L'Iran occupe, de nouveau, les devants de l'actualité politique internationale. Cette fois, à la suite de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel, officiellement remporté par le président sortant Mahmoud Ahmadinejad, et massivement contesté par les partisans de Moussavi pour «fraude électorale massive». L'Iran, a-t-il dit, n'a d'ailleurs jamais quitté durablement l'avant-plan de l'actualité depuis l'apparition, il y a trois décennies, de la «Révolution islamique», conduite par l'imam Khomeyni, qui a chassé le régime de Pahlavi, le shah, pour instaurer celui des mollahs. Depuis, la nouvelle République islamique, à travers un événement ou un autre, se positionnera, plus ou moins sporadiquement, au centre de tous les grands enjeux politiques. Toujours pour un certain nombre de raisons majeures plus ou moins intimement liées entre elles mais au centre desquels Téhéran gardera une place phare. Le «bras de fer» avec l'Occident L'avènement du régime des mollahs avait été perçu d'emblée, en 1979, comme une menace pour les intérêts de l'Occident, en particulier ceux des Etats-Unis, allié du régime du shah et d'Israël dans la région du Proche-Orient. Sitôt au pouvoir, Khomeyni qualifie les Etats-Unis de «Satan», rompt les relations de son pays avec Tel-Aviv, reçoit le défunt Arafat et s'en prend aux intérêts économiques et géostratégiques occidentaux. Les Etats-Unis redoutent alors la théorie de la «chute des dominos» dans le Golfe. Le «bras de fer» engagé, au début de l'année 1980, entre Téhéran et Washington, se traduit par la «prise d'otages» du personnel de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran, par les jeunes gardiens de la Révolution islamique. Le «bras de fer» qui a capté l'attention du monde entier prend fin grâce à une remarquable action diplomatique de l'Algérie. S'ensuivit une guerre de dix ans avec l'Irak, armé par l'Occident. Une guerre ravageuse, un désastre qui terminera d'élargir le fossé entre l'Iran et l'Occident. Une pause dans ce climat de tension est observée, cependant, avec la venue au pouvoir des «modérés», notamment Mohamed Khatami, dans les années 2000. Le président iranien, homme de culture et partisan du dialogue des civilisations, donne une leçon aux universitaires espagnols sur la «pensée universelle de Cervantès», au cours d'une conférence en marge de sa visite officielle en Espagne. Un semblant d'ouverture politique apprécié par les Européens. L'Union européenne (UE) changera quelque peu son regard sur le régime des mollahs. Pas la famille Bush qui continue de voir dans l'Iran «un pays de l'axe du mal», une future puissance nucléaire et le plus ferme soutien du «terrorisme islamiste». La victoire en 2004 du «radical» Ahmadinejad va dissiper le coin d'éclaircie dans le ciel persique sur lequel l'Europe avait concentré son regard. Plus inquiets encore sont les Etats-Unis qui se rappellent que le jeune maire de Téhéran, devenu, par les urnes, président de la République islamique d'Iran, figurait parmi les preneurs d'otages du personnel de leur ambassade à Téhéran. Information vraie ou simple vision de paranoïaque, la Maison-Blanche avait de quoi s'inquiéter. Le leader iranien n'a pas peur des mots et ne fait pas dans le langage diplomatique. Il choisit ses amis dans le camp le plus hostile à la famille politique de G. Bush, de préférence à Caracas et La Havane, dans le voisinage des Etats-Unis. Aux inquiétudes de Washington et de l'Europe sur le programme nucléaire iranien, il ne laisse planer aucun doute sur ses objectifs : l'Iran poursuivra son programme d'enrichissement de l'uranium. Ne se laissant nullement impressionner par les menaces de représailles occidentales, Mahmoud Ahmadinejad va plus loin : Israël sera rayé de la carte. «Radicaux» et «modérés» Les Etats-Unis sont déterminés à mener une action de force contre l'Iran alors que l'UE privilégie la voie du dialogue, empruntée, depuis, par le nouveau chef de la Maison-Blanche, Barack Obama. Au fond, les pays occidentaux misaient sur le succès aux élections présidentielles une possible victoire du «modéré» Mussavi dont rien ne dit, pourtant, qu'il est partisan de la suspension du programme nucléaire de son pays. Tous les scénarios prévus par les experts, en l'absence de sondages en Iran, prévoyaient une victoire de l'un ou de l'autre candidat avec une faible marge. C'est cette faible marge qui faussera les analyses. L'Iran risque de n'être plus gouvernable ni par les «radicaux» ni par les «modérés». Le «bras de fer» est entre Iraniens cette fois. Un pays divisé en deux. A parts égales entre partisans des deux camps, entre manifestants protestataires de l'opposition et contre-manifestants loyaux au président en place. En fait cette «division dormante» depuis l'avènement de la révolution islamique a fait surface le 12 juin. Les Iraniens divisés, les puissances occidentales le seront elles aussi. Washington, bien que ne voyant pas, selon l'expression de Barack Obama, de différence entre les deux faces de la monnaie, dénoncent la «fraude électorale». Les «27» se préoccupent, eux aussi, et se rangent, comme Washington, aux côtés de Moussavi. «Un moindre mal» à leurs yeux. Moscou et Pékin ont fait leur choix, eux aussi, en fonction des liens qu'ils entretiennent avec le régime en place à Téhéran. De leurs intérêts d'Etat. L'enjeu aujourd'hui L'enjeu, aujourd'hui, c'est le rapport de force interne qui peut, à terme, être déterminant dans les relations de l'Iran avec le monde extérieur. La partie échappe aux grandes puissances qui n'ont plus d'autre choix que d'attendre pour voir la tournure que prendront des événements sur lesquels ils n'ont aucune prise. L'Occident, bien sûr, rêve que le courant moderniste s'affirme, s'amplifie, conquiert le pouvoir. Sans oser y croire de voir la République islamique se ranger parmi les démocraties classiques. Aussi, certaines capitales occidentales veulent voir dans ce qui se passe en Iran, une révolution permanente qui aboutirait, à terme, à mettre fin à trois décennies de régime des mollahs. En apparence, tout rappelle, dans le sens inverse, les événements de 1979. A cette différence que si les élections présidentielles ont été manipulées, Ahmadinejad n'est pas dans la situation du shah Pahlavi, pas plus que Mussavi ne présente le charisme de l'ayatollah Khomeyni, dont le successeur Khamenei a accepté une révision partielle des résultats du scrutin. Ce n'est pas suffisant pour l'opposition qui réclame l'annulation pure et simple de la «victoire» proclamée du président sortant. Deux scénarios possibles sont en présence, pour le moment. Le régime iranien campe sur ses positions et c'est le risque d'un dérapage aux conséquences tragiques incalculables. Le régime organise de nouvelles élections et là encore rien n'apportera la certitude que les résultats seront acceptés par l'un ou l'autre des deux camps. En vérité, plus que deux courants politiques, ce sont deux modèles culturels qui s'affrontent dans les limites qu'autorise la République islamique. C'est net, de visu, dans les rues de Téhéran occupées par les manifestants et contre-manifestants. Le peuple iranien a vécu l'ère du shah et s'en est débarrassé. Il continue de vivre l'expérience de la démocratie dans le cadre de la République islamique dont il perçoit mieux aujourd'hui les limites, à l'ère du portable, du satellite, de la modernité et des droits de l'homme. En attendant, l'Occident peut ranger, provisoirement, le dossier nucléaire iranien, le temps que les choses soient plus claires à Téhéran.