Les dignitaires de la monarchie des Al Saoud ne portent pas l'Algérie dans le cœur. Et pour cause, Alger est si loin de Riyad, géographiquement, mais surtout diplomatiquement. Et c'est tant mieux… Ce qui, d'évidence, alimente la rancœur et la rancune de ce royaume moyenâgeux qui ne conçoit les autres pays de la sphère arabo-musulmane au mieux que comme des obligés, au pire des sujets. On comprend mieux l'allergie des Al Saoud à l'autonomie algérienne en matière de politique étrangère. Notamment à l'égard des brûlantes questions qui agitent la géopolitique de cet «ensemble» géographique qui peine à se muer en force capable de mettre en échec les plans stratégiques de division concoctés par les grandes puissances. La position adoptée par la diplomatie algérienne de rejeter, par principe, l'oukase saoudien de décréter le Hezbollah libanais comme une «organisation terroriste» a accentué un peu plus le fossé qui sépare les doctrines diplomatiques des deux pays. Au royaume de l'intrigue, on vit très mal cette sortie des rangs «arabes» d'un pays comme l'Algérie qui décide, souverainement, que seuls les valeurs de sa Révolution et ses intérêts vitaux doivent structurer sa politique étrangère. A Riyad, on ne supporte pas non plus qu'un pays arabe ou musulman puisse s'extraire de la «sacro-sainte» règle de l'allégeance selon laquelle, croit-on, il doit s'astreindre à la «norme» diplomatique dictée par les «serviteurs» des Lieux Saints. Vu sous cet angle, l'Algérie a clairement fait échec au roi. Elle ne partage pratiquement rien de ce qui fait aujourd'hui l'alpha et l'oméga des relations internationales a fortiori s'agissant des questions qui touchent directement le monde arabo-musulman. Il y a au moins trois dossiers extrêmement sensibles sur lesquels l'Algérie et l'Arabie saoudite sont aux antipodes. A commencer par la déprime du marché pétrolier qui a gravement impacté les finances publiques algériennes. Les pétromonarchies du Golfe, sous la houlette de l'Arabie saoudite, peuvent en un claquement de doigts faire remonter les cours du brut par une simple révision à la baisse de leur production. Ce geste d'un pays «frère» suffirait au bonheur d'un pays comme l'Algérie qui est rudement mis sous pression d'un baril pas cher. Mieux encore, cet effort des Al Saoud et leurs homologues du Conseil de coopération du Golfe (CCG) n'aurait aucune incidence sur leurs recettes dès lors qu'ils récupéreront la différence avec des prix nettement plus avantageux. Une diplomatie autonome Mais ce calcul logique entre «frères» ne fait pas partie du logiciel diplomatique de Riyad pour qui la fixation du pétrole est précisément un levier redoutable pour recruter des «obligés». Autrement dit, mettre la souveraineté et les principes de certains pays récalcitrants, à l'image de l'Algérie, de l'Irak et du Liban, dans une posture telle qu'ils seront contraints de céder. C'est un peu cette stratégie de l'usure que l'Arabie saoudite et ses sœurs mettent en pratique au sein du cartel de l'Opep en bloquant toute décision de réduction de production malgré le lobbying de l'Algérie et du Venezuela. Il est tout de même bizarre qu'un pays vivant de la rente pétrolière refuse d'agir pour booster les prix… Mais la géopolitique du pétrole a ses raisons que la raison elle-même n'en a pas. Ce hara-kiri saoudien est un mal utile pour une monarchie qui a une autre bataille de survie à mener. Celle contre «l'ogre» chiite iranien. Riyad développe ces derniers mois, en effet, une véritable machine de propagande contre Téhéran. Au prétexte d'exporter le chiisme dans les pays arabe – où ce rite existe y compris au royaume des Al Saoud – Riyad redouble de férocité au point d'insupporter une quelconque relation avec l'Iran. C'est le deuxième grief que retient ce royaume contre l'Algérie qui entretient des relations normales avec le pays de Hassan Rohani. Les Saoudiens digèrent mal que notre pays ait soutenu le programme nucléaire pacifique iranien qui a fini d'ailleurs par aboutir à un accord avec les grandes puissances. L'Iran chiite, c'est un peu le chat noir des Al Saoud. Et une fois de plus, l'Algérie est dans le «mauvais» côté, selon Riyad. Ce constat s'est vérifié quand la diplomatie algérienne a refusé, il y a une année, et à juste titre, de se joindre à la fameuse coalition arabe qui détruit le Yémen. Non-ingérence à toute épreuve Elle a, selon le même principe et avec la même sagacité, pris ses distances vis-à-vis de la coalition dite «islamique» contre le terrorisme lancé il y a quelques mois sous l'étendard saoudien. Last but not least, l'Algérie vient de refuser catégoriquement de classer le Hezbollah libanais comme une «organisation terroriste» pour faire plaisir à Riyad. C'est l'ultime goutte d'eau versée dans l'océan qui sépare l'Algérie de l'Arabie saoudite. Cette position ferme a fait très mal là-bas. Des «douktours» enturbannés et autres experts de l'insulte sont convoqués sur des plateaux télé pour accuser l'Algérie de «trahison». La meute wahabite est lâchée contre l'Algérie qu'elle veut mordre à pleines dents. Mais comme un pathétique désaveu diplomatique à ce royaume qui se sert de l'Islam, ses alliés américains viennent de… retirer le Hezbollah de la black-list des organisations terroristes. Ironie du sort, l'Arabie saoudite s'éloigne de l'Iran, de l'Algérie et des Etats-Unis. Ils ne peuvent compter que sur le royaume du Maroc et la France qui vient d'auréoler son prince héritier d'une légion d'honneur. D'horreur plutôt pour «services» rendus aux droits de l'homme au Yémen, en Syrie et en Irak. Question à un riyal : que partage l'Algérie avec un régime aussi sulfureux qui a pris en otage la Ligue arabe devenue un «machin», selon la formule inspirée du général de Gaulle en évoquant l'ONU ? Faut-il rompre avec la monarchie des Al Saoud qui a dilapidé le charisme et l'aura du défunt roi Fayçal ?