La nature a horreur du vide. L'adage se confirme dans les situations les plus simples et les plus banales, y compris lorsque des estivants se rendent sur une plage de la côte oranaise. En l'occurrence à Mers El-Hadjadj, anciennement Port-aux-poules, où les habitants profitent de l'inapplication des lois pour se créer de l'emploi. Dès l'entrée du village, l'estivant est pris en charge par les professionnels du racolage : d'abord pour trouver une place de stationnement dans les petites venelles, lorsque les parkings sont complets. "Vous pouvez stationner votre voiture devant la maison là-bas. N'ayez rien à craindre, elle est en sécurité !", assure un quadragénaire en hélant un jeune homme qui prend le relais. "Ce sera 100 DA, comme dans n'importe quel parking. En plus, là, vous êtes loin de la cohue", sourit le jeune homme en question en enlevant des plots installés sur l'étroit trottoir pour dégager une place de stationnement. Ensuite, sur la grande plage où les plagistes (une dizaine, nous dit-on) s'"arrachent" les clients pour les installer sur leur propre portion de sable. "Une table, un parasol et quatre chaises dans un espace familial", assure un jeunot, la peau brûlée par le soleil, arborant un scorpion tatoué sur le torse. Le tarif ? "1200 DA la journée, et là-bas, c'est 1500 ! Vous ne pouvez pas trouver mieux !" Le prix ainsi imposé a augmenté de 200 à 500 DA par rapport à l'année passée sur cette même plage, alors même que la décision de la gratuité des plages avait été annoncée et confirmée avant l'ouverture de la saison estivale. "Mais jusqu'ici, nous n'avons rien reçu de la part des autorités locales, déplore Cherif, responsable d'un des 10 ‘'postes'' de la grande plage de Port-au-poules. Que devait-on faire ? Attendre alors que nous avons investi beaucoup d'argent et que l'été est la seule période au cours de laquelle nous travaillons ?" Pour notre interlocuteur – qui ne semble pas réaliser que la commune n'est plus dans le coup, puisque la balle est dans le camp de l'exécutif de wilaya – il appartient à l'APC d'inviter les plagistes à "régler les litiges, si litige il y a". Mais "nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre parce que nous avons mis beaucoup d'argent et que nous avons des familles à charge". Par conséquent, les estivants sont confrontés aux mêmes problèmes, aux mêmes contraintes auxquelles ils font face depuis de nombreuses années : la baignade est toujours payante et, par certains endroits, au prix fort. Mais, habitude oblige, ils semblent s'accommoder de cette situation où ils n'ont pas leur mot à dire. Pour pouvoir s'asseoir près de l'eau, il faut payer, puisque toutes les tables sont aménagées à deux mètres de la rive, ou alors se résigner à poser ses affaires plus loin, derrière la barrière de parasols et de tentes dressés dès les premières heures de la matinée. "Certains plagistes ont investi près de 200 millions de centimes et l'on vient, quelques mois à peine avant le lancement de la saison estivale, nous avertir que la plage est gratuite ?", s'insurge Cherif qui estime qu'il aurait fallu avertir la "communauté" des plagistes une année plus tôt au moins. Ce que, sans doute, les autorités ont compris, puisque, après avoir fermement soutenu que les plages seraient gratuites sur tout le territoire national, des plagistes continuent de faire payer les estivants, comme ici à Mers El-Hadjadj. "La plage doit être gratuite, bien sûr, mais je ne pense pas que la démarche du pouvoir soit la bonne. On ne peut demander à des gens d'abandonner d'un coup une source de revenus, aussi illégale soit-elle, alors qu'on a laissé faire des années durant. C'est invraisemblable !", juge un estivant qui considère que des "formules intermédiaires" devraient être trouvées pour, à la fois, garantir la gratuité des plages aux Algériens et préserver ce qui est devenu une activité économique pour beaucoup de personnes. "En plus, tous les jeunes que vous voyez ici chôment le reste de l'année. Il faudrait aussi prendre cela en considération !", plaide Cherif en désignant "ses employés" que la présence des gendarmes ne semble pas gêner. Il est évident que l'instruction gratuité des plages n'a pas trouvé, cette année, son application sur le terrain malgré les saisies de solariums signalés ici et là dans la wilaya d'Oran et les manifestations de colère de plagistes frustrés. S. O. A.