Avec une sensibilité exacerbée et beaucoup de sagacité, Aicha Bouabaci a su adroitement traduire ses émotions dans tous ses écrits : romans, poésies, nouvelles et essais. Ses romans empreints de sensations et de sentiments témoignent de son indignation et de ses tourments. D'une grande valeur humaine et d'un altruisme perceptible, elle ne peut rester insensible face à la détresse humaine ; sa voix s'élève haut et fort pour crier l'injustice et l'infortune. Dans son dernier livre Le désordre humain conté à mon petit-fils, elle évoque un problème d'actualité qui fait florès, notamment le drame de tous les exilés de la mare nostrum. Elle a accepté de nous en parler. Le Temps d'Algérie : Est-ce l'indignation qui a motivé l'écriture de votre nouvel ouvrage? Aicha Bouabaci : Tout d'abord, quelques précisions : ce petit livre, je l'ai écrit entre décembre 2000 et janvier 2001. Il a été édité aux Editions Casbah en 2002 et présenté dans le cadre de l'année de l'Algérie en France, en 2003. Malheureusement, malgré sa brûlante actualité, à l'époque comme aujourd'hui, rien n'avait été fait pour sa promotion dans le pays. Pourtant, des pays comme l'Espagne et l'Italie où il avait été traduit et publié respectivement en 2007 et 2011, confrontés à l'immigration clandestine, en avaient fait une large diffusion, jusqu'en Amérique latine. En Italie, j'ai pu me rendre compte directement de l'émotion suscitée par ce court roman. Il vient donc d'être réédité par les Editions Le Flamboyant au Bénin, dans le souci de renforcer mes liens avec ces pays et ces peuples de notre si vaste et si beau continent qui connaissent depuis si longtemps ces exils périlleux et humiliants. J'y ai ajouté, à la fin, d'autres textes sur le même thème, des illustrations et repensé la couverture afin que ce fléau de franchissement des mers et des frontières qui a coûté tant de vies humaines, d'exodes et d'accueils non désirés, suscite le regard, frappe l'imaginaire, aiguillonne l'indignation. Le livre a été présenté à l'occasion du dernier SILA, sous l'égide du PANAF. Ce désordre humain, je l'ai pensé et décrit suite à l'événement douloureux et inattendu survenu à des proches. La surprise, l'indignation, le sentiment d'injustice, oui, c'était tout cela. Une vie bâtie à la suite de tant d'efforts défaite brutalement à la faveur d'un contrôle de papiers routinier ; sans état d'âme. Une énorme brisure dans le petit cercle de paix et de joie simple entretenue dans le mépris de tout ce qui fait l'humanité… Il fallait que je l'écrive, et très vite… Pourquoi l'avoir intitulé «conte» au lieu d'essai ? Un conte amène l'enfant à un imaginaire, alors que là c'est la réalité implacable. Le conte m'est venu immédiatement à l'esprit car il s'agissait d'une histoire, qui plus est, destinée symboliquement à un tout petit enfant. Il n'y a pas que des contes heureux. Il faut remarquer que malgré la dureté du thème, le recours à l'espoir est régulièrement prôné. J'ajouterai que profondément remuée par cet événement, il me fallait juste écrire très vite ce que j'avais ressenti, vécu en solidarité avec mes proches et les victimes de ces rejets. Un essai ne se serait pas prêté à ce besoin. J'aurais aussi pu écrire un essai, bien sûr. Faire intervenir la réflexion et l'analyse, cela aurait demandé plus de temps et de la disponibilité mais j'avais surtout cédé à l'émotion pour le traitement de ce thème. Un appel irrépressible. Selon vous, la littérature libère-t-elle? Personnellement, je ne sais pas si c'est la littérature qui m'a libérée. Je sais juste que je me sens libre en écrivant. Si c'est pour parler de la délivrance survenue après avoir livré des idées, des faits, des événements douloureux ou non, réels ou non, pressants, exceptionnels dans tous les cas, oui, l'écriture libère, apportant, selon les cas, soulagement ou jubilation… Poétesse, nouvelliste, romancière, quel est le genre de votre prédilection? J'écris depuis mon plus jeune âge de la poésie. Enfant émotive, il était impératif pour moi de libérer en courts jets toutes mes émotions, mes découvertes comme mes chagrins et mes espoirs. C'était ma première expression. J'ai poursuivi par la prose mais la poésie n'est jamais bien loin, dans chaque partie de cette prose. Je suis poète et toute mon écriture est empreinte de cet élan quels que soient le thème, le genre abordés. Il ne s'agit donc pas de préférence, mais de préséance, de compatibilité, selon la circonstance. Vos futurs projets littéraires ? Ce sont des projets qui appartiennent au passé surtout. J'ai été obligée, pendant presque vingt ans, de mettre de côté des écrits divers appartenant à tous les genres. Je suis en train de les ressortir pour juste revoir certains d'entre eux comme l'autobiographie. Les secrets de la cigogne, l'essai consacré à Fadhma Aït Mansour Amrouche, Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour Amrouche ou l'histoire d'une Sans papiers singulière, un recueil de poésie Poèmes de l'après-soir, un recueil de textes publiés dans un journal luxembourgeois Chroniques d'hier et d'aujourd'hui, en achever certains autres comme la pièce théâtrale L'hallali et d'autres titres encore. Une activité qui prendra du temps mais que je tiens à achever. En signe de renouveau, j'aimerais également faire rééditer mon recueil de nouvelles Peau d'exil, paru à l'ENAL en 199O, qui avait été bien accueilli et qui reste toujours d'actualité. Entretien réalisé