Dans une tribune publiée par le quotidien français Le Monde mardi, intitulée L'école algérienne entre incompétence et obscurantisme, un groupe d'intellectuels algériens dénonce «l'appauvrissement et la néo-salafisation de la langue arabe dans la société». Les signataires de la contribution, Ahmed Djebbar, Abderrezak Dourari, Mohammed Harbi, Wassiny Laredj, Khaoula Taleb-Ibrahimi et Houari Touati tirent à boulets rouges sur ce qu'ils appellent «les néosalafistes» qui sont, selon eux, les pseudos défenseurs de la langue arabe en Algérie. Cette langue qui est «constamment sujette à des tensions politiques et à des disputes idéologiques extrêmes», car ceux qui la défendent bruyamment ne la conçoivent que comme une langue rituelle et patrimoniale. Et même lorsqu'ils ne récusent pas le fait qu'elle soit une langue de culture, ils ne se soucient ni de la forme ni du contenu de cette culture. La langue arabe, dissociée de sa culture, n'est qu'une coquille vide de sens. Et la présence de la culture arabe en Algérie est médiocre, selon ces intellectuels. Cela est dû, selon eux, au fait que les Algériens sont «coupés du patrimoine littéraire classique de cette langue, que quasiment plus personne ne lit parce qu'il est devenu incompréhensible, y compris pour la plupart des membres de l'élite intellectuelle», disent-ils. Ces intellectuels croient qu' «en soixante ans d'existence, l'école algérienne n'a rien enseigné de tout cela (...) Les faux défenseurs de la langue arabe de chez nous, ceux qui sont responsables de son naufrage scolaire, ne savent pas - bien sûr - qu'ils sont tributaires de la culture grecque jusque dans la façon dont ils ont appris à lire et à écrire la langue arabe, et qui est celle que les écoles coraniques ont perpétuée depuis des siècles». Les «adeptes de la sottise qui s'imaginent que la langue arabe est une langue sacrée, voire la langue sacrée par excellence», sont allés jusqu'à «bien faire dire au prophète que, de toutes les langues, c'est l'arabe qui était sa préférée parce qu'elle est la langue des gens du paradis». Ce «pseudo-hadith» est réhabilité par «le néosalafisme, qui en a fait l'emblème de sa religiosité tactique. En effet, ce type de hadiths est le pain quotidien des prédicateurs et des sermonnaires dont la plupart des récits par eux colportés relèvent de cette catégorie», écrivent les rédacteurs de la contribution. Et pour étayer leurs dires, ils citent l'exemple de la vidéo postée par l'institutrice de Batna, le jour même de la rentrée scolaire 2016-2017, et qui a provoqué une grande polémique. Le danger que fait peser le néosalafisme à l'école algérienne est que, au-delà de son caractère abrutissant, il miroite une mécanique tranchante : d'un côté le halal (autorisé par la religion), de l'autre le haram (interdit par la religion). Le drame est qu'après avoir mis en crise toutes les expressions de la religiosité sunnite et s'être substitué à elles, partout où il a conquis des espaces sociaux et institutionnels, le néosalafisme a répandu le fatalisme au point de nier à l'homme son existence en tant qu'être de volonté, se désolent ces intellectuels algériens. Pour sortir l'école algérienne des tensions qui la guettent, il faut que celle-ci «puisse donner aux enfants qui lui sont confiés par millions les clés de leur être-au-monde, afin que notre Algérie soit digne de son rang dans le concert des nations et qu'elle œuvre au bonheur et à la prospérité de tous comme une part de son humanité», concluent-ils.