Lors de sa rencontre avec les fellahs, le 28 février à Biskra, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a été on ne peut plus clair en prenant la décision de faire racheter les dettes des agriculteurs par le Trésor public. Dans le but d'encourager le monde agricole à fournir l'effort intense attendu de lui pour moderniser l'activité et augmenter ses diverses productions, j'annonce que l'Etat a décidé d'effacer la totalité des dettes des agriculteurs et des éleveurs qui s'élèvent à 41 milliards de dinars. Cette dette sera rachetée par le Trésor public, et de ce fait les banques doivent cesser, dès ce jour, toute démarche pour le recouvrement de leurs créances auprès des agriculteurs et des éleveurs», dixit El Moudjahid du 1er mars 2009. Cet extrait du discours du président de la République a été commenté et expliqué à Aïn Defla, le 17 mars, par Mohamed Alioui, secrétaire général de l'Union nationale des paysans algériens (Unpa), devant un parterre composé d'un millier de fellahs. «1 100 000 fellahs n'ont pas de dettes auprès des institutions bancaires, alors que sur les 125 000 agriculteurs endettés, 50 000 sont au niveau de la CNMA qui détient 17 milliards de dinars de créances, tandis que la Badr détient 22 milliards de dinars, le reste est détenu par les autres institutions bancaires», a-t-il déclaré en signalant que pour Aïn Defla «2500 fellahs totalisent un montant de 2,5 milliards de dinars de créances envers les différentes banques». Le 25 mars, les banques de cette wilaya avaient alors transmis les dossiers des fellahs endettés à leurs directions respectives. C'est ce que nous avons appris auprès du GRE de la Badr de Aïn Defla qui a présenté 2216 dossiers de rachat pour un montant de 2 282 483 000 DA. «Les dossiers ont été transmis à la direction générale qui les étudie au cas par cas», dira M. Boudjemaâ, GRE par intérim. Une affaire purement technique Il est à signaler que Rachid Benaïssa, ministre de l'Agriculture, avait déclaré, lors d'un forum à la télévision, que les dossiers sont au niveau des institutions financières et que «c'est une affaire purement technique». Une affaire technique qui met dans l'embarras plus d'un agriculteur. Ce mardi 2 juin, aucune réponse n'étant parvenue de la DG, les fellahs concernés par la décision du premier magistrat du pays sont paralysés du fait qu'ils ne peuvent prétendre aux crédits de campagne (Rfig) et constatent que, pour les agences primaires de la Badr, ils sont toujours considérés comme redevables. «Nous ne pouvons postuler pour un crédit ni disposer des virements sur notre compte effectués après la décision d'effacement des dettes», dira un fellah qui s'est vu refuser l'encaissement un chèque remis par une compagnie d'assurance pour le dédommagement d'un accident de la circulation. «La banque m'a informé que je ne pouvais utiliser mon compte jusqu'à l'arrivée de la décision de rachat», signale ce fellah. Tahar Aouidat Ahmed, un producteur de pomme de terre dans la commune de Djelida, se dit déçu par les décisions prises par la Badr et la Crma au niveau local. Client chez la Badr depuis 26 ans, il a déposé un dossier au mois de février 2009 dans le cadre du dispositif du crédit Rfig (crédit de campagne sans intérêts). Cette institution bancaire lui a alors notifié un crédit de 1 080 000 DA, qui ne sera débloqué que sur présentation d'une attestation de non-endettement de la Crma. «C'est absurde», dira un employé de cette même banque qui affirme que son institution «n'a aucun pouvoir de gestion et aucune responsabilité morale sur la caisse de la mutualité agricole». Tahar Aouidet, certes redevable envers la caisse de 60 000 DA, s'y est présenté pour régler sa dette et se faire délivrer ce document, en vain. «Vous êtes bénéficiaire de la décision présidentielle relative à l'effacement des dettes, on ne peut pas encaisser, votre dossier est à Alger», lui a répondu un responsable de la Crma. Ce fellah, harcelé par ses créanciers, a payé la facture des engrais et celle de la semence, se retrouvant sans le sou pour entamer sa récolte. «Dans cette situation, je ne peux bénéficier d'un crédit de ces deux institutions bancaires censées être partenaires des agriculteurs», dit-il. Tout agriculteur en possession d'une carte de fellah est concerné Le président de la chambre de l'agriculture de la wilaya de Aïn Defla, El Hadj Djallali, fera remarquer que «l'application réelle de la décision présidentielle est non effective», ajoutant que les institutions bancaires sont en train de sélectionner les bénéficiaires de cette décision. «Tout agriculteur en possession d'une carte de fellah est concerné par l'opération d'effacement de la dette», précise-t-il. Selon ce responsable, mêmes ceux qui ont contracté des crédits dans le cadre du leasing doivent être inclus dans le dispositif de la décision présidentielle. «Si on prend l'exemple de Aïn Defla, cette wilaya compte quelque 26 000 agriculteurs dont moins de 2500 ont des dettes envers les institutions bancaires, ce qui prouve que d'autres ont remboursé leurs crédits», affirme M. Djallali, en soulignant qu'«il n'y a que ceux qui ont été frappés de plein fouet par la sécheresse, les maladies et les calamités naturelles qui n'ont pu honorer leurs engagements avec les banques, et que ce sont ces fellahs qui figurent sur les listes des créanciers». Les fellahs, quant à eux, pensent que le retard dans l'application de cette décision a des répercussions négatives sur le développement de l'agriculture. D. Abdelmadjid, un ingénieur agronome membre d'une EAC (exploitation agricole collective), prévoit une régression dans les prochaines campagnes de pomme de terre, puisque les producteurs, faute de financements, réduiront les superficies et payeront plus cher les semences et les engrais, car à la merci des importateurs et des spéculateurs qui leur accorderont des crédits à des conditions draconiennes. «La semence de pomme de terre dépassera 50 DA le kg pour l'arrière-saison, alors que les engrais atteindront les 9000 DA le quintal, sans compter les autres produits phytosanitaires», prévient-il, et ce, sans compter les frais supplémentaires pour l'irrigation, les ouvriers, le gasoil et l'eau. «La campagne d'arrière-saison se prépare dès la fin juin par des labours en profondeur», signale-t-il. Les fellahs prennent leur mal en patience Toujours en prenant la wilaya de Aïn Defla comme exemple, on apprendra qu'elle comptait 204 producteurs de lait qui livraient aux unités de transformation une moyenne de 2 millions de litres de lait cru par mois, mais pour ce premier trimestre de l'année 2009, les laiteries agréées n'ont collecté que 775 000 litres. «Ce déficit est dû à la faillite de plus de 110 producteurs dont les étables sont actuellement vides», dira l'un de ces ex-éleveurs en avouant qu'il avait accueilli avec un grand espoir l'annonce de l'effacement de ses dettes qui avoisinaient les 4 millions de dinars. Les hausses vertigineuses de l'aliment du bétail, la brucellose qui s'est déclarée dans plusieurs étables, le retard dans le règlement de la prime de soutien de 4 DA par litre suite à la indisponibilité des fonds dans le compte du ministère de l'Agriculture, le retard des remboursements par les compagnies d'assurances, la sécheresse et le prix des bovins, qui a également chuté, ont fait que la majorité des éleveurs potentiels ont carrément mis la clé sous le paillasson. «La vache laitière acquise à 23 millions de centimes atteignait difficilement les 12 millions», fera remarquer notre interlocuteur. Ces éleveurs se sont rapprochés des institutions financières pour la reprise de leur activité, vu que l'avoine, le maïs, l'orge et le foin sont, cette année, disponibles à des prix encourageants, surtout que l'Etat a relevé le prix du litre de lait cru livré aux unités de transformation à 32 DA au lieu de 22 DA et que la prime de soutien passe de 7 à 12 DA. Ils restent toujours redevables envers ces banques tant que leurs dossiers d'effacement de la dette n'ont pas abouti. «On ne peut ni avancer ni reculer», se plaint un fellah. Il ne faut pas oublier que cette situation est vécue par 125 000 fellahs à travers le pays. «Les plus touchés sont les éleveurs qui sont appelés à réduire la facture du lait et celle de la viande, qu'elle soit blanche ou rouge», dira notre interlocuteur. Les fellahs prennent leur mal en patience en attendant que les banques daignent leur faire entrevoir le bout du tunnel.