Fadila Chitour, professeure en médecine, présidente et l'une des fondatrices du Réseau Wassila pour la défense des femmes et des enfants victimes de violence. Elle participe à l'activité de ce réseau depuis plus de 15 ans. Dans un entretien express qu'elle nous a accordé, Mme Chitour dénonce un blocage au Senat du projet de loi incriminant la violence faite aux femmes et se dit trahie par les responsables du gouvernement, notamment les sénateurs et la ministre de la Solidarité nationale. Comment interprétez-vous le blocage de ce projet de loi au niveau du Senat ? C'est une grave atteinte à la construction d'un état de droit. Nous sommes perplexes. Nous ne comprenons pas ce qui se passe entre les deux chambres du Parlement. Est-ce que c'est logique qu'il y ait un recul entre le législatif et l'exécutif. Le projet a été voté à l'unanimité par l'assemblée populaire nationale (APN) en mars et il est naturellement censé passer au Sénat. C'est une trahison de la part du président du Sénat qui avait promis lors de l'ouverture de la cession d'automne de le passer. La ministre s'est, elle aussi, engagé à veiller à son adoption, mais hélas rien n'a été fait pour le moment. Cette situation met fin à l'espoir des nombreuses femmes victimes et de ceux qui les soutiennent. Les récents crimes qui ont été commis à l'égard des femmes doivent booster le gouvernement à agir, car le temps nous est compté. Ce projet vous semble-t-il en mesure de faire changer les choses ? Ce texte est une avancée considérable pour la justice algérienne. Nous avons salué les efforts du gouvernement en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, car c'est une grande première en Algérie d'incriminer les membres de la famille. Le projet en question permet une intrusion légitime de la justice dans les affaires familiales, étant donné que 90% des victimes sont des femmes violentées par leur mari ou un membre de leur famille. Cependant, nous avons relevé des lacunes dans ce document, notamment l'article qui autorise l'abandon des poursuites dans le cas où la victime déciderait de pardonner à son conjoint. Dans ce genre de situation, les instances publiques doivent s'autosaisir, car la plupart des victimes retire sa plainte par peur. Les conservateurs affirment que cette loi vise à détruire la famille. Que leur diriez-vous ? Je dirais est-ce que la religion autorise d'égorger sa femme ? Non, alors il faut adopter cette loi. Il n'y a aucune raison valable à vouloir la bloquer. Nous ne pouvons pas attendre davantage. L'heure est grave et les crimes se multiplient à l'égard des femmes. Il faut savoir que l'adoption de cette loi ne suffit pas pour protéger les femmes. Nous devons aussi nous battre pour son application. Nous ne sommes qu'au début de la lutte contre les violences faites aux femmes, donc j'estime que l'adopter est le strict minimum.