Djahida Houadef est une artiste peintre. Son parcours s'inscrit sur une trentaine d'années de création. Aujourd'hui, elle est plus que jamais pessimiste vis-à-vis de la situation de l'artiste en Algérie. Dans cet entretien, elle revient sur l'inexistence d'un marché de l'art qui pourrait redonner vie et espoir à la conservation du patrimoine artistique algérien. Le temps d'Algérie : Il y a quelques jours, Azzedine Mihoubi, le ministre de la culture, annonçait la création d'un marché de l'art. qu'en pensez-vous ? Djahida Houadef : Ce n'est pas d'un coup de baguette magique, c'est la mise en place de tout un système. C'est plein de choses qu'il faudrait réunir. Enfin, si le ministre de la culture peut le faire, c'est tant mieux, mais en ce qui me concerne, je pense que l'Etat doit consacrer des budgets dans tous les secteurs pour l'acquisition d'œuvres artistiques. Si l'Etat n'achète pas, comment voulez-vous que les autres (privés, institutions, mécènes ou public…) le fassent ? Où sont ces gens qui ont de l'argent et qui ne participent pas sur le plan social ? Qui ne participent pas au côté culturel ? Pour vous, incontestablement, le premier concerné par la création d'un marché de l'art, c'est l'Etat ? Absolument. Je peux vous donner mon exemple. J'ai exposé dans plusieurs institutions étatiques, entre autres les musées. J'y suis allée avec toute une collection de tableaux. A la fin de l'exposition, je suis rentrée chez moi avec toute ma collection. Cela veut dire qu'ils n'ont même pas fait le geste de retenir une œuvre. Ce n'est pas logique. Quand est-ce que l'Etat va retenir le patrimoine national ? Ce patrimoine qui est là mais dont ils ne veulent pas ou auquel ils ne pensent pas. Moi, j'ai 30 ans derrière moi et je me demande toujours : quand est-ce que l'Etat va se décider à préserver ce patrimoine ? Et il doit faire un geste pour justement acheter les œuvres des artistes et en même temps encourager les autres et leur montrer la marche à suivre. Pour quelle raison d'après vous l'Etat ou les institutions muséales par exemple ne font pas d'acquisitions d'œuvres artistiques ? Trop chères ? Les œuvres ne sont jamais assez chères. Pour les moyens, ils en ont. Tous les musées ont des budgets d'acquisition. Mais ces dernières années, ils ne le font plus. J'ai appris récemment que la dernière acquisition du musée Zabana à Oran remonte à l'année 1993. Pourquoi ? Ce n'est pas logique. Cela fait des années qu'ils n'achètent rien. En tant qu'artiste, en trente années et plus, je n'ai qu'une seule œuvre qui a été achetée par le musée national des beaux-arts. Et c'était dans les années 1980. Ce n'est pas normal que l'Etat n'achète pas. Nous, les artistes, lorsqu'on fait un travail, on le renouvelle à chaque fois. Personnellement, je n'ai plus de place où mettre mes travaux. Je suis obligée de les dispatcher à droite et à gauche chez des amis. Parce que je ne les vends pas et ça ne m'intéresse pas de les brader. Ce qui m'intéresse, c'est de pouvoir me sentir artiste dans mon pays, que mon travail ait de la valeur. Je pense que j'ai fait de mon mieux pendant toutes ces années de travail. Les gens qui sont autour de moi en témoignent. La moindre des choses est que l'Etat fasse le premier geste. Il y a de nouvelles infrastructures à l'image du bel édifice du ministère des affaires étrangères. Avez-vous des contacts avec eux ? Je leur ai écrit maintes fois. Je n'arrête pas de faire des courriers à droite et à gauche pour proposer des acquisitions. Je me dis que peut-être ils ne me connaissent pas. Alors je fais le geste pour leur dire que j'existe. Il y a des œuvres si vous voulez acheter. Ils ne répondent jamais. Les institutions étatiques ne répondent jamais. Les émigrés me disent : ‘'nous, quand on visite des représentations diplomatiques algériennes à l'étranger, on trouve quelques photographies qui datent des années 1960 et c'est tout. Ce n'est pas logique, alors que dans toutes les ambassades étrangères installées en Algérie, je trouve leur patrimoine exposé. C'est une véritable vitrine de leur culture. Le premier que j'accuse, c'est l'Etat ! C'est à lui qu'incombe le défi d'améliorer la condition de l'artiste et du marché de l'art algérien. Je ne vous parlerai pas de la situation de l'artiste, des espaces d'expositions… et de tous ces problèmes. Mais si seulement achetaient, nous, avec cet argent, nous pourrions louer des espaces et des ateliers qui serviraient à la création. C'est comme pour le statut de l'artiste, on vous dit : voilà il est là, il va couvrir socialement l'artiste. Mais qui va acheter nos tableaux pour que l'on survive ? Au pire, comment ma peinture va-t-elle survivre si personne ne l'achète ? Concernant le statut de l'artiste justement, quel a été son impact sur vous ? Rien. Pour les autres peut- être. Je travaillais en parallèle, donc j'étais couverte par la sécurité sociale normalement. Ce qui m'intéresse dans ce statut, c'est la possibilité d'avoir une carte qui nous permet d'accomplir des ventes. Il m'est arrivé que lors d'une vente, l'acquéreur me demande une facture. Je ne peux pas le faire. Alors il faut à chaque fois trouver une entreprise qui accepte de m'établir une facture. C'est évidemment une sorte d'arnaque. Il y a des gens qui me volent de l'argent parce qu'on vous dit, il y a telle ou telle chose à payer en plus. Au final, l'artiste se retrouve toujours dans la même précarité. Dites-moi comment la peinture algérienne peut vivre sans un marché de l'art ? Sans que les choses changent ? Est-ce que l'austérité à touché les artistes peintres ? Enfin, ça fait des années que l'artiste baigne paisiblement dans l'austérité. Ma situation est la même depuis des années. Quand il y avait de l'argent, est ce qu'ils ont fait des acquisitions ? Non ! Et ce n'est pas au moment où ils annoncent qu'il n'y en a plus qu'ils vont se mettre à acheter. Je ne crois pas. Inutile de parler des grands événements comme : l'année de l'Algérie en France, Alger capitale de la culture arabe 2009 ou encore Tlemcen 2011 et pour finir Constantine 2015 ; c'est une pure perte d'argent. C'est dommage parce qu'avec, ils auraient pu régler des problèmes de base, comme la fourniture des ateliers pour que les artistes puissent bénéficier d'une domiciliation. Dans tous les pays du monde, il y a des ateliers connus pour les artistes, sauf chez nous. Entretien réalisé