Moi, Scribe de Rachid Mokhtari, paru aux éditions Chihab, est un roman original picaresque qui renvoie à une période de l'Algérie où illettrisme, chômage, émigration et abus de pouvoir ont droit de cité. Ce livre convoque les morts et interpelle les vivants face à la gabegie et l'impéritie. L'auteur nous plonge au fin fond du profond pays, dans le village d'Imaqar avec une galerie de personnages hauts en couleur, avec leurs préoccupations et leurs espoirs, à l'image de Saïd, Karim-Ka, Zaina, Tikouk, Khali Amar, Lahbachi et le patriarche. Les deux saints de cette bourgade, Sidi Lhadj Amar et Sidi Mhand Amazit ne sont pas en reste dans ce récit. C'est une galerie de portraits et de personnalités truculentes tous empêtrés dans leur vie étriquée et engoncés dans leurs habitudes et raisonnements insensés. Les Anciens qui convient les morts et apostrophent les vivants à propos de la cueillette des olives sont inquiets et tourmentés. D'ailleurs le patriarche n'a cessé de répéter et de rappeler «Le ver est dans le fruit» ! Mais à l'évidence, personne ne l'entend ! Et les gens d'Imaqar affirment péremptoirement que «la saison des olives ne souffrira pas des ravages des étourneaux». Cette narration qui se construit autour de cette cueillette et sur les élections est tissée des aléas du quotidien de ce village perdu et mâtinée par les petites et sordides histoires de ces petites gens. En symbiose avec la grande histoire, ils racontent chacun leurs désillusions. La construction du supermarché et l'épidémie qui frappe le village sur fond houleux d'élections témoignent de la revanche des ancêtres. Lucidité et réalisme Cet ouvrage est une belle satire sociale que l'on peut accoler à chaque petit coin du pays. Pleine de subtilités et d'ingéniosité, cette saga plaide pour la lucidité, et le réalisme du romancier qui, sans verser dans la moralisation, a su donner un ton badin à son récit pittoresque. Pour clore cette narration, on peut y lire en manchette du journal Le renouveau : «Selon nos dernières informations, la destruction du vieux cimetière a pollué la nappe phréatique et les racines des arbres fruitiers. La construction d'un supermarché de luxe sur l'aire du cimetière décidée par le PPCL à l'approche des législatives a libéré les émanations pourries qui ont contaminé les produits alimentaires et les cosmétiques». Le patriarche l'avait prédit, «le ver est dans le fruit». L'écriture vive, fluide, pleine de fraîcheur, avec une bonne maîtrise du mot et l'intonation allègre donne une certaine originalité à ce roman. L'auteur qui n'est pas à son premier essai a su avec doigté captiver l'attention du lecteur avec cette histoire cocasse et saugrenue, mais d'une profondeur d'analyse. C'est un roman frétillant plein de rebondissements et d'actions qui marque une période donnée.