin en arabe, qui est un signe d'espoir», précise-t-il, regroupe pas moins d'une centaine d'associations et d'ONG, qui unissent toutes leurs efforts afin d'œuvrer à la protection de l'enfant et à le mettre au centre de toutes les préoccupations. «D'ailleurs, dans un conflit entre parents par exemple, nous ne sommes ni juge ni parti, et seuls nous importe les mineurs qui se retrouvent en otages d'adultes qui tentent de régler leurs problèmes à travers eux», affirme M. Arar. Et la situation de l'enfance en Algérie est bien loin de la Convention internationale des droits de l'enfant ratifiée par notre pays. «Ces textes sont avant tout un changement de comportement des individus, une adaptation de la famille, de la société et du système aux caractéristiques si particulières et à la vulnérabilité des innocents, afin de créer un environnement à même de le protéger et de lui garantir la meilleure des vies», rappelle-t-il. Malheureusement, les droits fondamentaux des 13 millions d'enfants algériens sont régulièrement bafoués, et «nous visons actuellement un strict minimum de respect de cette charte», se désole le président. Le problème se situe à différents paliers, d'ordre socioéconomique ou institutionnel. «Les mécanismes d'accompagnement de l'enfant sont quasi inexistants, et les garde-fous garants de ces mécanismes et de leur efficience font cruellement défaut», s'attriste M. Arar, qui poursuit : «A travers nos programmes et nos actions, nous travaillons justement à promouvoir cette culture du droit tant chez les enfants que chez les parents, chez les civils ou les institutions et pouvoirs publics. De même, nombre de familles que nous avons aidées d'une quelconque manière s'impliquent à leur tour dans le réseau et dans la promotion de ces droits», un juste retour des choses en somme. De projet en projet Suite à cette année d'activité et aux résultats plus que concluants qui ont clos ce programme pilote dans l'Algérois, le numéro vert 30 33 est en passe de s'étendre à d'autres wilayas. Chlef, Boumerdès, Bouira, Tizi Ouzou, Béjaïa, Médéa ainsi que Blida, seront dotées, d'ici la fin de l'année courante, de structures afin de prendre en charge les appels émis vers le 30 33, qui se «nationalise» un peu plus. «En fait, nous avons constaté que des personnes faisaient le déplacement de localités hors de la wilaya d'Alger afin de prendre attache avec nous et obtenir de l'aide», assure M. Arar. En plus de cette extension de la cellule d'écoute, qui est avant tout un moyen de cerner les réels besoins des populations en détresse, un centre d'animation verra le jour dans près de deux mois, et s'occupera de mettre sur pied toutes les campagnes ou les activités du réseau. Et du manque justement de «propositions qui répondent aux besoins spécifiques des jeunes» découlent nombre de problèmes, dont la violence en milieu scolaire et institutionnel. Afin de combattre ce fléau, un programme «agir ensemble» est lancé, et tend à faire «participer activement et de manière responsable à la prise de décision dans les questions liées à la violence scolaire pour la promotion et le renforcement d'une culture de non- violence. Elle sera fondée sur la conscience de valeurs fondamentales communes, telles que les droits et les libertés, l'égalité dans la différence et la primauté du droit». Le projet pilote, qui s'étendra sur une année, concernera dans un premier temps la wilaya d'Alger, les enfants et les adolescents de 18 établissements, primaires, collèges et lycées, soit environ 5000 élèves. Plusieurs activités seront ainsi mises en place, comme la création d'espaces d'écoute et de médiation au sein des établissements, qui serviront de lieu d'écoute, de soutien et d'intervention en cas de crise, afin de dédramatiser ces situations sans toutefois banaliser la violence. En sus de ces programmes, un foyer d'accueil est en cours de finalisation, et ouvrira ces portes à Alger dans une année. D'une capacité de 50 places environ, ce centre sera une solution rapide aux cas urgents, et une alternative aux familles d'accueil. Car, en effet, elles ne sont qu'une dizaine, et se proposent spontanément. «Pour le moment, car nous lançons une campagne afin de sensibiliser les familles et toutes les personnes désireuses d'héberger l'un de nos enfants en détresse, et pourquoi pas, devenir une famille d'accueil à part entière», conclut le président du réseau Nada.