«Nous avons réussi à nous imposer en tant que bloc alternatif au syndicat du système (Ugta, Ndlr)», se sont félicités, hier, les responsables syndicaux lors du rassemblement de protestation organisé à proximité de la Grande Poste d'Alger, faute d'accès au Boulevard Zighout Youcef où se trouve le siège de l'APN. Malgré l'impressionnant dispositif sécuritaire mobilisé, les travailleurs affiliés aux différents syndicats autonomes engagés dans un bras de fer avec le gouvernement sur la réforme de la retraite ont résisté aux bousculades, aux embarquements, aux arrestations et parfois même aux coups de matraque. Prévu devant le siège de l'APN, le sit-in auquel a appelé l'intersyndicale de la Fonction publique a été réprimé à quelques centaines de mètres, au niveau de la Grande poste, a-t-on constaté sur place, alors que des centaines de personnes ont été arrêtées et renvoyées depuis la gare routière du Caroubier après avoir été embarquées dans des bus de l'Etusa. A 10h, à peine les présidents des syndicats arrivés que les forces de l'ordre et les policiers en civil les ont embarqués. Idir Achour du CLA, Lyes Merabet du Snpsp et Boualem Amoura du Sataf ont été conduits au commissariat central d'Alger. Commencent par la suite les arrestations en cascade et les bousculades des protestataires venus de plusieurs wilayas du pays. Dès qu'une pancarte est brandie, un policier en civil s'empresse de la récupérer et de la déchirer. Une véritable bataille et une chasse entre protestataires et services de sécurité, qui finira au jardin situé à proximité. Des centaines de personnes commencent à scander alors des slogans hostiles au gouvernement, tout en dénonçant la répression. «Ô la honte, gouvernement sans décision», «M. Sellal, où est passé le droit des travailleurs ?» ou encore «Samidoune, waqifoune» (résistants et debout), pouvait-on entendre de la foule quadrillée de tous les côtés par la police et les CNS ramenés en renfort. Vers l'APN, toutes les issues ont été fermées, les véhicules contrôlés et les personnes fouillées et interdites de traverser. Tout a été fait de façon à ce que le sit-in ne se tienne pas. Les autorités, craignant visiblement la grande mobilisation, ont choisi l'option de la répression, contrairement donc aux propos officiels qui minimisaient l'ampleur des grèves observées jusque-là et de la représentativité des syndicats autonomes. Démonstration de force «Les arrestations ont été effectuées à la gare routière du Caroubier, comme à la sortie de Blida et de Boumerdès et devant les sièges des syndicats, notamment celui de l'Unpef», a-t-on appris des syndicalistes. Dans une déclaration à la presse, le Dr Lyès Merabet, président du Snpsp, a exprimé «la joie» de l'intersyndicale. «Nous sommes contents de cette action de dignitaires venus de différentes wilayas du pays en réponse à notre appel», dit-il, avant de s'adresser au gouvernement : «Nous existons et nous ne sommes pas que de l'encre sur du papier. Quant aux parlementaires qui nous ont méprisés en adoptant une loi de finances 2017 scélérate contre les algériens, nous leurs disons : honte à vous». Meziane Meriane, coordinateur national du Snapest, a pour sa part déclaré que «l'intersyndicale a atteint son objectif malgré la répression». Le syndicaliste persiste et signe que «le combat se poursuivra pour dire non à l'exclusion des syndicats autonomes et non à la décision de la honte qui supprime la retraite proportionnelle et sans condition d'âge». De son côté, Salim Ouelha du Cnapeste a regretté qu'«après la répression administrative, l'on passe désormais à l'agression physique contre les médecins, les enseignants et les autres fonctionnaires». Dans un point de presse tenu au siège de l'Unpef vers midi, Boualem Amoura, qui venait d'être libéré, a soutenu que «l'Algérie va bien tant que la société n'est pas maîtrisée comme on le prétend là-haut». Le représentant du CLA estimera enfin que «cette action n'est qu'un autre round de plus qui s'ajoute aux précédents, tandis que par la répression, le pouvoir venait de souffler sur la flamme du combat». Les syndicats qui poursuivent la grève aujourd'hui et demain se réuniront le 5 décembre pour décider des suites à donner au mouvement. Députés et société civile solidaires Les députés du Parti des travailleurs (PT) ont été présents en force au sit-in de l'intersyndicale. Djelloul Djoudi, Ramdane Taâzibt, Smaïn Kouadria et autres Nadia Chouitem ont manifesté aux côtés des travailleurs, tandis que des députés du FFS et du parti El Adala sont arrivés vers la fin. Les parlementaires de l'opposition rejettent le projet de loi portant réforme de la retraite et expriment leur solidarité avec les syndicats autonomes. «Nous sommes surpris de la répression policière qui ne fait qu'aggraver la situation», déclare Ramdane Taâzibt, dénonçant «un passage en force du projet à l'APN». Il appelle le gouvernement «à la raison». Dans un communiqué, le FFS a «dénoncé avec la plus grande vigueur l'arrestation de plusieurs syndicalistes». En guise de solidarité avec les syndicats, ses parlementaires «se sont retirés de la séance plénière» consacrée au débat du projet sur la retraite. Tout en réitérant sa «solidarité avec les revendications légitimes des travailleurs», le FFS «considère que la répression adoptée par le pouvoir, comme seul moyen de gestion des conflits sociaux, ne fera qu'accentuer la grogne sociale déjà généralisée». Pour sa part, la Laddh a exigé «la libération immédiates de toutes les personnes interpellées», rappelant que la liberté de manifester et d'exprimer pacifiquement ses opinions sont des droits consacrés par la Constitution et les conventions internationales relatives aux droits politiques, civils, économiques et sociaux ratifiés par l'Algérie. L'organisation que préside Noureddine Benissad a exprimé son «inquiétude face à la dégradation des conditions de vie de pans entiers de la société et des catégories sociales les plus vulnérables». Enfin, l'association RAJ a dénoncé «la volonté des pouvoirs publics d'étouffer toutes les voies discordantes et l'absence de toute volonté de dialogue face à la crise multiple qui secoue le pays à tous les niveaux».