La visite d'inspection de Abdelkader Zoukh effectuée à la veille de l'ouverture de la saison estivale semblait rassurante pour les familles algéroises qui voyaient sonner à travers les déclarations du chef de l'exécutif le glas de l'informel dans les plages. Qu'en est-il un mois après ? Le Temps d'Algérie s'est permis une virée dans quatre plages de la côte ouest, parmi les plus réputées de la capitale. Jeudi, 10 h30, El Djamila (La Madrague). La plage n'est pas déserte et ne dort pas sous juillet, comme dirait Brel dans la Fanette. Des dizaines de parasols sont déjà plantés, la mer est d'huile et les enfants s'en donnent à cœur joie. Rafik, tasse de café à la main et cigarette au coin des lèvres, surveille ses petits. Comme prise de contact, la question de connaître la raison de son choix de cette plage le renvoie aux années 70 quand tout petit, son père l'emmenait avec lui sur les lieux. Nostalgie, quand tu nous tiens ! «Mais, précisera-t-il, les choses ont bien changé depuis». Notre ami déballe son sac sur le sujet : «Je viens d'avoir une première prise de bec avec le gardien du parking qui a exigé 150 DA, et une deuxième avec le loueur de parasols. Pas loin de 1700 DA pour un kit parasol-table et deux chaises. En comptant les achats pour préparer le déjeuner, j'en suis presque à 5000 DA, sans compter les inévitables extras. C'est trop pour une seule journée. A ce tarif, il m'est impossible d'offrir à ma famille plus de deux ou trois sorties par mois. Et on ose nous parler de gratuité des plages !» Nous n'avons pas terminé la discussion qu'une dispute éclate entre un père de famille et le plagiste à cause bien sûr du prix jugé exagéré de la location des équipements. La sécurité intervient pour séparer les antagonistes et ramener l'ordre mais le papa continue de décrier le comportement du plagiste qui aurait exigé 2000 DA pour un ensemble parasol, table et quatre chaises. Pourtant, ces commodités étaient censées être remises gratuitement aux estivants. Du moins, c'est ce qui était convenu selon la wilaya. Sur le terrain, la pratique a pris une autre voie. Austérité aidant, les commodités sont devenues payantes auprès des Epic de la wilaya, mais il faut se lever tôt. Très tôt même. Le stock, sinon,vous répondra-t-on, a été totalement épuisé. En revanche, aussi énigmatique que cela puisse paraître, le concessionnaire privé vous proposera en moins de deux tout ce dont vous avez besoin. Mais à des prix excessifs, rubis sur l'ongle, et on ne travaille pas au rabais. La question qui taraude l'esprit est de savoir d'où sort le matériel alors qu'il est indisponible chez l'entreprise publique ? Les mauvaises langues confient qu'une complicité se joue entre le public et le privé moyennant bakchich. Cela reste une supputation à vérifier, même si le doute est permis. Trois mois d'affaires... Avec son port où mouillent de luxueux plaisanciers de la «jet set», ses terrasses de dégustation de glaces, ses hôtels en pleine réhabilitation, Sidi Fredj reste une destination privilégiée des estivants d'Alger et des wilayas voisines. C'est aussi en raison d'une présence sécuritaire dissuasive. Mais ces atouts n'empêchent pas la maffia des plages de régner en maître des lieux. Des tarifs d'accès à donner le tournis. De 200 DA pour le parking à 2000 DA la location d'un kit de commodités, une coupe de glace allant de 400 à 800 DA, voire plus. Passer une journée dans cet endroit coûte les yeux de la tête. Bourses modestes s'abstenir. Ici, les plagistes ne négocient pas les prix. Il y a toujours preneur. Quant à ceux qui osent élever la voix, la seule réponse pour eux est d'aller voir ailleurs. Khaled raconte la mésaventure de son ami qui a été rudoyé et tabassé par un gardien de parking et son complice. «On a exigé de lui 200 DA parce qu'il n'y avait pas de place. En criant au voleur, il s'est vu rouer de coups. Il a déposé plainte et la justice a fait son travail mais il en garde des séquelles, surtout morales. De l'autre côté, les plagistes défendent leur position. L'un d'eux justifie ce business par le fait qu'il n'a que trois mois de travail dans l'année : «Cette activité ne dure qu'une saison, le reste de l'année, je suis au chômage, ce qui m'oblige à faire le plein pour pouvoir faire face aux besoins de ma famille pendant neuf longs mois». Si ce qu'il dit a une part de vérité dans le sens que ce citoyen a le droit d'avoir un boulot, on ne peut exclure le fait qu'il reste assujetti à des règles régissant l'activité exercée, et non en imposant, à l'instar de ses collègues plagistes, son diktat sur la gestion des plages. Direction Zéralda où les deux plages sœurs Kheloufi 1 et 2 s'étendent à perte de vue. Il est 13h. En dehors d'une poignée de téméraires bravant le thermomètre, la mer a repris pour quelques moments ses droits d'être seule. Sous les parasols, on mange en riant ou on s'adonne à une méridienne forcée par la canicule. Djamel, venu avec sa petite famille de Blida, considère que l'accès aux plages devrait être revu avec plus de sérieux. Pour lui, la gestion de ces espaces ne doit pas être laissée entre les mains de «voyous n'ayant d'autre objectif que le gain facile et rapide». «Il est temps, confie-t-il, que les autorités remettent de l'ordre dans l'exploitation des plages. Les plages étant publiques, les familles ont le droit d'y accéder sans aucune contrainte. Les espaces cédés aux privés par concessions doivent obéir à des clauses déterminant les attributions et les tâches en exigeant le strict respect de la qualité des prestations ainsi que des prix légaux». Son voisin d'un jour explique que «les deux plages de Zéralda sont entre les mains d'un groupe qui contrôle les rentrées d'argent». C'est à voir. En matière de sécurité, toutefois, tout semble correct. Le silence des APC Les communes ont de tout temps été soupçonnées de complicité dans cette activité. Comme dans beaucoup d'autres activités d'ailleurs où la carte électorale a son pesant d'or. A présent que la wilaya a repris les choses en main, il semble qu'un contrôle permanent soit nécessaire au niveau des plages. L'arrêté du wali et les instructions décidées dans ce cadre doivent être impérativement suivies d'effet. C'est la crédibilité de l'Etat qui est en jeu.