Mohamed Saïd Belaïd, président du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), ancien candidat à l'élection présidentielle de 2009, s'exprime sur les questions d'actualité politique nationale. En sa qualité d'ancien ministre de la Communication, il parle de sa relation avec les officiers du DRS avant sa restructuration. Il révèle comment un colonel du DRS est intervenu en faveur de Mon Journal de Hichem Aboud, aujourd'hui suspendu, pour le faire tirer dans une imprimerie étatique. La scène politique connaît, ces dernières semaines, des développements inattendus, voire inquiétants. Qu'est-ce que cela vous inspire ? Mohamed Saïd : A l'exception des propos inhabituels échangés entre certains acteurs politiques, les développements dont vous parlez étaient prévisibles dès l'annonce par le président de la République de sa candidature pour un 4e mandat. Vu l'état de santé du Président candidat, beaucoup parmi ceux qui ont animé sa campagne électorale avaient à l'esprit l'après-4e mandat. Nous assistons donc à une bataille de positionnement au sein même de ce camp en vue de cette échéance. Hélas, cette course à la succession occulte les défis et les vrais problèmes du citoyen, indifférent à cette polémique. Tout doit être fait pour éviter que la virulence verbale des uns et la panique des autres ne poussent les «jusqu'au-boutistes» à entraîner les institutions de l'Etat dans une aventure dangereuse qui rappelle l'incendie de Rome par l'empereur Néron. Le projet de révision constitutionnelle vient d'être relancé avec la réunion restreinte présidée par le chef de l'Etat. Qu'attendez-vous de ce projet ? Beaucoup de choses ont été dites depuis le lancement de cette révision en juin 2011. Je dispense le lecteur de leur rappel. La question ne réside pas dans l'élaboration du projet lui-même, mais dans son application une fois adopté, en raison de l'indigence de notre culture d'Etat. Le pouvoir est-il enfin disposé cette fois à respecter la nouvelle Constitution dans son intégralité, contrairement à son comportement à ce jour ? Si oui, une seule chose est à espérer : l'édification d'un Etat de droit, c'est-à-dire un Etat dans lequel le pouvoir exécutif sera soumis au pouvoir judiciaire et les contre-pouvoirs renforcés. En attendant, la publication du projet nous renseignera sur l'intention réelle du pouvoir : gagner encore du temps en continuant à tergiverser comme par le passé, ou ouvrir une nouvelle page dans la vie institutionnelle qui redonne espoir dans une Algérie nouvelle dans un monde qui n'attend pas. Vous avez rejeté l'initiative du FLN qui a invité votre parti à prendre part à son front. Quelles en sont les raisons ? Toute initiative ayant pour objectif de rapprocher par le dialogue les points de vue mérite d'être encouragée. L'essentiel est d'éviter l'exclusion car l'Algérie appartient à tous ses enfants et l'expérience a démontré qu'aucune force politique ne peut à elle seule gérer le pays. Pour revenir à votre question, l'initiative du FLN posait, comme préalable à l'adhésion, le soutien au programme politique du président de la République. Or, ce point précis est en contradiction avec le programme du PLJ qui milite pour un changement graduel et pacifique dans le cadre d'un consensus national. J'ai écrit au secrétaire général du FLN en lui précisant que le bureau national du parti considère que l'initiative dans sa forme actuelle ne peut être acceptée mais qu'elle reste ouverte à la poursuite du dialogue. Il n'y a pas eu encore de suite. L'Isco organisera un 2e congrès le 18 février 2016. Votre parti, le PLJ, va-t-il y participer ? Le PLJ a choisi, dès sa création, d'être dans l'opposition, et son passage éphémère au gouvernement n'a entamé en rien ce choix. Bien au contraire, il l'a conforté dans sa conviction que le changement dans les approches et le mode de gouvernance est plus que nécessaire pour répondre aux attentes de la société. C'est pour cela que nous avons pris part aux travaux du 1er congrès de Mazafran, et nous demeurons toujours dans le même état d'esprit si nous sommes invités au 2e congrès. Certains prêtent au secrétaire général du FLN la volonté de s'imposer comme un «zaïm», non seulement de son parti mais de toute la classe politique. Partagez-vous ce sentiment ? Le FLN historique a enterré le «zaïmisme» avec Messali Hadj. Nous devons militer aujourd'hui pour ériger en «zaïm» le seul peuple en respectant sa volonté et en le rendant dans les faits comme seule source du pouvoir. La mission est loin d'être accomplie. Par ailleurs, la carte politique actuelle est faussée par des résultats électoraux contestés, si bien qu'aucun parti politique ne peut prétendre au leadership tant qu'il n'y aura pas d'élections transparentes et intègres, seul moyen de déterminer de façon incontestable le poids réel et non octroyé de chaque formation politique. La lettre du général Toufik dans laquelle il défend notamment le général Hassan a secoué la scène politique. Comme l'aviez-vous perçue ? Il est regrettable que des questions militaires soient débattues sur la place publique car les faits reprochés à ces trois généraux, et à d'autres officiers supérieurs de grade inférieur, relèvent de la gestion interne de l'institution militaire. Ce qui se passe risque d'affecter la cohésion de celle-ci, et donc de réduire son efficacité opérationnelle dans un environnement régional en ébullition. Sur le fond, et sans préjuger des arrière-pensées des uns et des autres, je pense que la défense publique par le général de corps d'armée Toufik de son collaborateur direct lui fait honneur. Bien plus, elle mérite d'être suivie par tous les responsables qui, quand ils jugent en leur âme et conscience que leurs collaborateurs sont injustement poursuivis, doivent prendre leur défense pour leur éviter d'être jetés en pâture comme cela s'est produit avec des centaines de cadres intègres et compétents. Si l'armée constitue la colonne vertébrale de la stabilité du pays, l'administration en est le socle. Ces deux institutions sont vitales et complémentaires pour l'existence de l'Etat. C'est le seul aspect que je retiens de cette lettre. Pour le reste, je m'interdis d'interférer dans les affaires de la justice. Quid de l'initiative des «19» qui ont demandé à rencontrer le chef de l'Etat ? Il est évident que cette demande d'audience exprime l'inquiétude d'une partie de la classe politique, voire d'hommes et de femmes dont certains sont réputés proches du président de la République. Ceci dit, ils n'ont commis ni un crime de lèse-majesté ni porté atteinte aux sacralités pour faire l'objet de la campagne de dénigrement qui les a visés de la part de ceux qui n'ont pas été destinataires de la lettre. A mon avis, et rien qu'en se basant sur les informations graves que certains signataires déclarent détenir et vouloir transmettre au Président, rien que pour cela, leur démarche ne doit pas être ignorée. La loi de finances 2016 a suscité un rejet total de l'opposition parlementaire. Où se situe votre parti dans ce débat qui a viré en violente polémique ? Cette loi de finances intervient dans un contexte particulier marqué à la fois par une chute drastique de nos revenus pétroliers, et par l'absence de dialogue entre le pouvoir et une partie de l'opposition politique et parlementaire. Le tout aggravé par la crise de confiance populaire envers le pouvoir et la classe politique. Partant de ce constat, le débat perd sa sérénité, et est donc faussé, car tout devient objet de suspicion, de banalisation ou de dramatisation. Face à cette conjoncture de malaise économique, le discours officiel reconnaît implicitement l'échec du modèle de développement appliqué qui n'a pas généré une économie productive ni libéré le pays de la dépendance étouffante des hydrocarbures. La responsabilité de cet échec incombe aussi – mais à un degré moindre – à nous tous, qui avons profité de la rente pétrolière en termes de salaires, de retraite, d'acquis sociaux ou de projets économiques. Car aucun ne s'est demandé comment faire pour pérenniser ces avantages tirés d'une ressource non renouvelable, et donc appelée un jour à s'épuiser. Aucune formation politique, aucune association civile n'a protesté ou manifesté contre l'exploitation à outrance des hydrocarbures au détriment des générations futures comme ce fut le cas récemment pour le gaz de schiste. Aujourd'hui, nous devons tous admettre que nous sommes acculés au pied du mur. D'où la nécessité d'une refondation du modèle de développement économique, social et politique, et d'un traitement à l'acide de la corruption pour faire cesser le pillage des deniers publics. Chaque citoyen doit se sentir utile à son pays et la République doit cesser d'être désertée par ses enfants. Beaucoup s'est dit et se dit encore à propos du DRS et de son travail. Vous avez été ministre pendant une année et vous n'êtes plus soumis au droit de réserve. Peut-on connaître la nature de la relation entre un ministre et le DRS ? D'abord une précision : aucun Etat au monde ne peut se passer des services secrets pour la recherche du renseignement, la collecte de l'information, le contre-espionnage et la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la corruption. Il s'agit ici d'une question de sécurité interne et externe qui ne peut laisser le citoyen indifférent. Donc, cessons de prendre prétexte d'une personne pour diaboliser le DRS au risque de mettre en danger la sécurité nationale. Quant à votre question, cette relation existe à travers l'officier supérieur du DRS chargé du secteur que dirige le ministre, et qui dispose d'un bureau au sein même du ministère à l'instar de toutes les structures de l'Etat. Ceci ne constitue un secret pour personne notamment depuis l'arrêt du processus électoral en janvier 1992. En ce qui me concerne, j'ai reçu deux fois le colonel chargé au sein du DRS de la communication : une fois à ma demande sur conseil du Premier ministre deux mois après mon installation pour approfondir mes connaissances du secteur, et une fois quand il m'a présenté son successeur. Pour autre chose, il n'avait pas besoin de me voir car il avait ses relais partout, y compris dans mon cabinet, et il était mieux informé que moi et parfois, peut-être, avant moi. Le DRS s'est-il immiscé dans votre travail de ministre ? Non, jamais directement dans les questions politiques ou de gestion administrative. Chacun faisait son travail et tout le monde jouait le jeu dans un esprit de défense de l'intérêt national. A ce titre, la coordination fonctionnait parfaitement pour l'accréditation de la presse étrangère. Je me rappelle d'une seule démarche incidemment entreprise par le colonel du DRS à l'occasion de notre première rencontre. Il m'avait alors sollicité d'autoriser le tirage par l'imprimerie de l'Etat, du quotidien privé Mon journal à Constantine. Contacté, le responsable de cette imprimerie m'a informé du non-paiement par le directeur de cet organe d'anciennes factures, j'ai alors classé cette demande et le journal n'a pas été tiré.