Le Grand oral d'Abdelwahab Derbal, qui devait lever les doutes sur la transparence des élections et, si possible, laver la Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise) qu'il préside, de tout soupçon de servir de faire valoir, aura laissé des points de suspension… L'homme semblait sincère et honnête. Il a promis de tout faire pour que son instance soit digne de la confiance placée en elle, non par les pouvoirs publics, mais par les partis d'opposition qui ne se font pas trop d'illusions échaudés par de mauvais souvenirs. Abdelwahab Derbal a ceci de particulier qu'il porte une double casquette. Il est à la fois un serviteur du régime, et un ancien cadre d'un parti pourfendeur du pouvoir (Ennahda). Un pedigree politique qui fait de lui un responsable plus ou moins crédible pour mériter un préjugé favorable. Ce portrait d'un islamiste bon chic bon genre, s'est vérifié, hier, lors de ses premiers échanges avec les médias. D'entrée, Derbal a pris le soin de se fixer des lignes rouges, histoire de tenir les journalistes à distance respectable dans leurs questions. «Il y a des questions sur lesquelles je ne peux répondre car elles ne relèvent pas de mes prérogatives». Ce postulat aussi bizarre qu'il puisse paraître n'en est pas moins honnête. L'homme reconnaît qu'il n'a pas toutes les clés de sa mission qui consiste à verrouiller le scrutin législatif de sorte à empêcher l'intrusion d'éléments nuisibles, capables de fausser les opérations et, partant, les résultats. Forte de son statut constitutionnel, la Haute instance indépendante de surveillance des élections ne pourra, pourtant, pas encadrer le vote des corps constitués, ni interdire l'utilisation de l'argent sale et encore moins l'assainissement du fichier électoral. Ce sont là trois des exigences majeures des partis de l'opposition qui sont de nature à garantir un scrutin libre et transparent. En levant ses bras au ciel pour signifier qu'il n'y peut rien et que ces sujets ne relevaient pas de prérogatives, Derbal a sans doute douché les attentes des partis participants qui refusent de donner un blanc seing à son instance malgré sa profession de foi. En creux, le président de la Hiise glisse qu'il va surveiller les élections législatives dans la limite de sa feuille de route, sans trop s'enflammer. Le message subliminal est de signifier que le risque zéro n'est pas garanti en termes de fraude et détournement de la volonté populaire. Le vote des bataillons des corps constitués constitue, en l'occurrence, un stock de guerre qui pourrait faire basculer les résultats d'un parti à un autre. De même que le manque de traçabilité du corps électoral nourrit légitimement des doutes sur la capacité de l'administration à jouer franc jeu et laisser les urnes trancher. Vu sous cet angle, Abdelwahab Derbal a fait preuve d'une grande probité intellectuelle doublée d'un sens aigu des pratiques politiques en Algérie. Nul ne pourra l'accuser au soir du 4 mai d'avoir favorisé tel ou tel autre parti ou que son instance aura manqué de vigilance contre les amateurs des trucages. C'est une sorte de défense avancée que Derbal a déployée, hier, devant les journalistes ; manière à lui de les prendre à témoin contre de mauvaises surprises. Il sait que la fraude est consubstantielle aux opérations électorales en Algérie. Même le président Bouteflika l'a reconnu, au demeurant, devant les magistrats de la Cour suprême, en décembre 2011 : «Oui, nous avons eu des élections à la Naegelen», avait-il asséné à la surprise générale. Moralité : il serait naïf de croire que le système va se déverrouiller rapidement, comme par enchantement. Dans un pays où le fax a encore de beaux jours devant lui, il est illusoire d'attendre la modernisation du logiciel électoral dès lors que l'ancien fait bien ses preuves, quelle que soit la reconfiguration politique souhaitée. Pour le reste, l'excès de zèle de l'administration est déjà une seconde nature.