Face à la crise financière qui frappe le pays, les pouvoirs publics ont mis en place une panoplie de solutions pour financer les projets importants et maintenir la croissance. Il s'agit, entre autres, du lancement de la bancarisation de l'argent de l'informel et de l'emprunt obligataire national. Dans cet entretien, l'expert en finances et coordinateur général de l'initiative «Ibtikar», Sammy Oussedik, apporte son avis sur les décisions prises par le gouvernement pour faire face à la baisse des revenus pétroliers. En qualité d'ex-PDG d'une banque commerciale, il plaide pour des réformes structurelles profondes. Le Temps d'Algérie : Les prix du pétrole ne cessent de baisser sur le marché international affectant directement l'Algérie. Quel constat faites-vous de la situation économique du pays? Sammy Oussedik : Le constat, j'ai eu à le dresser déjà il y a deux années. La note «Reset-Algeria» que j'avais rédigée, et qui est disponible sur le net, prévoyait la crise financière et annonçait à moyen terme le recours à l'endettement. Elle indiquait qu'il fallait impulser une nouvelle politique économique et que pour cela, une «fenêtre de tir» de 24 mois était ouverte. Passé ce délai, les choses deviendraient plus difficiles. Depuis, les choses se sont aggravées. Il est plus que jamais urgent de changer de cap. Ma conviction est que cela doit passer par de profonds changements tant structurels qu'organisationnels dans les domaines politique, économique et financier. Enfin, ce changement ne pourra être effectif qu'avec la mobilisation de tous, du citoyen au responsable politique. Le gouvernement a choisi de recourir à de nouveaux moyens de financement, dont l'emprunt obligataire et la bancarisation de l'argent de l'informel. Que pensez-vous de ces démarches ? Beaucoup de choses ont été déjà dites à ce propos. J'en retiendrais trois : le lancement d'un tel emprunt dans une société où la défiance est généralisée notamment en direction du politique demande une préparation de fond et non pas un lancement précipité. Dans ce cadre, si l'emprunt n'est pas relié à une cause particulière (exemple en Egypte où l'emprunt lancé il y a deux ans pour le doublement du canal de Suez et qui a permis de lever 7 milliards de dollars en deux semaines), il suscite, pour le moins, la méfiance. D'autant que la question que de nombreux citoyens se posent est : «850 milliards dépensés en dix ans, et aujourd'hui ils sollicitent notre épargne. Que va-t-il en advenir ?». Le taux de rémunération offert n'est pas attractif compte tenu des rendements alternatifs, ainsi que du taux d'inflation réel. Enfin, il peut apparaître, pour certains, comme la continuité de l'amnistie fiscale par d'autres moyens… rémunérés. Des progrès ont été réalisés. Cependant, le taux de bancarisation reste faible si on le compare avec celui des pays voisins. Cela est valable autant pour le nombre de guichets que pour le niveau de collecte ou encore la gamme de produits financiers. Le potentiel de croissance est important mais le niveau de l'informel reste un handicap certain à une meilleure bancarisation. Que pensez-vous de l'ouverture du capital des entreprises publiques à celles du privé ? Je n'ouvrirai pas, sur cette question, de débat idéologique. Pour moi, la nature de la propriété du capital d'une entreprise n'est pas la question essentielle. Ce qui importe est que l'entreprise, à travers sa privatisation, devienne compétitive et performante. L'important est que l'acquéreur puisse véritablement apporter une valeur ajoutée à l'entreprise tant dans les domaines technologique, financier que managérial. J'ai la conviction que dans certains secteurs, la privatisation est indispensable à condition qu'elle corresponde aux critères que j'ai cités plus haut. Pour exemple, la vente ou la signature d'un contrat de management en faveur d'un de nos grands réseaux bancaires publics est nécessaire. Elle permettra de canaliser l'épargne de façon plus efficace, en direction des entreprises performantes. Ce qui, hélas, n'est pas le cas. Enfin, gardons à l'esprit qu'aujourd'hui les produits et services locaux sont en compétition avec les produits étrangers sur le marché algérien. A l'aune de cette situation, l'enjeu est de produire en Algérie avec de la main-d'œuvre locale, sous peine de voir disparaître ce qui nous reste comme économie. Alors, si dans certains cas la privatisation est nécessaire et suivant les conditions énoncées, allons-y ! Notre pays est à la croisée des chemins. Les crises sont de toute nature, s'empilent et sont connectées l'une à l'autre. Le système en place est anomique. Il crée du désordre et est inefficace. Aujourd'hui, le modèle qui est le nôtre et que je nomme «Modèle RCR (rente, corruption, redistribution) est arrivé à son terme. Il va falloir nous réinventer que ce soit en politique ou en économie. Pour cela, sur le plan économique, il nous faudra réhabiliter les valeurs travail et responsabilité et remettre au cœur de notre économie la production. De façon générale, il nous faudra proposer une vision, une ambition, un avenir aux Algériens. C'est à quoi nous nous attelons. La Banque de développement local a lancé il y a quelques jours un livret d'épargne sans intérêt, considéré comme un produit de la finance islamique. Qu'en pensez-vous ? Tout d'abord, deux constats s'imposent : les liquidités en circulation en dehors du circuit bancaire sont importantes. Cela, en grande partie, est dû au fait que l'informel représente une grande partie de notre économie et qu'ainsi la majorité des transactions échappent au circuit bancaire classique. De potentiels clients refusent de confier leur argent et d'utiliser les produits financiers classiques car ils les considèrent comme non-conformes à la charia. Aujourd'hui, compte tenu de la crise économique et financière que nous subissons, les liquidités en circulation, à travers le circuit bancaire, deviennent encore plus rares. C'est pourquoi, un des principaux enjeux actuels pour nos banques est de drainer et mobiliser cette épargne qui continue à leur échapper et de l'affecter à travers des produits financiers au financement de l'économie. Les produits financiers de type islamique peuvent aider à cela. Les clients qui se dirigeront vers ces produits le feront tout d'abord pour des raisons religieuses et éthiques. Dans ces cas-là, je ne pense pas que nous puissions parler de façon stricto sensu, de «bénéfices financiers». La véritable question est de savoir si ces produits permettront de rebancariser une partie de l'épargne thésaurisée en dehors du circuit financier classique. Quant à l'engouement proprement dit, je le pense, je l'espère car plus que jamais durant cette période difficile que nous traversons, il va falloir mobiliser ces capitaux en faveur de l'économie.