La sortie médiatique de l'ex-tout puissant patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général Mohamed Lamine Mediène, dit «Toufik», vendredi soir, a eu quasiment le même effet que son limogeage le 13 septembre après un quart de siècle de règne. Ayant réussi à se maintenir dans l'ombre 25 ans durant jusqu'à nourrir la «mythologie» politique algérienne, l'invisible chef des services a été contraint de briser lui-même son «mythe». Comme un simple citoyen qui s'estime mêlé à une affaire encombrante, l'ex-patron du DRS a dû prendre sa plume pour lancer ce qui s'apparente à un SOS pour sauver son ex-collègue et ami, le général Hassan. Mais aussi surprenante qu'elle puisse paraître, l'intervention publique – via une déclaration – n'en est pourtant pas moins attendue. Il était pour ainsi dire contraint de réagir à la condamnation de son plus proche collaborateur, le général Hassan, qui vient d'écoper de cinq ans de prison ferme. Pour Toufik, c'est une obligation morale doublée d'une exigence politique de rompre son silence légendaire au risque de passer pour lâcheur. Supérieur hiérarchique du général Hassan à qui il avait ordonné le lancement de la fameuse mission dans le Grand Sud, l'ex-chef du DRS était lourdement interpellé pour faire son témoignage dans cette affaire. L'avocat du général Hassan, Me Mokrane Aït Larbi, avait à juste titre réclamé la présence du général Toufik lors du procès au tribunal militaire d'Oran. On ne sait pas encore pourquoi cette requête n'a pas eu une suite favorable. Qui mieux en effet que l'ex-patron des services secrets pour mettre la lumière sur cette sombre affaire au bout de laquelle le général Abdelkader Aït Ouarabi, alias Hassan, s'est retrouvé tout seul dans le noir… ? L'ombre et la lumière… La logique aurait voulu que le général Toufik soit appelé à la barre pour faire son témoignage avant de juger son bras droit Hassan qui agissait sous ses ordres. Il semble bien que cette «intrusion médiatique», comme l'écrit Toufik lui-même, s'inscrive dans la perspective d'une prochaine convocation par la justice dans le cadre d'un procès en appel. C'est une façon pour lui de donner un coup de pied dans la fourmilière, quitte à tailler des croupières à ceux qui ont condamné son ancien camarade. Parce que l'ex-chef du DRS ne s'est pas contenté de tenir l'opinion publique nationale et internationale à témoin. En plus d'avoir défendu «l'honneur», «la loyauté», «l'honnêteté professionnalisme», et souligné en gras les états de service du général Hassan, Toufik a jeté une pierre dans le jardin de la justice militaire. «Le plus urgent, aujourd'hui, est de réparer une injustice qui touche un officier qui a servi le pays avec passion, et de laver l'honneur des hommes qui, tout comme lui, se sont entièrement dévoués à la défense de l'Algérie». C'est une accusation gravissime portée par le plus haut gradé de l'armée contre la justice militaire. Il est utile de glisser ici que le général Toufik, qui traîne le sobriquet de «faiseur de rois», est un enfant légitime du système. Il est aussi l'un des architectes de cette «injustice» qu'il dénonce aujourd'hui. Une défense a posteriori Le propos ici n'est pas de mettre en doute la probité du général Hassan mais l'argumentaire de Toufik paraît pour le moins spécieux. Combien d'Algériens probes, honnêtes et amoureux de leur pays eurent été jetés en taule durant le règne de Toufik ? Combien de jugements arbitraires ont été rendus par cette même justice que dénonce aujourd'hui ce général très particulier ? Mohamed Mediène aurait peut-être été mieux inspiré d'aller lui-même témoigner en faveur du général Hassan avant sa condamnation. Peut-être que ses «lumières» auraient apporté une lueur d'espoir à son ancien adjoint qui en avait grandement besoin. Mais tout porte à croire que le général de corps d'armée a fini par se rendre compte que la condamnation de Hassan allait forcément l'atteindre. Et qu'il fallait donc attaquer avant de devoir se défendre, voire même subir le même sort… Ceci étant, le message du général Toufik est adressé prioritairement au président Bouteflika après lui avoir adressé une lettre, selon Khaled Nezzar. C'est sans doute une façon pour lui de suggérer que sa correspondance n'était pas arrivée à destination. Pour cause, il précise bien «(…) Après avoir usé de toutes les voies réglementaires et officielles». «Les voies officielles» ne peuvent être que la présidence de la République et le ministère de la Défense dont le chef n'est autre qu'Abdelaziz Bouteflika. Tout en décidant de saisir, publiquement cette fois, le président de la République, l'ex-patron des services espère que son «intrusion médiatique ne suscitera pas de commentaires qui risquent de la dévoyer et de la détourner du but recherché». Comprendre que le général ne voudrait pas que son intervention soit versée au débat ambiant sur la maladie du président et l'agitation des «19» dont la majorité serait des «Toufik boys». Quoi qu'il en soit, ce témoignage public de l'ex-patron du DRS est théoriquement de nature à changer le cours de cette affaire. En certifiant que Hassan a traité «ce dossier dans le respect des normes et en rendant compte aux moments opportuns», Toufik invalide de facto l'accusation «d'infraction aux consignes générales». A moins que…