Lors d'une conférence de presse tenue hier à Alger, plusieurs associations ont jugé «inacceptable» le gel, par le Sénat, de l'examen du projet de loi sur les violences à l'égard des femmes. Regroupées en collectif, douze associations de femmes – Avife/réseau Wassila aide aux femmes et aux enfants victimes de violences, Femmes en communication, Femmes algériennes revendiquant leurs droits, Défense des droits des femmes, Fatma N'Soumeur, Femmes algériennes pour le développement, Centre d'information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants, Association pour l'émancipation des femmes, Initiatives de protection des droits des femmes de Tébessa, Femmes cadres de Béjaïa, et SOS femmes en détresse – ont qualifié, hier, lors d'une conférence de presse tenue au siège de l'Association femmes en communication, d'«inacceptable» le gel par le Sénat de l'examen du projet de loi sur les violences à l'égard des femmes. Présidente de la commission des femmes travailleuses, de l'UGTA, Mme Soumiya Salhi a ouvert le débat par la lecture d'une déclaration dans laquelle elle explique : «Cela fait plusieurs années que les militantes se battent pour dénoncer les violences et demander un dispositif législatif criminalisant et réprimant les violences contre les femmes (…) tout en contestant la clause du pardon qui permet à l'agresseur d'échapper à la sanction, un projet de loi a été élaboré par le gouvernement et adopté par le Parlement, malgré la campagne de désinformation de certains médias et les pressions des courants islamistes.» 6800 femmes victimes de violences Mme Salhi revient sur son expérience sur le terrain, à l'occasion des campagnes contre les violences en général et le harcèlement sexuel en particulier en disant : «Que les débats avec les femmes travailleuses, au foyer, les étudiantes ont mis au jour une attente et une demande de dignité. Ils ont révélé que derrière les automatismes du discours traditionalistes, il y a un consentement de la société à la dénonciation de cette violence (…). Le projet de loi adopté en mars 2015 constitue un jalon dans la longue marche des femmes pour obtenir le respect et la citoyenneté à part entière. Mais alors que la session du Sénat se termine aujourd'hui (hier), cette loi semble gelée. Cela est pour nous inacceptable.» Une situation qui a poussé le collectif à écrire une lettre au président du Conseil de la nation, en date du 29 juin dernier. «Malheureusement, nous n'avons pas pu avoir un entretien. Le président ne reçoit que sur rendez-vous après avoir déposé ou envoyé une demande par courrier.» Dans la lettre remise au président du Sénat, le collectif souligne l'importance de ce projet de loi et précise qu'il exprime «une réelle volonté de changement dans les relations entre les membres de la société, mais surtout entre les hommes et les femmes». Tout en regrettant que «les voix traditionalistes qui réclament le droit de battre leurs femmes soient malheureusement mieux entendues que les cris de détresse de milliers de victimes», le collectif estime que «l'Etat a la responsabilité de protéger, de prévenir et de sanctionner les violences à l'égard des femmes. Il ne doit pas délivrer le message d'impunité». Pour mieux illustrer les affres de cette violence et ses conséquences sur la société, Mme Salhi rappelle les statistiques, souvent en deçà de la réalité, des 9 premiers mois de 2014, rendues publiques par les services de la police judiciaire. Ainsi plus de 6800 femmes ont été victimes de violence, dont 4113 ont été battues dans le milieu familial, soit plus de 58% des victimes. Durant la même période, dit-elle, 27 femmes ont été tuées. «Ces chiffres reflètent la douloureuse réalité du quotidien des femmes, qui doit interpeller toutes les consciences vives de notre pays», conclut Mme Salhi avant de donner la parole à Nafissa Lahrech, présidente de l'association Femmes en communication, pour lancer un appel à tous les médias afin de servir de porte-voix aux cris des femmes violentées. «Nous interpellons la presse qui ne défigure pas l'image des femmes et ne culpabilise pas les victimes de violence. Nous ne sommes pas contre les hommes, mais contre ces comportements violents qui portent atteinte à la dignité des femmes et menacent la cohésion de la famille et de la société.» Des photos choquantes Pour sa part, Siham Hamèche aborde le contenu du projet de loi sur les violences, alors que Khadidja Belkhodja, présidente d'une association de protection des femmes et des enfants de Tiaret, a préféré choquer l'assistance en exhibant des photos de femmes violentées prises à Tiaret. «Des cas comme ceux-là, j'en ai des dizaines. J'ai vu une femme faire le va-et-vient devant le bureau du juge à chaque fois qu'elle se faisait battre par son mari. Elle n'a pas pu mettre un terme à l'enfer qu'elle vivait. Ce qui se passe dans les petites villes et les villages reculés est indescriptible», dit-elle. Aux jeux des questions-réponses avec les journalistes, les animatrices de cette conférence de presse ont mis l'accent sur la nécessité de mener une campagne médiatique pour lever l'embargo sur le projet de loi. «Nous avons tout l'été pour continuer le combat à travers des actions que nous sommes en train de préparer», déclare Mme Salhi. Selon elle, ce qui se passe actuellement, notamment à travers les pressions des lobbys islamistes, rappelle étrangement la période qui a marqué l'adoption du code de la famille en 1984, mais aussi celle qui a précédé les amendements de ce même code en 2005, et qui a d'ailleurs eu comme conséquence le recul sur l'amendement de l'article qui consacre le tutorat pour les femmes. «Nous vivons le même climat que durant ces périodes, et nous devons être très vigilantes pour faire en sorte que nos actions soient porteuses. Nous devons mobiliser toutes les énergies.» Mme Fadhela Chitour, du réseau Wassila, précise, quant à elle, que le projet de loi a été annoncé lors d'un Conseil des ministres, présidé par le Président, et dont le communiqué a bel et bien mis en exergue l'importance de ce projet de loi pour la protection des femmes et des enfants. «Nous ne pouvons pas comprendre comment le gouvernement peut revenir sur une loi qu'il a lui-même élaborée et défendue», lance-t-elle. Interrogée sur le planning de la campagne pour l'examen de ce projet de loi, Mme Salhi explique qu'il sera question de nombreuses actions de sensibilisation, mais probablement de rue, durant cet été. «Nous ne voulons pas que le Sénat soit l'institution qui plaide, à travers le gel du projet de loi, pour l'impunité des agresseurs et des auteurs d'actes de violence à l'égard des femmes», lance Mme Belkhodja, en espérant, souligne-t-elle, que les «cris des femmes battues soient entendus et que leurs souffrances prennent fin».