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Dr Mourad Preure, expert pétrolier international et président du cabinet Emergy: «Le conflit entre l'Iran et l'Arabie saoudite compromet toute sortie de crise»
Le Temps d'Algérie : Le sommet de Doha n'a finalement pas adopté un accord sur le gel de la production comme souhaité par les producteurs. Comment analysez-vous ce désaccord entre les producteurs de pétrole ? Dr Preure : L'issue de ce sommet n'a pas étonné les experts. Je l'avais dit moi-même, les divergences entre producteurs sont encore trop grandes pour aboutir à des engagements de gel de la production chiffrés et, surtout, contraignants avec des sanctions contre les pays qui ne les respecteraient pas. Le marché est donc à demi surpris. Bien entendu, il va réagir dans l'immédiat par un tassement, peut-être même une baisse sensible du prix du pétrole. L'Arabie saoudite produit 10.2 mbj et la Russie 11.25 mbj. Ce sont deux poids lourds auxquels il faut ajouter l'Irak avec 4.3 mbj et le Koweït et les Emirats arabes unis avec 2.8 mbj chacun. Mais, dans ces pays, seule l'Arabie saoudite a vraiment des capacités de production et peut encore élever la production. Les conditions posées par l'Arabie saoudite pour décider conjointement d'un gel de la production jusqu'à octobre n'ont pas été comprises par la Russie, qui vit durement cette baisse des prix et souhaite une reprise des cours. A mon avis, la tenue de cette réunion signale l'échec de la guerre des prix menée par l'Arabie saoudite car tous les pays producteurs souffrent de la baisse de leurs exportations, dont l'Arabie saoudite sachant que la baisse de production US n'a pas impacté les prix autant que le souhaitait ce pays et dans les délais prévus. Le marché en prend acte. Il prend acte aussi qu'une action concertée des producteurs est quasiment impossible et les prix s'en ressentiront. Estimez-vous que l'engagement de l'Iran pour le gel de la production est indispensable, comme l'a demandé l'Arabie saoudite ? Je pense que les graves différends d'ordre géopolitique entre l'Iran et l'Arabie saoudite expliquent l'issue de cette rencontre. Ils impacteront encore durablement les jeux d'acteurs sur le marché pétrolier. Ceci étant dit, l'apport de l'Iran sur le marché restera à mon avis limité à quelque à 300 000 - 400 000 barils par jour pour 2016. Cela est dû à l'état des installations pétrolières iraniennes qui sont à l'arrêt depuis plus de dix ans. Il était possible d'inclure l'Iran dans un consensus pour geler la production. Le facteur politique a joué défavorablement. Une évolution conflictuelle des relations saoudo-iraniennes, qui n'est pas à exclure, pourrait tout autant agir favorablement sur les prix dans un horizon proche. Il reste que nous sommes dans un marché pétrolier surapprovisionné à hauteur de 1.5 mbj et tout signal qui n'indique pas une réduction de la production est amplifié et agit de manière baissière sur les prix. Quelles seront les conséquences de ce désaccord sur le marché pétrolier ? Peut-on s'attendre à une chute plus gave des cours pétroliers ? Dans l'immédiat, comme je l'ai dit plus haut, les prix devraient fléchir. Mais s'il y a aujourd'hui 1.5 mbj de pétrole en trop sur le marché, cet excédent de production devrait se réduire à 200 000 barils par jour au deuxième semestre. Le marché tend à s'équilibrer du fait de la baisse de la production américaine depuis mai 2015 et des pays Nopec en général. En mars, les pays Nopec ont produit 56.8 mbj, soit une baisse de 180 000 barils par jour par rapport à février, et de 690 000 barils par jour sur l'année. La baisse de la production des pays Nopec devrait atteindre 710 000 barils par jour en 2016, dont près de 500 000 pour les seuls Etats-Unis. Donc, le marché tend à s'équilibrer car la demande reprend. Ainsi, les prix sont orientés à la hausse. Je pense qu'au quatrième trimestre 2016, ils devraient se placer entre 50 et 60 dollars le baril. Donc, si le marché devait réagir défavorablement dans les semaines à venir, il ne devrait pas être durablement affecté. Rien ne dit aussi que les pays producteurs, qui souffrent de la baisse des prix, tous sans exception, ne reviennent pas autour de la table des négociations pour parvenir à un accord. L'Arabie saoudite, qui a des réserves de change de 700 milliards de dollars, a tout de même un déficit budgétaire de 90 milliards de dollars. Elle est en crise autant que les autres et annonce même l'ouverture du capital de sa compagnie pétrolière, Aramco. D'autre part, l'industrie pétrolière est en grande souffrance. Les compagnies pétrolières réduisent leurs investissements, et certaines sont menacées de faillite. Les investissements ont baissé de 20% en 2015 et baisseront de plus de 21% en 2016. Nous avançons à grands pas vers une grande crise pétrolière avant la fin de la décennie, car la demande, qui retrouve sa croissance, ne trouvera pas l'offre nécessaire pour la satisfaire.
Ne faudrait-il pas engager dans l'immédiat des contacts entre les pays comme l'Algérie, l'Irak, la Russie et le Venezuela avec l'Iran pour faire adhérer ce pays à ce mouvement de gel ? Notre pays doit surtout garder son sang-froid et se préparer à l'après-crise qui n'est pas bien loin. Vu notre poids dans les réserves et la production mondiale, nous avons un pouvoir de négociation limité. De plus, comme je vous l'ai dit, la relation conflictuelle entre l'Iran et l'Arabie saoudite compromet pour l'heure toute sortie de crise. Il est bon, bien entendu, d'avoir une diplomatie économique active, autant pour équilibrer le marché pétrolier que plus généralement pour développer notre industrie pétrolière, et Sonatrach en particulier, et nous préparer pour les challenges futurs. En tout état de cause, notre pays ne doit absolument pas être absent des débats autour du nouvel ordre pétrolier qui est en train de naître sous nos yeux et où l'Opec verra son rôle changer radicalement. Le moteur de ce nouvel ordre pétrolier sera les compagnies pétrolières, qu'elles soient internationales ou nationales. La puissance des pays pétroliers proviendra de plus en plus, non plus du niveau de leurs réserves et de leurs productions, mais du dynamisme, de la compétitivité, de la puissance de leurs compagnies nationales, telle Sonatrach qui doit se développer internationalement, se renforcer sur les plans technologique et managérial et devenir un grand découvreur d'hydrocarbures. Ce faisant, elle entraînera dans son sillage les entreprises publiques et privées nationales ainsi que l'université et la recherche. Il ne faut plus se focaliser sur les batailles autour des prix car les logiques du marché ont changé radicalement. Il ne faut plus que nous soyons une source d'hydrocarbures, dépendant de ses exportations et donc d'un marché par essence volatil et instable, sujet aux incertitudes géopolitiques. Il faut que nous soyons un acteur à travers notre compagnie nationale et toutes les entreprises publiques et privées qu'elle entraîne derrière elle.