Les politiques français, à leur tête le président Sarkozy, occupent les foules et les médias depuis une semaine déjà, avec un thème récurrent, le port de la burqa (tenue islamique des femmes afghanes), prouvant encore une fois au monde que la France est le seul pays occidental où la liberté religieuse n'est pas leur fort. Au nom de principe d'une laïcité sacrée dont le fondement remonte à plus d'un siècle (1905), la France officielle, toutes tendances politiques, se joue des libertés des Français, dont 5 millions sont musulmans, qui se sentent les seuls visés par les interdits légiférés. Le débat sur le port du voile islamique avait déjà occupé la rue française, les partis politiques, le mouvement associatif et les travers du parlement durant de longs mois en 2004 avant d'aboutir à la mise en place d'une loi interdisant son port par les femmes musulmanes à l'école publique. Cette loi qui visait la seule religion musulmane avait alors mis la France officielle au ban des accusés dans le monde musulman, même si les politiques dans ce pays, très manœuvriers, avaient inventé un autre terme «les signes religieux ostentatoires» à la place du voile islamique, pour faire dans les généralités. Du reste, pour ne pas avoir sur le dos l'électorat musulman, les politiques ont joint au voile islamique, le port de la croix chrétienne et de la kippa juive, mais aussi le turban des sikhs (Inde). En réalité, cette loi est spécifiquement dirigée contre les musulmans, et ces derniers en France l'avaient dénoncée. Du reste, cette loi et bien d'autres règlements au pays de la «Liberté, Egalité, Fraternité», mais hélas, le comportement d'une poignée d'intégristes islamistes sont à l'origine de la montée de l'islamophobie. Aujourd'hui, la classe politique française, notamment la droite au pouvoir, à court de stratagèmes lénifiants face à un mal-vivre social qui perdure, remet ça avec le port de la tenue féminine afghane. Ils ont même poussé plus loin en évoquant ce qu'ils appellent le port du «voile intégral» en référence au niqab des Saoudiennes. Pourtant, les femmes qui portent la burqa ou le niqab en France sont une infime minorité, à telle enseigne que beaucoup de Français ne connaissent même pas cette tenue. La droite s'éprend des communistes Il a fallu qu'un député communiste, du reste, minoritaire dans son parti, le PCF, André Gerin, dépose une proposition de résolution le 17 juin dernier de création d'une commission d'enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab, qui a été soutenue par 58 députés, majoritairement de droite (43 UMP), pour que le voile islamique pénètre le Congrès réuni à Versailles ! Il n'y a que la religion musulmane qui «unit» les politiques français, puisque la droite est sur ce dossier solidaire des communistes. On aura tout vu dans le «pays des droits de l'homme». Cette fois-ci, crise économique aidant, les Français ne suivent pas cette énième duperie politicienne, par laquelle une classe politique repue de privilèges, et en manque d'arguments se saisit d'un dossier sensible pour endormir les masses préoccupées par des questions beaucoup plus terre à terre. En effet, les réactions citoyennes notamment à la petite phrase d'un Sarkozy plus impopulaire que jamais, selon qui, «la burqa n'est pas la bienvenue» en France, sont vigoureuses et sans appel. En voici des échantillons. L'un d'eux estime en pointant du doigt les politiques que «certains caresseront ce doux rêve toute leur vie durant sans jamais l'assumer, mus par une vénalité électoraliste, tandis que d'autres, nostalgiques d'une rhétorique d'extrême droite ou encore galvanisés par un président briseur de tabous, passent à l'acte». Celui-là leur reprochera de faire montre de «la pire couardise qui soit : stigmatiser la deuxième religion de l'Hexagone, et à travers elle des millions de croyants, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, pour évacuer leurs propres échecs et errements». Poursuivant son réquisitoire, ce citoyen se demande si c'était la brutalité de la crise économique mondiale qui rendait «la France du pouvoir d'achat exsangue, plongeant des millions de Français qui se lèvent tôt dans les affres d'une pandémie de chômage, tétanise à ce point notre président et ses ministres, les laissant à court de slogans et de plans B». Il se demande à juste titre aussi si c'était parce que Barack Obama, lors de son grand oral du Caire, a osé faire la leçon au pays des Lumières en plaidant pour une laïcité ouverte, lucide et éclairée, après avoir défié l'Occident en ouvrant grandes les portes du pouvoir suprême, la Maison-Blanche, à la première conseillère musulmane voilée. On connaît Sarkozy marchant sur le pas d'Obama, mais le fait qu'il proclame le voile islamique «intégral» interdit, alors que devant ce même Obama, le 6 juin, en France, il avait soutenu le contraire, prouve que cet homme n'est pas un véritable animal politique dont les principes initialement sont immuables. N'est-ce pas ce même Sarkozy qui avait déclaré à la surprise générale que la France est un pays de tradition chrétienne, foulant ainsi au pied tous les principes de liberté de culte, y compris celui de ses parents ? Cornettes et soutanes Les critiques citoyennes à l'endroit de cette nouvelle trouvaille ne s'arrêtent pas là. «Dans les années 1960, prêtres et sœurs catholiques portaient voiles, cornettes et soutanes, sans que personne s'en offusque, l'habit militaire, dans son style très républicain était même admiré et respecté», rappelle un autre analyste. «Notre société évolue, les cathos ne s'exhibent plus grâce à l'intercession de Vatican II et le militaire en uniforme passe pour un facho, au mieux pour un ringard. Aujourd'hui, la libre circulation des personnes fait apparaître dans nos rues d'autres vêtements emblématiques d'une appartenance, la burqa en fait parti mais est-elle plus ridicule que les vêtements des jeunes gothiques ?», s'interroge-t-il, imparable. Et aux députés de droite suivistes du «roi» Sarkozy, qui cherchent à faire une loi sur cet épiphénomène, il dit que cela serait «la porte ouverte à toutes les interdictions de signes religieux». Du reste, il leur demande pourquoi ne pas, en effet, interdire le port de la kippa par la suite et de la croix pour terminer. «Tout un chacun doit être libre de montrer son adhésion à sa religion par le port de tout vêtement ou accessoire choisi», leur lance-t-il en plein figure. Et ce n'est pas tout. «La France, pays des droits de l'homme, pays laïque. Interdire la burqa, c'est comme interdire aux chrétiens d'avoir une croix autour du cou», argue ce laïque. «Il faut relativiser, on parle de la France qui dit être un des seuls pays laïques et on demande une loi qui interdit le port d'une tenue vestimentaire représentant un culte», ajoute-il, se demandant où est passée la liberté d'expression. «On l'oublie de plus en plus en ce moment. Quand on va dans un pays musulman, on n'est plus dans un pays qui se dit laïque et là est toute la différence», assène-t-il, enfin. Les décideurs en France devraient apprendre l'humilité et l'humanité. A leur endroit, un autre polémiste donne une véritable leçon de civisme, en estimant que «la France ne sortira pas grandie de ce débat stérile qui ne fait que stigmatiser une partie de la population». «Qu'avons-nous à gagner de cette interdiction si ce n'est que renforcer l'exclusion de ces femmes qui n'oseront plus sortir de chez elle ? Est-ce cela l'objectif annoncé ? La France a-t-elle si peur de ces femmes ?», demande-t-il. Et faisant un constat de l'application de la loi de 2004, il déduit que son résultat a été l'ouverture d'écoles confessionnelles musulmanes. Autre témoignage poignant, celui de ce jeune musulman parfaitement intégré selon qui sa voisine porte le niqab alors que sa mère ne porte pas le voile. «C'est un choix de vie complètement personnel. Personne n'est venu lui mettre le couteau sous la gorge pour la forcer, comme on le laisse croire à longueur de journée dans les médias. Mais aujourd'hui une poignée de députés vont l'obliger à rester chez elle, comme ces mêmes députés ont obligé des jeunes filles à rester chez elles au lieu d'aller à l'école. La liberté de choix est pour tout le monde en France, sauf peut-être pour les musulmans. La France ne sortira pas grandie de ce débat stérile qui ne fait que stigmatiser une partie de la population», déplore-t-il. Pourquoi pas la casquette ou le string ? Quant à cette banlieusarde, elle ne va pas par mille chemins pour ridiculiser les partisans de l'interdiction. «Interdire la burqa ? Pourquoi pas aussi la casquette, le string ? Je suis étonnée de voir que le gouvernement n'ait pas mieux à faire que de légiférer sur ce sujet. Dans nos quartiers, peuplés de ‘'racaille'' et qu'il était prévu de ‘'karcheriser'', il y a tant à faire en matière d'éducation, de santé, d'emploi... La République ne penserait à nous que pour entraver nos libertés ?», demande-t-elle, fort à propos. Même l'organisation américaine de défense de droits de l'homme Human Rights Watch (HWR), est entrée dans le débat. «Interdire la burqa n'apportera pas la liberté aux femmes», selon le directeur du bureau de Paris de HRW, Jean-Marie Fardeau, pour qui «cela ne fera que stigmatiser et marginaliser les femmes qui la portent», alors que «la liberté d'exprimer sa religion et la liberté de conscience sont des droits fondamentaux». Il faut dire qu'en France, les politiques ont ce luxe d'ouvrir des dossiers qui divisent créent des tensions sociales, tout en mettant en garde contre leur instrumentation à des fins politiciennes. Est-ce sciemment ? En tout cas, après le verdict de Sarkozy, et pour prévenir les débordements, l'Assemblée nationale a opté pour la création d'une mission d'enquête jugée «plus souple et moins contraignante, pour aborder le débat du port de la burqa», alors des députés ont demandé la mise en place d'une commission d'enquête sur cette affaire. En réalité, c'est là un non-débat qui révèle encore une fois, chez la classe politique hexagonale, une indigence criante.